L’affaire Calder (1973) – du nom du politicien et chef nisga’a Frank Calder qui a porté ce dossier devant les tribunaux – a donné lieu à un examen du concept de titre foncier autochtone (c.-à-d. de propriété) revendiqué sur des terres historiquement occupées par les Nisga’a du nord-ouest de la Colombie-Britannique. Le procès a été perdu, mais à l’époque, la décision de la Cour suprême du Canada reconnaît néanmoins pour la première fois que le titre foncier autochtone a sa place dans le droit canadien. L’affaire Calder (ou Calder et al. c. Procureur Général de la Colombie-Britannique) est considérée comme étant à la fondation de la signature en 2000 du traité des Nisga’a qui accorde à ces derniers l’autonomie gouvernementale et qui constitue le premier règlement de revendications territoriales en Colombie-Britannique.
Contexte
L’installation des Blancs en Colombie-Britannique tout au long du 19e siècle et au début du 20e siècle force de nombreux peuples autochtones, notamment les Nisga’a, à quitter leurs territoires traditionnels et à s’installer dans des réserves, la plupart du temps contre leur gré et sans la signature d’un quelconque traité offrant des biens ou de l’argent en échange de l’accès à leurs terres. Les Nisga’a font donc valoir que leurs droits sur leurs terres traditionnelles – reconnus par la Proclamation royale de 1763 – ont été ignorés.
En 1887, les chefs nisga’a se rendent à Victoria pour demander au premier ministre de la Colombie-Britannique de reconnaître leurs droits. Déçus par les résultats de cette rencontre, les Nisga’a mettent sur pied leur premier comité sur les terres en 1890 pour tenter de résoudre le différend qui perdure. Ce comité entre pour la première fois en action en 1913, lorsqu’il interpelle le Conseil privé d’Angleterre pour lui demander de négocier un traité avec les Nisga’a, de leur accorder l’autonomie gouvernementale et de résoudre le différend portant sur le titre foncier. Malgré les efforts déployés par le comité, le Conseil privé ne prendra jamais connaissance de leur demande.
Né en 1915, peu après la demande du comité sur les terres des Nisga’a auprès du Conseil privé, Frank Calder – fils d’un chef héréditaire nisga’a – grandit dans le contexte du différend concernant le titre foncier des Autochtones. En 1927, le gouvernement du Canada retire cependant aux Autochtones le droit de s’organiser politiquement pour ce type de différend et d’engager des avocats pour résoudre les revendications territoriales. Il est désormais illégal pour les Nisga’a de poursuivre leurs revendications. Cet obstacle ne les arrête pourtant pas. Frank Calder, en particulier, va jouer un rôle important dans la résolution de ce problème.
Après sa scolarité, d’abord au pensionnat indien Coqualeetza puis à l’Université de la Colombie-Britannique (où il devient le premier Indien inscrit dans l’établissement), Frank Calder s’engage dans la politique. En 1949, il devient également le premier Autochtone élu dans l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. C’est peu après son élection qu’il commence à travailler sur la réouverture des revendications territoriales de son peuple devant la Province.
En 1955, Frank Calder assume la présidence du conseil tribal des Nisga’a récemment créé, une version moderne de l’ancien comité sur les terres des Nisga’a. Il n’est plus interdit aux Autochtones de s’organiser politiquement et de présenter des revendications territoriales, mais le processus n’est pas pour autant plus facile. En 1969, le Livre blanc du premier ministre Pierre Elliot Trudeau nie le concept voulant que les Autochtones aient des droits inhérents, notamment des droits fonciers, et tente d’abolir tout statut spécial conféré aux Indiens. Ayant soulevé une forte opposition de la part de nombreux Autochtones, le Livre blanc ne parviendra finalement pas à ses fins et les Nisga’a poursuivent leur combat devant les tribunaux.
Frank Calder demande alors à l’avocat Thomas Berger de représenter son peuple dans le cadre d’un procès intenté contre le gouvernement provincial à propos de la question foncière. En 1967, l’affaire Calder est lancée et le procès démarre deux ans plus tard.
Procès et décision du tribunal
Dans le cadre du procès Calder, le conseil tribal des Nisga’a demande à la Cour suprême de la Colombie-Britannique de reconnaître que leurs droits fonciers sur la vallée de la rivière Nass et ses alentours n’ont « jamais été légalement éteints ». La demande est rejetée lors du procès. Le conseil tribal porte alors sa demande devant la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, qui la rejette à son tour.
L’étape suivante consiste à présenter le cas devant la Cour suprême du Canada. Cette dernière rend sa décision le 31 janvier 1973. Six des sept juges estiment que le concept de titre foncier autochtone existe en droit canadien. Six juges sont cependant partagés de manière égale sur la question de la validité de la demande des Nisga’a : trois estiment que le titre des Nisga’a a été éteint par le droit foncier mis en place avant l’entrée de la Colombie-Britannique dans la Confédération; les trois autres ne sont pas d’accord et déclarent que ce titre n’a jamais été aboli (ou cédé) par une quelconque loi ou un quelconque traité, ce qui est précisément le point de vue des Nisga’a. Le septième juge, Louis-Philippe Pigeon, va faire pencher la balance contre les Nisga’a en invoquant un problème de procédure, en l’occurrence que les Nisga’a ont omis d’obtenir auprès du procureur général la permission de poursuivre en justice le gouvernement de la Colombie-Britannique. Les Nisga’a perdent donc leur procès à cause d’un détail de procédure, mais le procès catalyse une évolution concernant la reconnaissance des droits fonciers des Autochtones dans le droit canadien.
Retombées et importance
L’affaire Calder a eu quelques retombées importantes sur le droit canadien, notamment la reconnaissance par la Cour suprême du titre foncier des Autochtones comme étant un droit découlant de l’occupation des territoires traditionnels. La décision de la Cour suprême va à l’encontre du Livre blanc de 1969 et des décisions antérieures de la Cour de la Colombie-Britannique.
Tenant compte de l’affaire Calder, le gouvernement fédéral publie en août 1973 une politique sur les revendications territoriales globales et entame en 1976 des négociations avec le conseil tribal des Nisga’a. En 1989, les deux parties signent un accord-cadre qui précise le mécanisme, les sujets et la portée des négociations. Le gouvernement de la Colombie-Britannique se joint aux négociations en 1990 et signe un nouvel accord-cadre avec le gouvernement fédéral et le conseil tribal des Nisga’a. Les négociations se poursuivent et en 1996, les trois parties annoncent qu’elles sont parvenues à une entente de principe – l’avant-dernière étape du processus d’établissement des traités modernes. Au cours des deux années suivantes, les trois parties négocient un accord définitif, qui deviendra le traité des Nisga’a, approuvé et signé le 27 avril 1999. Cependant, ce n’est qu’après l’adoption par la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral d’une loi visant à ratifier le traité, au printemps 2000, que les Nisga’a obtiennent leur autonomie gouvernementale. L’entente prévoit que la Nation nisga’a contrôlera désormais environ 2 000 km2 de ses territoires traditionnels. Le traité des Nisga’a est le premier traité moderne signé en Colombie-Britannique. Il sert de modèle à de nombreuses Premières Nations qui prétendent à l’autonomie gouvernementale et à l’obtention d’un traité moderne au Canada.
L’affaire Calder a aussi contribué à l’inclusion des droits des Autochtones dans l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Les procès portant sur les droits des Autochtones qui suivent l’affaire Calder ont également été influencés par la décision de 1973. Dans l’affaire R. c. Van der Peet (1996), la Cour suprême du Canada affirme le statut « spécial » et « constitutionnel » des Autochtones au Canada. En 1997, le procès Delgamuukw c. Colombie-Britannique donne l’occasion d’explorer plus en détail la définition, le contenu et la portée du concept de titre foncier autochtone, initialement invoqué dans le cadre de l’affaire Calder.