Synopsis
Manon, une fillette de 13 ans interprétée par Charlotte Laurier, vit dans une maison isolée non loin d’une petite ville des Laurentides avec sa mère célibataire, Michelle, interprétée par Marie Tifo, et Guy, le frère de cette dernière, retardé mental, interprété par Germain Houde. Ils survivent en effectuant de petits boulots et en coupant du bois de chauffage qu’ils vendent aux riches habitants d’un quartier résidentiel voisin. Manon est une enfant précoce et sensible; peu intéressée par l’école, sa seule obsession est d’obtenir l’amour absolu de sa mère. Guy, isolé dans son propre univers, vit une passion romantique pour la riche madame Viau‑Vachon, interprétée par Louise Marleau, et ressent une forte excitation sexuelle en sa présence.
Outre Manon et Guy, Michelle est entourée de deux personnes qui demandent son affection : Maurice, son amant, interprété par Roger Lebel, un policier facile à vivre et Gaétan, un mécanicien ami de Manon, interprété par Gilbert Sicotte. Lorsque Michelle découvre qu’elle est enceinte de Maurice, elle tente de partager sa joie avec Manon, mais la nouvelle produit l’effet inverse. Manon, codépendante et obsessionnelle, quitte la maison, voulant prouver à tout prix qu’elle peut prendre soin de sa mère par tous les moyens possibles. Après son retour, elle pousse Guy au suicide, cache la nouvelle à sa mère et se met en travers de la relation émotionnelle entre Maurice et cette dernière qu’elle s’emploie à isoler du monde extérieur.
Analyse et réception critique
Ce film de Francis Mankiewicz, une légende gothique regorgeant de passions où jalousie et amour absolu sont omniprésents, est basé sur un scénario écrit par le célèbre romancier et dramaturge québécois Réjean Ducharme, un génie vivant reclus souvent considéré comme le J. D. Salinger canadien. Kevin Laforest fait observer sur son site de critiques de films Montreal Film Journal : « En regardant ce film, on ressent les difficultés de Réjean Ducharme à vivre en société. Voilà quelqu’un qui n’est probablement pas en mesure de s’adapter aux restrictions imposées par la vie, ses personnages partageant cette incapacité avec lui. […] Les bons débarras, à l’instar des romans de Réjean Ducharme, traite d’hommes et de femmes qui refusent de laisser leur enfance derrière eux ou qui, après l’avoir fait, se sentent anéantis. »
La critique canadienne est pratiquement unanime, applaudissant à la poésie baroque des dialogues, aux images austères et évocatrices, au dépouillement narratif et au jeu brillant des acteurs. Elle met également en exergue la façon dont Francis Mankiewicz entremêle les différents éléments du film afin de créer un sentiment de menace qui va croissant jusqu’à l’horreur.
Les bons débarras devient très vite un classique du cinéma canadien et est largement reconnu comme l’un des meilleurs films canadiens jamais réalisés. Cependant, le programmateur du Festival international du film de Toronto (TIFF), Steve Gravestock, fait remarquer qu’il s’agit d’un « film qu’il est étrange de considérer comme un classique canadien […] étant donné qu’il ne traite pas directement […] de problématiques culturelles essentielles pour les Canadiens ». Le film tire plutôt sa force et sa puissance évocatrice de la dynamique inhabituelle des personnages, du contraste entre un lyrisme contenu et un réalisme brutal créé par les images du directeur de la photographie, Michel Brault, et de ses sous-entendus sombres et gothiques. Ce film à petit budget, réalisé avec environ 620 000 $, surprend de nombreuses personnes lorsqu’il rafle sept prix Génie en 1981, écrasant Un fils pour l’été, une mégaproduction de Bob Clark dotée d’un budget de 11 millions de dollars et réalisée en 1980 dans le cadre des mesures mises en place durant l’ère des abris fiscaux, avec en vedette Jack Lemmon et Colleen Dewhurst.
Les bons débarras est choisi pour représenter le Canada aux Oscars dans la catégorie Meilleur film étranger; toutefois, sa distribution aux États‑Unis est limitée et il y est reçu avec une certaine perplexité, faisant face à des critiques extrêmement mitigées. Janet Maslin du New York Times le décrit comme « un film rempli de méandres doté, toutefois, d’une étrange capacité à rester gravé dans la mémoire du spectateur. La désolation des lieux y est décrite de façon si réaliste et les personnages y sont dessinés de façon si distincte et si frappante que le spectateur a l’impression de connaître intimement l’endroit, tout en se demandant les raisons pour lesquelles il pourrait bien avoir envie de connaître un tel endroit […] cependant, lorsque le réalisateur des Bons Debarras tente de passer en mode « suspense », la dextérité avec laquelle il arrive à créer des atmosphères et son aptitude à rendre les détails les plus infimes sont éclipsées par des insuffisances narratives. Toutefois, avant d’en arriver là, Francis Mankiewicz et une distribution convaincante de débutants réussissent à nous montrer une œuvre originale et dérangeante. » Dave Kehr du Chicago Reader écrit que le film « alterne entre misérabilisme sentimental et ironie glaçante » et que Francis Mankiewicz, « bien que doté d’une sensibilité sombre et provocatrice, ne maîtrise pas suffisamment son outil pour que les climats et les sentiments conflictuels qui l’habitent débouchent sur une œuvre cohérente ».
Distinctions et héritage
Les bons débarras est inscrit, en 1984, 1993 et 2004, dans la liste des dix meilleurs films canadiens de tous les temps à l’occasion d’enquêtes menées par le TIFF. En 2003, il est estampillé « meilleur film québécois jamais réalisé » par le quotidien montréalais La Presse à la suite d’une enquête. Steve Gravestock, programmateur du TIFF, précise, à cet égard, en 2007 : « Les seuls autres films ayant aussi bonne presse au pays (Les bons débarras ne dispose pas de la même réputation internationale) sont Le voyage chimériqueréalisé par Don Shebib en 1970, Mon oncle Antoineréalisé par Claude Jutra en 1971 et Les Ordresréalisé par Michel Brault en 1974. Il ne fait pas de doute que, désormais, Les bons débarras est plus apprécié que Mon oncle Antoine et Le voyage chimérique qui ont longtemps été considérés comme étant, respectivement, le sommet des industries cinématographiques canadiennes francophone et anglophone. »
En 1996, Les bons débarras a l’honneur de faire partie des dix films représentés sur une série de timbres-poste émis par Postes Canada pour célébrer le centième anniversaire du cinéma au Canada. Une version restaurée est projetée, en 2007, dans le cadre du programme « Canadian Open Vault » du TIFF, faisant également l’objet d’une diffusion restreinte dans un certain nombre de villes canadiennes et d’une projection lors du Festival Lumière de Lyon en octobre 2014. En 2016, il est classé parmi 150 œuvres essentielles de l’histoire du cinéma canadien dans le cadre d’un sondage auprès de 200 professionnels des médias mené par le TIFF, Bibliothèque et Archives Canada, la Cinémathèque québécoise et la Cinematheque de Vancouver en prévision des célébrations entourant le 150e anniversaire du Canada en 2017.
Voir aussi Cinéma québécois, Longs métrages canadiens.
Récompenses
Prix Génie 1981
Meilleur réalisateur (Francis Mankiewicz)
Meilleure photographie (Michel Brault)
Meilleur montage (André Corriveau)
Meilleur son (Michel Descombes, Henri Blondeau)
Meilleur acteur dans un second rôle (Germain Houde)
Meilleure actrice (Marie Tifo)
Meilleur scénario original (Réjean Ducharme)
Meilleur film (Marcia Couëlle, Claude Godbout)