Le suicide assisté est l’acte de mettre volontairement fin à sa propre vie avec l’assistance d’une personne qui en fournit les moyens ou les connaissances, ou les deux. (Voir aussi Suicide.) Entre 1892 et 2016, le suicide assisté était illégal au Canada en vertu de l’alinéa 241 b) du Code criminel. En 2015, après des décennies de diverses contestations judiciaires, la Cour suprême du Canada a décidé à l’unanimité d’autoriser le suicide médicalement assisté. En juin 2016, le gouvernement fédéral a adopté la Loi sur l’aide médicale à mourir (AMM) qui définit les critères d’admissibilité et les garanties procédurales pour le suicide assisté médicalement. En mars 2021, une nouvelle législation a été adoptée pour élargir l’admissibilité à l’AMM.
Cet article contient des sujets délicats qui peuvent ne pas convenir à tous les publics.
Contexte et code criminel
Lorsque le Code criminel est introduit au Canada en 1892, le suicide et la tentative de suicide sont dorénavant considérés comme des infractions pénales en vertu de l’alinéa 241 b). Bien que le suicide soit décriminalisé en 1972, le suicide assisté reste à l’époque illégal. Toute personne reconnue coupable d’avoir conseillé à quelqu’un de se suicider, ou d’avoir aidé quelqu’un à se suicider, est considérée coupable d’homicide et passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 14 ans. De nombreux débats s’ensuivent au sein des législatures provinciales et fédérales concernant le droit des individus à l’aide médicale à mourir ou à toute autre forme de suicide assisté, en particulier dans les cas où la personne est trop handicapée pour passer à l’acte sans assistance.
Différence entre suicide assisté et euthanasie
Bien que le suicide assisté soit parfois appelé euthanasie volontaire ou active, les deux actes sont en fait différents. Un suicide est dit « assisté » lorsque quelqu’un fournit les connaissances ou les moyens nécessaires à une personne pour qu’elle puisse y parvenir. Par exemple, le suicide assisté inclut un médecin qui fournit des médicaments à un patient, lequel va ensuite utiliser ces médicaments pour mettre fin à sa vie. L’euthanasie, par contre, implique quelqu’un qui agit délibérément pour provoquer la mort d’une personne dans le but de mettre fin aux souffrances de celle-ci; l’acte lui-même est la cause directe du décès. L’euthanasie peut être volontaire, involontaire (la personne concernée n’a pas donné son consentement) ou non volontaire (la personne concernée ne pouvait pas donner son consentement). Un médecin qui administre à une personne des médicaments qui mettent fin aux souffrances de celle-ci entraînant sa mort est un exemple d’euthanasie.
Sue Rodriguez conteste la validité de la loi sur le suicide assisté (1993)
Au début des années 1990, Sue Rodriguez soumet aux tribunaux une requête faisant valoir que l’alinéa 241 b) du Code criminel, qui interdit le suicide assisté, est constitutionnellement invalide. Sue Rodriguez souffre de sclérose latérale amyotrophique (SLA) et veut obtenir le droit légal de bénéficier de l’aide d’un médecin pour mettre fin à sa vie au moment de son choix. Sa requête ayant été rejetée par la Cour suprême de la Colombie-Britannique et la Cour d’appel de la Colombie-Britannique, Sue Rodriguez présente son cas devant la Cour suprême du Canada.
Le 30 septembre 1993, une majorité de cinq juges de la Cour suprême contre quatre confirme le statu quo, affirmant que la disposition est constitutionnelle et qu’elle ne viole pas la Charte canadienne des droits et libertés. Cette décision est conforme au principe de justice fondamentale basé sur l’idée que le suicide assisté est intrinsèquement condamnable sur les plans moral et juridique, et pourrait mener à des abus. Cependant, les quatre juges minoritaires font valoir que l’interdiction du suicide assisté est arbitraire. En effet, une personne qui est physiquement capable peut se suicider (ce qui n’est pas un acte criminel), alors qu’une personne qui est physiquement handicapée commet un crime lorsqu’elle demande de l’assistance pour accomplir le même acte. Selon l’opinion des quatre juges, cette distinction est contraire aux principes de justice fondamentale.
Sue Rodriguez se suicide en février 1994, aidée par un médecin anonyme et en présence du député Svend Robinson (NPD), qui a défendu sa cause. (Voir aussi Suicide assisté au Canada : l’affaire Rodriguez.)
Euthanasie et affaire Robert Latimer (1994)
En novembre 1993, Robert Latimer est accusé du meurtre de sa fille Tracy qui est gravement handicapée. Tracy a été privée d’oxygène durant sa naissance, ce qui a entraîné de graves lésions cérébrales et des crises récurrentes. Après des années de médication et d’opérations douloureuses, ses parents sont informés en octobre 1993 que leur fille de 12 ans devra subir d’autres opérations chirurgicales. Le calvaire constant qu’endure sa fille Tracy pousse Robert Latimer à mettre fin à la vie de celle-ci. Le 24 octobre 1993, il installe Tracy dans son camion, l’asphyxiant avec les gaz d’échappement.
Lorsque l’autopsie démontre que Tracy est morte d’un empoisonnement au monoxyde de carbone, Robert Latimer admet avoir mis fin à la vie de sa fille, mais il insiste sur le fait qu’il ne l’a pas assassinée. Cependant, le 16 novembre 1994, il est reconnu coupable de meurtre au deuxième degré et condamné à la prison à vie sans libération conditionnelle avant 10 ans (décision confirmée par la Cour d’appel de la Saskatchewan). Il est jugé à nouveau en février 1997, sur ordre de la Cour suprême du Canada, et est de nouveau reconnu coupable de meurtre au deuxième degré. (Voir aussi Affaire Robert Latimer.)
L’affaire Robert Latimer est portée pour la première fois devant les tribunaux en novembre 1994, environ un an après le rejet de la requête de Sue Rodriguez par la Cour suprême. De nombreux Canadiens sympathisent avec Robert Latimer, comme ils l’ont fait avec Sue Rodriguez. Cependant, les deux affaires diffèrent de manière importante : les actions de Robert Latimer peuvent être décrites comme une euthanasie non volontaire (l’acte délibéré de mettre fin à la vie de quelqu’un sans son consentement), tandis que Sue Rodriguez voulait obtenir l’aide d’un médecin pour mettre fin à sa vie.
Le suicide médicalement assisté devient légal au Canada (2015)
En 2011, la British Columbia Civil Liberties Association (BCCLA) intente une poursuite en justice contre la loi qui interdit le suicide assisté, faisant valoir qu’une telle interdiction viole les articles 7 et 15 (1) de la Charte canadienne des droits et libertés (qui garantissent respectivement le « droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne » et l’égalité). L’affaire est portée devant les tribunaux au nom des familles de Kay Carter, qui souffre d’une sténose rachidienne dégénérative, et de Gloria Taylor, qui souffre d’une sclérose latérale amyotrophique (Kay Carter est décédée en 2010, Gloria Taylor est décédée en 2012). En juin 2012, la Cour suprême de la Colombie-Britannique rend un jugement en faveur des plaignantes. Cependant, le gouvernement fédéral fait appel de la décision, et en octobre 2013, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’annule. La BCCLA fait alors appel devant la Cour suprême du Canada.
Lorsque l’affaire Carter c. Canada se présente devant la Cour suprême en 2014, le contexte national et international a considérablement changé depuis la décision de l’affaire Rodriguez c. Colombie-Britannique (1993). En 1993, le suicide assisté était illégal dans tous les pays sauf en Suisse, où il était légal à condition qu’il ne soit pas motivé par un intérêt égoïste. Aux Pays-Bas, le suicide assisté était à l’époque officiellement illégal, mais les médecins qui aidaient les patients à mourir n’étaient pas poursuivis en justice tant qu’ils suivaient des directives strictes. Cependant, en 2014, la situation a changé : les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et les États de l’Oregon, de Washington et du Vermont ont adopté une législation qui autorise le suicide assisté dans certaines circonstances.
Parallèlement, en juin 2014, la province de Québec adopte une loi qui légalise « l’aide médicale à mourir » pour les « personnes majeures consentantes qui souffrent d’une maladie incurable, d’un état avancé de déclin irréversible des capacités, et de souffrances constantes et insupportables ». En 2015, des précédents juridiques sont donc déjà établis à la fois au Québec et à l’étranger, et le public soutient davantage la décriminalisation du suicide assisté.
Le 6 février 2015, la Cour suprême vote à l’unanimité (9-0) la légalisation du suicide médicalement assisté pour « une personne adulte capable qui 1) consent clairement à mettre fin à sa vie ; et qui 2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition ». La Cour estime que l’interdiction formulée dans le Code criminel est inconstitutionnelle parce qu’elle viole les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne en vertu de l’article 7 de la Charte. La Cour suprême accorde alors 12 mois au Parlement pour rédiger une nouvelle loi concernant le suicide assisté. Cependant, aucune loi n’est rédigée au moment où le gouvernement conservateur de Stephen Harper quitte ses fonctions en octobre 2015.
Loi sur l’aide médicale à mourir (AMM), 2016
En janvier 2016, la Cour suprême accorde une prolongation de quatre mois au nouveau gouvernement libéral de Justin Trudeau. En même temps, la Cour suprême établit une exemption constitutionnelle qui permet à toute personne de demander une autorisation judiciaire pour bénéficier de l’aide médicale à mourir, à condition de répondre aux critères qu’elle a énoncés dans sa décision de 2015. Le 6 juin 2016, bien qu’il n’y ait pas de nouvelle loi, le suicide médicalement assisté devient légal au Canada. À cette époque, la Chambre des communes a déjà adopté le projet de loi C-14, mais la législation proposée fait toujours l’objet de débats au Sénat.
Le 17 juin 2016, plus d’un an après la décision de la Cour suprême, le projet de loi C-14 est adopté. La Loi sur l’aide médicale à mourir (AMM) établit les garanties procédurales et les critères d’admissibilité pour le suicide assisté médicalement : les personnes admissibles doivent être âgées d’au moins 18 ans et être atteintes d’« un problème de santé grave et irrémédiable » qui leur « inflige des souffrances physiques ou psychologiques qui sont intolérables ». Pour être admissible, toute personne doit présenter un « déclin avancé et irréversible de ses capacités » qui fait que la « mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible ».
La loi comporte un certain nombre de garanties. Tout d’abord, une personne professionnelle en soins de santé (médecins ou soins infirmiers) doit confirmer que l’individu répond à tous les critères d’admissibilité de l’aide médicale à mourir (AMM). Une deuxième évaluation doit être ensuite effectuée par un praticien indépendant. La demande doit être présentée par écrit après que le patient a été informé que sa mort naturelle est raisonnablement prévisible. La demande doit ensuite être signée et datée en présence de deux témoins indépendants. Il faut informer les patients qu’ils peuvent retirer leur demande à tout moment. Il doit également s’écouler un délai de dix jours entre la demande écrite et la prestation de l’AMM. Enfin, le praticien doit confirmer le consentement de la personne immédiatement avant que l’aide soit fournie.
Les critiques ont souligné que la loi est plus restrictive que la décision de la Cour suprême, et qu’elle pourrait donc être remise en question dans le cadre d’un appel constitutionnel.
Difficultés et amendements
En janvier 2019, Jean Truchon et Nicole Gladu, deux Montréalais, contestent devant les tribunaux l’accès à l’aide médicale à mourir en vertu des législations fédérale et québécoise. Ils souffrent tous deux de maladies dégénératives qui leur causent, selon eux, « des souffrances persistantes et intolérables ». Ils font valoir que la législation existante est trop limitée et qu’elle les prive de leurs droits garantis par la Charte.
En septembre 2019, un juge de la Cour supérieure du Québec donne raison aux plaignants et statue que la condition préalable à l’aide médicale à mourir, soit le fait que la mort naturelle soit « raisonnablement prévisible », est inconstitutionnelle. La juge Christine Baudoin conclut que cette disposition « porte atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7 de la Charte […] et prive [les individus] de leur autonomie et de leur choix de mettre fin à leur vie au moment et de la manière désirés. » La Cour donne six mois aux gouvernements québécois et fédéral pour donner suite à sa décision. (En mars 2020, le gouvernement québécois abandonne simplement la disposition problématique.)
Cette décision est saluée par certains, mais contestée par d’autres, notamment par des groupes représentant des personnes souffrant de handicaps. Le groupe Vivre dans la dignité et le Collectif des médecins contre l’euthanasie interviennent dans l’affaire.
En février 2020, le gouvernement libéral présente le projet de loi C-7, qui propose de permettre l’aide médicale à mourir (AMM) pour les gens dont la mort n’est « pas raisonnablement prévisible ». Par contre, le projet maintient l’interdiction du recours à l’AMM pour les individus dont le seul problème de santé préalable est la maladie mentale. Le projet de loi établit des garanties dans les deux cas, soit dans le cas des patients dont la mort est raisonnablement prévisible, et dans le cas des patients dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.
Cependant, les discussions relatives au projet de loi C-7 sont suspendues et stagnent en raison de la pandémie de COVID-19, qui interrompt les débats parlementaires. La Chambre des communes ajourne ses travaux à la mi-mars 2020 en raison de la pandémie. En juin 2020, le gouvernement fédéral demande une prolongation pour se conformer à l’ordonnance du tribunal visant à élargir l’accès à l’AMM. La nouvelle échéance est fixée au 18 décembre 2020. Le projet de loi meurt lorsque le premier ministre Justin Trudeau proroge le Parlement au mois d’août, mais il est réintroduit en octobre 2020. Le 10 décembre 2020, la Chambre adopte le projet de loi C-7 avec un vote de 212 voix contre 107. Il est ensuite débattu au Sénat, qui approuve le projet de loi avec des amendements en février 2021. En mars, le gouvernement fédéral modifie certains de ces amendements et présente la version révisée du projet de loi C-7. Il est adopté par la Chambre des communes et le Sénat, et devient loi le 17 mars 2021.
Loi sur l’aide médicale à mourir, 2021
Le 17 mars 2021, la législation révisée sur l’AMM entre en vigueur. La nouvelle loi supprime l’exigence selon laquelle le décès naturel d’une personne doit être raisonnablement prévisible pour pouvoir bénéficier de l’aide médicale à mourir. Elle introduit également une approche à deux voies pour les garanties procédurales, selon que la mort naturelle d’une personne est raisonnablement prévisible ou non.
Les garanties procédurales initiales demeurent en place pour ceux dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, à deux exceptions près. Premièrement, la demande écrite du patient ne doit être signée que par un témoin indépendant (et non deux, comme la loi initiale). Deuxièmement, l’exigence d’observer une période de réflexion de dix jours est retirée. La nouvelle loi modifie également l’exigence du « consentement final », qui est annulé pour ceux dont la mort est raisonnablement prévisible et qui donnent préalablement leur consentement, mais qui pourraient éventuellement perdre la capacité de le donner. Ces changements visent à éviter que certains ne mettent fin à leur vie plus tôt qu’ils ne le voudraient par peur de perdre la capacité de donner leur consentement.
Les garanties s’appliquent également aux patients dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Ces personnes sont également soumises à quatre nouvelles mesures de sauvegarde ou garanties clarifiées. Premièrement, la nouvelle loi requiert une période d’évaluation d’au moins 90 jours pour déterminer l’admissibilité de la personne à l’aide médicale à mourir. Cette période peut être écourtée s’il est évident que le patient perdra bientôt sa capacité à prendre des décisions médicales. Deuxièmement, au moins une des deux évaluations obligatoires doit être effectuée par un professionnel en soins de santé (médecins ou soins infirmiers) qui a une expertise dans la condition médicale à l’origine de la souffrance du patient, ou qui consulte un spécialiste ayant une telle expertise. Troisièmement, le patient doit être informé des thérapies et services de soutien disponibles, et se voir offrir des consultations et un accès à ces services. Quatrièmement, le patient et les praticiens doivent convenir qu’ils ont discuté et sérieusement envisagé des moyens d’alléger les souffrances du patient avant de décider de passer à l’aide médicale à mourir.
La loi sur l’aide médicale à mourir de 2021 comprend également une nouvelle disposition pour les personnes qui choisissent de s’autoadministrer une substance dans le cadre de l’aide médicale à mourir. En vertu de la législation révisée, ces personnes peuvent prendre des dispositions pour l’AMM en cas de complications, c’est-à-dire que ces personnes peuvent donner leur consentement à leur praticien pour qu’il leur administre l’aide médicale à mourir, si leur tentative d’auto-administration entraîne une perte de capacité de décision, mais pas la mort.
Aide médicale à mourir et maladie mentale
La loi sur l’aide médicale à mourir de 2021 exclut temporairement les personnes souffrant uniquement de maladie mentale. Cela inclut des conditions telles que la dépression et les troubles de la personnalité, mais pas les troubles neurocognitifs et neurodéveloppementaux. Cette exclusion prendra fin le 17 mars 2023. Dans l’intervalle, le gouvernement doit lancer une évaluation faite par des experts, qui feront des recommandations dans un délai d’un an (avant le 17 mars 2022) sur les protocoles, les orientations et les garanties procédurales pour les personnes souffrant de maladie mentale.
Voir aussi Suicide au Canada; Suicide chez les Autochtones au Canada