Annie Pootoogook, artiste (née le 11 mai 1969 à Cape Dorset, au Nunavut; décédée le 19 septembre 2016 à Ottawa, en Ontario). Les œuvres d’Annie Pootoogook, récipiendaire du prix Sobey pour les arts en 2006, ont été présentées dans des expositions internationales de prestige, comme Documenta à Kassel, en Allemagne, et certaines se trouvent dans la collection du Musée des beaux-arts du Canada. Elle est née dans une famille d’artistes inuits accomplis. Fille de Napachie Pootoogook, graphiste, et de Eegyvudluk Pootoogook, graveur et sculpteur, elle est aussi la petite-fille de Pitseolak Ashoona et la nièce de Kananginak Pootoogook.
Début de carrière
Annie Pootoogook amorce sa carrière artistique à 28 ans, dans le climat stimulant de la West Baffin Eskimo Co-operative (aujourd’hui Kinngait Studios), à Cape Dorset. Depuis ses débuts, elle dessine à l’encre et au crayon de couleur, son moyen d’expression préféré. Comme sa cousine Shuvinai Ashoona, elle est reconnue pour avoir introduit une nouvelle forme d’expression remarquable dans les arts du Nord qui diverge de la représentation traditionnelle de l’expérience inuite.
En 1959, la West Baffin Eskimo Co-op est mise sur pied pour initier les gens de la région à la sculpture sur pierre et à la gravure. Son but est d’encourager l’indépendance financière grâce à la vente d’œuvres d’art du Nord à des acheteurs du Sud. À l’origine, ces techniques de création ne jouissent pas d’une tradition bien établie, mais la collectivité de Cape Dorset embrasse aussitôt la nouvelle initiative et donne vie à une scène des arts dynamique. En réponse aux attentes des acheteurs au Sud, l’art du Nord a tendance à traiter de sujets classiques : représentations d’animaux comme les phoques et les hiboux, portraits illustrant la vie locale et interprétation des mythes et des légendes autochtones. Annie Pootoogook et Shuvinai Ashoona se distinguent des autres artistes, car leurs œuvres s’éloignent des thèmes éprouvés de l’art inuit en s’inspirant plutôt de leur vécu dans un Nord moderne. Si leur art reste solidement ancré dans l’expérience du Nord, il reflète des préoccupations plus larges et personnelles. Shuvinai Ashoona explore son monde intérieur au moyen d’une imagerie surprenante qui relève souvent du fantastique. En revanche, les dessins d’Annie Pootoogook se caractérisent par leur détachement. Malgré leur aspect humoristique, ils témoignent tout autant du monde intérieur de l’artiste et révèlent en partie les conflits qui émergent entre le vécu et la réalité extérieure de la vie moderne dans le Nord.
Une vision unique du Nord
On qualifie parfois le style d’Annie Pootoogook de « réalisme narratif ». Ce terme décrit adéquatement le côté graphique de ses dessins, mais ignore leur sphère émotionnelle subtile, qui en pousse son public à faire des liens troublants. Son art a des qualités journalistiques, puisque les personnages et les événements présentés sont à peu près libres de censure et de commentaires éditoriaux. Les scènes banales de la vie quotidienne et les représentations de violence physique sont dépeintes avec le même détachement souverain.
Annie Pootoogook trace des lignes simples et dessine ses personnages de face ou de profil. En général, tous les éléments de ses dessins occupent l’espace de façon parallèle au plan pictural, comme si toute autre orientation pourrait introduire un sentiment d’instabilité, bouleversant ainsi ce détachement paisible qui semble faire partie intégrante de sa vision d’artiste. Les objets constituant les scènes sont séparés par de grands espaces blancs, donnant l’impression qu’ils sont exposés tels des artefacts au musée ou des indices trouvés sur une scène de crime. Par exemple, l’omniprésence des horloges, bien que discrète, suggère subtilement qu’il s’agit d’événements spécifiques se déroulant en temps réel.
Annie Pootoogook était une dessinatrice de talent : elle savait représenter fidèlement les formes physiques, par exemple les courbes aux nuances subtiles de la femme à demi nue dans Woman at Her Mirror (Playboy Pose) (2003). Toutefois, elle tend à présenter ses personnages de manière simple et enfantine, comme pour les dépouiller délibérément de leur personnalité ou de toute individualité, afin que leur monde intérieur demeure inaccessible au public. Les situations et leurs répercussions sont au cœur de son œuvre, plutôt que les sentiments et les motivations des individus qui jouent leur propre mini-drame.
Bien que francs et réalistes au premier abord, les dessins d’Annie Pootoogook affichent souvent un humour caustique où des détails subtils cachent des clins d’œil ironiques. Par exemple, dans Woman at Her Mirror, un élégant lapin au nœud papillon est dépeint de façon beaucoup moins virile et alerte qu’il n’apparaît sur le fameux logo de Playboy. Même lorsque l’humour en est absent, ses dessins transmettent l’information avec simplicité et éloquence. Dans Sobey Awards (2006), on voit la lauréate de dos, suggérant ainsi que ce qui compte dans la cérémonie, ce n’est pas elle, mais d’abord et avant tout les responsables de l’événement et les personnalités du monde des arts qui y assistent.
Reconnaissance internationale
Dans Sobey Awards, l’artiste qu’on voit de dos est bien entendu Annie Pootoogook. Le prix prestigieux lui est remis en 2006, à la suite de plusieurs expositions bien accueillies au Feheley Fine Arts, galerie d’art commerciale située à Toronto spécialisée en art inuit. C’est un grand honneur pour une artiste dont la carrière n’a pas plus de dix ans. Le prix Sobey pour les arts encourage les jeunes artistes canadiens. Il comporte une bourse de 50 000 $. Il est remis annuellement à un artiste de moins de 40 ans ayant exposé dans une galerie d’art public ou commerciale au cours des 18 mois précédents. Avant de recevoir le prix, Annie Pootoogook avait fait l’objet d’une exposition majeure à la galerie d’art The Power Plant, à Toronto. Les membres du jury expliquent ainsi leur choix : le travail d’Annie Pootoogook reflète « à la fois le courant actuel d’une tradition spécifique et une pratique contemporaine du dessin. Elle repense la modernité et dépeint la nature hybride de la vie contemporaine ».
L’obtention du prix Sobey marque un tournant dans la carrière d’Annie Pootoogook. L’artiste et son œuvre attirent soudainement l’attention internationale. Au cours de sa vie, elle ne s’est guère éloignée de Cape Dorset. Les occasions d’exposition se présentent alors à elle, signifiant un changement important dans son style de vie. Or, de tels changements ont perturbé la vie d’artistes ayant beaucoup plus d’expérience qu’elle dans le monde de l’art. Après avoir reçu le prix Sobey, une exposition itinérante en solo est organisée par la Illingworth Kerr Gallery du Alberta College of Art + Design. En outre, on l’invite à exposer à la Biennale de Montréal en 2007. La même année, elle est l’objet d’un documentaire de la cinéaste Marcia Connolly et est choisie pour participer à la foire d’art Art Basel et à Documenta 12, à Cassel, en Allemagne, l’une des expositions internationales les plus prestigieuses. En 2009-2010, ses dessins sont présentés lors d’une exposition solo au National Museum of the American Indian, au George Gustav Heye Centre, à New York, puis en 2012-2013, elle participe à l’exposition collective Oh, Canada au MASS MoCA (Massachusetts Museum of Contemporary Art).
Dernières années et décès
En 2007, peu après avoir remporté le prix Sobey et participé à Documenta 12, Annie Pootoogook quitte Cape Dorset pour s’installer à Ottawa. La vive attention du public n’a pas profité à son art. En effet, elle ne produit que très peu de nouvelles œuvres après son déménagement. On rapporte qu’elle est aux prises avec des problèmes de toxicomanie et qu’elle vit dans la rue en situation de pauvreté et y aurait donné naissance à un enfant. Néanmoins, ce qu’elle a accompli la place parmi les plus grands artistes contemporains du Nord au Canada.
Le 19 septembre 2016, on trouve le corps d’Annie Pootoogook dans le canal Rideau, à Ottawa. Alors qu’on n’a pas conclu qu’il y avait eu homicide, le Groupe des crimes graves du Service de police d’Ottawa continue d’enquêter sur les éléments suspects de l’affaire.
Quelques jours après le décès d’Annie Pootoogook, le sergent Chris Hrnchiar a écrit dans la section des commentaires d’un article du Ottawa Citizensur le sujet « il pourrait s’agir d’un suicide accidentel : elle était ivre, est tombée dans le canal et s’est noyée ». Dans un deuxième commentaire, il écrit « une grande partie de la population autochtone du pays se satisfait d’être des alcooliques et des toxicomanes ». Ces commentaires ont été largement condamnés comme étant racistes et ont donné lieu à une enquête interne sur la conduite du policier.
Les funérailles d’Annie Pootoogook ont eu lieu à Cape Dorset. Le service s’est déroulé entièrement en inuktitut. Les parents adoptifs de sa fille cadette de 4 ans, Napachie, ont pu l’emmener aux funérailles. Cela était la première fois qu’elle rencontrait sa famille inuite élargie.
Voir aussi :Coopératives inuites; Art inuit; et Gravure inuite.