Attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India | l'Encyclopédie Canadienne

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Attentat à la bombe commis contre le vol 182 d’Air India

L’attentat à la bombe perpétré sur le vol d’Air India entre Toronto et Bombay le 23 juin 1985 – qui a tué les 329 personnes à bord – reste l’attaque terroriste la plus meurtrière jamais commise au Canada. Un autre attentat à la bombe survenu le même jour à l’aéroport Narita de Tokyo a tué deux bagagistes. À l’issue d’une enquête sur le meurtre de masse le plus important de l’histoire du pays, qui s’est étalée sur quinze années, deux séparatistes sikhs britanno-colombiens ont été inculpés de meurtre et de complot dans le cadre de ces deux attentats. Ils ont néanmoins été acquittés en 2005. Un troisième accusé, Inderjit Singh Reyat, a été reconnu coupable d’homicide involontaire pour le rôle qu’il a joué dans la fabrication des deux bombes.
Monument commémoratif de la tragédie d
Le monument commémoratif \u00e0 Etobicoke (Ontario), pour les victimes de l'attentat \u00e0 la bombe de 1985 contre le vol 182 d'Air India.

Événements politiques précédant les attentats

En 1983, des séparatistes sikhs armés s’emparent du lieu le plus sacré du sikhisme – le complexe du Temple d’or – à Amritsar, en Inde. À l’intérieur du temple, le charismatique chef séparatiste Jarnail Singh Bhindranwale fait alors campagne pour la création d’une patrie pour les sikhs, le Khalistan, dans l’État indien septentrional du Pendjab. Au début de juin 1984, le premier ministre indien, Indira Gandhi, ordonne le lancement de l’opération Bluestar, une attaque de l’armée indienne sur le temple visant à expulser Jarnail Bhindranwale et ses sympathisants. Jarnail Bhindranwale et des centaines de pèlerins innocents sont tués lors de l’assaut, ce qui provoque des manifestations de protestation partout dans le monde.

Le Temple d
P\u00e8lerin sikh au Temple d'Or \u00e0 Amritsar, le 17 décembre 2007.

Des milliers de manifestants sikhs descendent dans les rues de Vancouver et d’autres villes canadiennes, certains réclamant une vengeance violente contre Gandhi et le gouvernement indien. Parmi ceux prônant ce type de militantisme se trouvent alors deux chefs du groupe extrémiste Babbar Khalsa, son fondateur, Talwinder Singh Parmar, et son lieutenant, Ajaib Singh Bagri.

Le 31 octobre 1984, l’assassinat de Gandhi par ses gardes du corps sikhs déclenche des émeutes anti-sikhs sur tout le territoire indien, au cours desquelles des milliers de personnes vont être tuées.

Au Canada, les propos violents tenus par des groupes tels que Babbar Khalsa et l’International Sikh Youth Federation s’intensifient. Certains de ces discours ciblent des sikhs modérés, comme Ujjal Dosanjh, un éminent avocat de Vancouver, qui est attaqué et battu avec une barre en acier en février 1985. Dosanjh s’inquiète tellement de la montée du militantisme qu’en avril 1985, il écrit au premier ministre Brian Mulroney pour l’avertir que le gouvernement doit intervenir avant que quelque chose de plus sérieux ne survienne.

Valises piégées

Le tout nouveau Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) surveille de près Talwinder Parmar et ses associés. Les agents du SCRS le prennent en filature et le mettent sur écoute téléphonique entre mars et juin 1985. Le 4 juin, ils le suivent jusqu’à Duncan, sur l’île de Vancouver, où il rencontre Inderjit Singh Reyat, un mécanicien local de moteurs de marine, et un inconnu baptisé monsieur X. Talwinder Parmar, Inderjit Reyat et monsieur X conduisent alors jusqu’à un endroit boisé à l’extérieur de la ville, descendent de voiture et pénètrent dans la forêt. Les agents les perdent de vue, mais quelques minutes plus tard, ils entendent une explosion. Le trio vient de tester les explosifs destinés à être utilisés pour l’attentat du vol d’Air India.

Le 19 juin, un des associés de Talwinder Parmar achète deux tickets sur les Lignes aériennes Canadien Pacifique (CP), chacun des vols ayant un vol de correspondance sur Air India. Les tickets, au montant total de 3 005 dollars, sont réglés en liquide et récupérés au bureau de CP situé au centre-ville de Vancouver. Un ticket est au nom de M. Singh, qui a donc un siège sur un vol à destination de Toronto qui permet une correspondance sur le vol 182 d’Air India, et l’autre au nom de L. Singh, pour un vol sur Tokyo avec une correspondance sur un second vol d’Air India. L’identité réelle des deux hommes n’a jamais été déterminée.

Le 22 juin – la journée incontestablement la plus importante pour les terroristes du vol d’Air India –, on ordonne aux agents du SCRS de mettre fin à la surveillance de Talwinder Parmar. Les valises sont enregistrées à l’aéroport international de Vancouver sur les deux vols de CP et, en correspondance, sur les deux vols d’Air India. Aucun des deux passagers, dont les noms apparaissent sur les tickets utilisés pour enregistrer les valises, ne se présentera cependant à l’embarquement de ces deux vols.

Les explosions font des centaines de victimes

Le 23 juin 1985, les bagagistes japonais Hideharu Koda et Hideo Asano déchargent les bagages d’un vol CP à l’aéroport Narita de Tokyo. Lorsqu’ils saisissent l’un des sacs en provenance de Vancouver étiqueté pour être acheminé sur un vol d’Air India, le bagage explose. Les deux hommes sont tués sur le coup.

Au même moment, le vol 182 d’Air India a presque terminé son vol transatlantique de six heures après avoir pris des passagers à Toronto et à Montréal. Rien de spécial à signaler sur ce vol de nuit en direction de Delhi et de Bombay. Le capitaine, Narendra Singh Hanse, et son copilote, Satwinder Singh Bhinder, discutent de la prochaine escale de ravitaillement qu’ils doivent effectuer à l’aéroport Heathrow, à Londres, en Angleterre.

Le Boeing 747 vole plein Est à une altitude de 31 000 pieds lorsque Satwinder Bhinder contacte le contrôleur aérien Michael Quinn, à Shannon, en Irlande, pour confirmer la trajectoire d’approche jusqu’à Londres. Sans aucun signe précurseur, une bombe dissimulée dans une valise explose alors dans une cale arrière de l’appareil. L’explosion ouvre une brèche dans le fuselage qui provoque la dislocation de l’appareil et l’éjection des 307 passagers et des 22 membres d’équipage.

À 7 h 13 – temps universel –, le vol 182 d’Air India disparaît de l’écran radar de Michael Quinn. Pris de panique, celui-ci contacte par radio les autres vols présents dans le secteur, mais aucun d’entre eux ne dit apercevoir l’avion en détresse. Michael Quinn appelle ensuite le Centre de secours maritimes de l’aéroport Shannon en leur communiquant la dernière position connue du vol d’Air India.

Découverte des corps des passagers et des fragments de l’avion

Le navire de commerce Laurentian Forest reçoit vers 8 h 30 un appel d’urgence alors qu’il transporte du papier journal de Québec à Dublin. Le navire se trouve déjà dans la zone du désastre et ne tarde pas à arriver sur une scène de cauchemar : l’océan est jonché de corps et de débris. Les hommes d’équipage Daniel Brown et Mark Stagg passent alors des heures dans un petit bateau de sauvetage à essayer de repêcher le maximum de corps malgré l’assaut des vagues.

Personnel naval irlandais enl\u00e8ve le corps d'une victime de l'attentat \u00e0 la bombe contre le vol 182 d'Air India, en juin 1985.

Un avion de reconnaissance de la Royal Air Force britannique largue des fusées éclairantes pour guider les navires et les hélicoptères de sauvetage qui se rendent sur les lieux. Un hélicoptère de la RAF répond aussi rapidement à l’appel. Le navire militaire irlandais Aisling arrive sur zone juste avant midi et prend le contrôle de la situation. Il lance un canot pneumatique à la mer avec une équipe de trois personnes. Ils passeront plusieurs heures à repêcher des corps, 38 au total. En tout et pour tout, 19 navires, allant de navires de guerre à des petits bateaux de pêche, seront présents sur la zone. Malgré leurs efforts héroïques, seuls 132 corps seront retrouvés sur un total de 329 victimes. Aucun survivant n’a été retrouvé.

La nouvelle de l’attentat à la bombe de Narita et celle du vol d’Air India parviennent aux Canadiens au matin du 23 juin. Les reportages dans les médias font rapidement le lien entre l’attentat et la préparation d’une attaque terroriste en Colombie-Britannique par les séparatistes sikhs qui prônaient une vengeance contre le gouvernement indien.

Début de l’enquête criminelle

Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) n’existe que depuis 11 mois au moment de l’attentat. Ses agents ont néanmoins déjà rassemblé un épais dossier sur le cerveau suspecté de l’affaire, Talwinder Singh Parmar, et sur ces associés.

Lorsque l’agent du SCRS Ray Kobzey entend pour la première fois parler de l’attentat, il pense immédiatement que Talwinder Parmar est derrière l’affaire. Des agents du SCRS, qui travaillent à l’époque sur le dossier des séparatistes sikhs, déclareront plus tard qu’ils ne connaissaient pas très bien les règles du nouveau service au moment de l’attentat. Il régnait une sorte de confusion pour ce qui est de la quantité d’information que le SCRS était censé partager avec les officiers de la GRC – un problème qui allait plomber l’enquête pendant des années et amener à la destruction de centaines d’heures d’enregistrement de communications téléphoniques interceptées entre Talwinder Parmar et d’autres suspects.

Au début, un énorme contingent d’officiers de la GRC est affecté à l’enquête sur la plus grande tuerie de l’histoire canadienne, mais les ressources que l’organisme affecte à cette affaire vont diminuer avec le temps.

Entre-temps, la police japonaise a laborieusement recueilli des preuves concernant le bagage piégé à Narita et ces preuves mettent en cause Inderjit Reyat. La police irlandaise, de son côté, rassemble les restes de l’appareil qui ont été repêchés dans l’océan et s’occupent des restes des victimes qui ont été rassemblés à l’hôpital de la ville de Cork. Quelques-unes des victimes étaient des citoyens indiens, mais la plupart étaient des citoyens canadiens d’origine indienne.

Inderjit Reyat et Talwinder Parmar

Les enquêteurs finissent par concentrer leur attention sur Inderjit Reyat, Talwinder Parmar, Ajaib Bagri et un homme portant le nom de Surjan Singh Gill, qui a quitté le Babbar Khalsa quelques jours seulement avant les attentats. La police semble alors bien progresser, en particulier lorsqu’en novembre 1985, des mandats de perquisition sont délivrés pour permettre la fouille du domicile de plusieurs suspects. Mais seuls Talwinder Parmar et Inderjit Reyat finissent par être inculpés, et seulement pour des chefs d’accusation mineurs tels que possession d’explosifs destinés aux essais des bombes. Les accusations portées à l’encontre de Talwinder Parmar sont par la suite retirées, tandis qu’Inderjit Reyat est condamné à une amende de 2 000 dollars pour possession d’explosifs.

Inderjit Reyat déménage avec sa famille en Irlande en 1986. Il sera finalement accusé, extradé au Canada, reconnu coupable d’homicide involontaire dans le cadre de l’attentat de Narita et condamné à une peine de 10 ans de réclusion.

Talwinder Parmar s’échappe du Canada en 1988 pour aller s’installer au Pakistan. Il sera tué en Inde en 1992. La police indienne au Pendjab prétend à tort qu’il a fait une « mauvaise rencontre », mais il a été en fait arrêté, torturé puis assassiné en détention lors d’une opération locale de répression contre les séparatistes.

Les hauts et les bas de l’enquête

Au milieu des années 1990, l’enquête sur la tragédie d’Air India est depuis quelque temps au point mort. Un petit nombre seulement d’officiers travaillent sur le dossier et les nouveaux indices se font rares.

Gary Bass, un inspecteur de la GRC qui deviendra plus tard commissaire adjoint, va jouer un rôle important dans la relance de l’enquête. En 1995, il charge Doug Henderson, un officier chevronné qui a interrogé Inderjit Reyat dix ans plus tôt, de superviser un réexamen du dossier. Une récompense de 1 million de dollars est annoncée dans l’espoir de recueillir de nouvelles informations. « Dix années se sont écoulées, explique Doug Henderson. De nombreuses personnes, qui à l’époque ont préféré se taire, pourraient être prêtes à parler aujourd’hui ».

Gary Bass critique sévèrement la décision initiale du SCRS d’effacer les enregistrements des conversations téléphoniques interceptées entre les suspects de l’attentat du vol d’Air India. Il rédige une note cinglante en 1996, dans laquelle il explique que des accusations auraient pu être portées plus tôt si les bandes avaient été conservées.

La GRC parvient cependant à obtenir la coopération de témoins clés, notamment l’éditeur de journaux Tara Singh Hayer. Lui-même en son temps séparatiste sikh, Tara Hayer a écrit plusieurs articles mettant en cause les suspects de l’attentat sur le vol d’Air India dans son journal, l’Indo-Canadian Times. Il a lui-même été victime d’une tentative d’assassinat en 1988, après avoir publié des informations qui incriminent Ajaib Bagri. Il s’en était sorti paralysé. Peu de temps après l’annonce par la police que le dossier Air India a été envoyé aux substituts du procureur général aux fins d’obtenir l’autorisation de porter de nouvelles accusations criminelles, Tara Hayer est tué par balle dans le garage de sa maison à Surrey, en Colombie-Britannique.

Accusations de meurtre

Le 27 octobre 2000, Ripudaman Singh Malik est arrêté dans une école privée qu’il a fondée à Surrey. Ajaib Singh Bagri est également arrêté, à l’extérieur de sa maison, à Kamloops, en Colombie-Britannique. Ils sont accusés de conspiration visant à accomplir le meurtre au premier degré des passagers du vol 182 d’Air India. Des chefs d’accusation similaires pèsent sur eux dans le cadre du décès des deux bagagistes japonais. Ajaib Bagri est également accusé de tentative de meurtre sur la personne de Tara Hayer, en 1988, par arme à feu.

Ujjal Dosanjh, alors premier ministre de la Colombie-Britannique, mais qui fut lui-même la cible de la violence séparatiste, déclare à propos des arrestations : « Les habitants de la Colombie-Britannique et du Canada tout entier vont être soulagés puisque finalement, la justice va peut-être être rendue sur ce dossier. Mes pensées vont aux familles des victimes ».

Ujjal Dosanjh

Après la mise en détention de Ripudaman Malik et d’Ajaib Bagri, la police promet d’autres arrestations. Le 29 octobre, Hardial Singh Johal, gardien pour le Conseil scolaire de Vancouver, est interpellé. Il figure depuis longtemps sur la liste des suspects ayant participé à la conspiration, mais les preuves contre lui semblent ténues. Il est d’ailleurs remis en liberté le lendemain même, sans avoir été inculpé.

Il y a ensuite le cas d’Inderjit Reyat, identifié comme complice sur le document d’inculpation pénale, mais pas encore inculpé. Il a été extradé d’Angleterre pour répondre à des accusations qui ne concernent que l’attentat à la bombe de Narita. Mais en juin 2001, Inderjit Reyat, alors emprisonné en Colombie-Britannique, est accusé de meurtre au premier degré des 329 victimes du vol d’Air India.

Les trois accusés sont gardés en détention préventive à Vancouver. Une salle d’audience haute sécurité est construite dans le centre-ville de Vancouver pour un coût dépassant les 7 millions de dollars.

Avant le début du procès, Inderjit Reyat accepte de plaider coupable, mais seulement d’homicide involontaire. On s’attend alors à ce qu’il mette en cause les autres lorsqu’il sera appelé à la barre des témoins par la Couronne. Il sera condamné à seulement cinq ans de prison pour son rôle dans l’attentat qui s’est soldé par la mort de 329 passagers et membres d’équipage sur le vol d’Air India.

Procès pour meurtre de masse

Le procès du siècle, comme l’ont baptisé plusieurs observateurs, débute dans la salle Cour suprême de la Colombie-Britannique le 28 avril 2003. La salle est remplie par les familles des victimes qui attendent depuis 18 ans que justice soit rendue. Sont également présents dans la tribune publique des sympathisants et des membres de la famille des accusés, ainsi qu’un grand nombre de journalistes et de policiers.

Le procureur principal, Bob Wright, expose les faits relatifs au dossier, expliquant que Ripudaman Malik et Ajaib Bagri ont conspiré avec Talwinder Parmar, depuis décédé, Inderjit Reyat et d’autres « inconnus » pour faire exploser en vol l’avion de la compagnie nationale indienne. Les avocats des deux accusés répliquent que les preuves avancées par la Couronne sont ténues et que les témoins présentés à charge entretiennent une rancune à l’égard de Ripudaman Malik et d’Inderjit Bagri.

Durant les seize mois qui suivent, 115 personnes vont venir témoigner devant le juge Ian Josephson dans le cadre de ce procès.

Palais de justice de Vancouver
Le palais de justice con\u00e7u par Arthur Erickson s'int\u00e8gre tr\u00e8s bien aux jardins étagés et \u00e0 l'ancien palais de justice, aujourd'hui la Vancouver Art Gallery (photo de James Marsh).

Le témoin vedette contre Ripudaman Malik travaillait dans la garderie de l’école privée de celui-ci en tant que superviseur. Elle déclare qu’il s’est confessé à elle après qu’ils se sont liés d’amitié. La femme, dont l’identité a été protégée par ordonnance du tribunal, a été contrainte de se soumettre au programme de protection des témoins après avoir reçu des menaces répétées.

Narinder Singh Gill, ancien directeur d’école, témoigne qu’il a entendu Talwinder Parmar parler d’actions violentes visant à se venger du gouvernement indien. Il déclare également que Ripudaman Malik lui a demandé expressément de ne pas collaborer avec la police et qu’il lui a offert de lui payer les conseils d’un avocat.

Un autre associé de Ripudaman Malik, dont le nom a également été protégé par ordonnance du tribunal, témoigne que Malik lui a demandé de transporter une valise sur un vol d’Air India, qu’il lui a expliqué qu’il voulait « donner une leçon au gouvernement indien ». Un deuxième homme témoigne également que Ripudaman Malik lui a un jour demandé de transporter une malette contenant une bombe jusqu’à l’aéroport international de Vancouver.

Il y a également un certain « John », témoin tonitruant et controversé de New York, qui a grandi en Inde dans le même village qu’Ajaib Bagri. C’est un informateur du FBI des États-Unis et il déclare qu’Ajaib Bagri s’est un jour confessé d’avoir participé à l’attentat à la bombe sur le vol d’Air India.

Inderjit Reyat est également appelé à la barre en septembre 2003. Au lieu de coopérer avec l’accusation, il répète qu’il ne parvient pas à se souvenir de détails clés concernant l’attentat du vol d’Air India et ne fait aucune déclaration contre ses anciens coaccusés.

De son côté, la défense appelle à la barre une série de témoins, notamment Mindy Bhandher, un gangster notoire qui a depuis était reconnu coupable de meurtre. Ce dernier jette le doute sur les témoignages de deux témoins contre Ripudaman Malik. Certains des autres témoins de la défense sont également suspectés d’avoir participé à l’attentat, mais ils nient leur participation lorsqu’on les interroge devant la cour.

Le procès se termine le 3 décembre 2004. Le juge Ian Josephson annonce alors qu’il livrera son verdict en mars 2005.

La GRC offre des fonds aux membres des familles des victimes répartis dans le monde entier pour qu’ils puissent prendre l’avion et venir assister à Vancouver au rendu du verdict. Beaucoup d’entre eux sont convaincus qu’une certaine justice va finalement être rendue en leur faveur. Ils tombent néanmoins des nues et sont secoués de sanglots lorsque le juge Ian Josephson déclare les deux hommes non coupables et explique que les preuves présentées par la Couronne se sont avérées « très loin » de la norme. Ripudaman Malik et Ajaib Bagri sortent tous les deux libres du tribunal en compagnie de leur famille dans l’heure qui suit.

Retombées

Les familles des victimes, dévastées, réclament à nouveau une enquête publique sur l’attentat à la bombe. Le gouvernement fédéral s’oppose dans un premier temps à cette demande, mais finit par charger l’ancien premier ministre de l’Ontario, Bob Rae, d’examiner le dossier et de formuler des recommandations concernant la portée de l’enquête.

Le 23 juin 2005, jour du 20e anniversaire des deux attentats, le premier ministre libéral Paul Martin assiste à une cérémonie commémorative à Ahakista, en Irlande, avec les familles des victimes. C’est la première fois qu’un premier ministre canadien se rend les lieux où a été édifié le monument commémoratif irlandais juste après l’attentat.

En novembre 2005, le gouvernement de Martin approuve la tenue par Rae d’une enquête publique limitée. Lorsque les conservateurs, sous la conduite du premier ministre Stephen Harper, arrivent au pouvoir en janvier 2006, ils annoncent la mise en place d’une enquête judiciaire étendue menée par John Major, un juge de la Cour suprême du Canada à la retraite .

Enquête

Pendant 18 mois, John Major entend plusieurs témoignages faisant état d’avertissements, concernant les attentats, qui n’auraient pas été pris en compte. Il y a d’abord un télex d’Air India, en juin 1985, selon lequel des avions pourraient être la cible de « dispositifs à retardement ». De son côté, le lieutenant-gouverneur de l’Ontario, James Bartleman, témoigne qu’en tant que haut fonctionnaire des services de renseignement au ministère des Affaires étrangères, il a vu passer une note de sécurité contenant un avertissement spécifique au sujet d’une menace contre la ligne aérienne la fin de semaine où a eu lieu l’attentat.

L’enquête permet également de mettre au jour des tensions entre la GRC et le SCRS, notamment des rivalités mesquines, une confusion concernant les politiques en vigueur, et un désordre généralisé pour ce qui est du traitement des renseignements dans la période qui précède l’attentat.

Ujjal Dosanjh, à l’époque membre libéral du Parlement, et Dave, le fils de Tara Hayer, alors membre de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, témoignent du climat de peur qui a régné pendant deux décennies au sein de la communauté indo-canadienne de la Colombie-Britannique. Ils expliquent que les menaces et les attaques extrémistes, et même le meurtre du père de Dave Hayer, n’ont pas fait l’objet de poursuites.

Le 17 juin 2010, John Major publie un rapport de 4 000 pages en cinq volumes dans lequel il formule 64 recommandations. Il y reproche aux gouvernements canadiens successifs d’avoir traité les familles de ceux qui sont morts dans l’attaque terroriste la plus meurtrière du pays comme des « adversaires, comme s’ils avaient d’une certaine façon attiré sur eux-mêmes cette catastrophe ». Il y explique aussi que ces personnes méritent des excuses et un dédommagement – une recommandation que le premier ministre Stephen Harper va immédiatement accepter.

Stephen Harper

Dans son rapport, John Major critique également la GRC, le SCRS et d’autres organismes gouvernementaux pour avoir ignoré plusieurs avertissements et n’avoir pas agi pour empêcher les deux attentats. « Une série d’erreurs en cascade a contribué à l’échec de nos forces de police et de sécurité, qui n’ont pas su prévenir cette atrocité, explique-t-il. L’ampleur des erreurs, de l’incompétence et de l’inattention qui ont précédé le vol n’a eu d’égal que le triste comportement des gouvernements et des institutions dans la foulée de l’attentat et durant les années qui ont suivi : dans la conduite de l’enquête, la gestion des poursuites, et le soutien apporté aux familles, que ce soit pour les informer ou les réconforter. »

John Major réclame dans son rapport que le conseiller en sécurité nationale du gouvernement fédéral soit chargé d’éviter que les différents organismes se livrent des batailles de compétences. Il y réclame également la nomination d’un directeur national des poursuites relatives au terrorisme et d’un coordinateur du programme de protection des témoins dans les affaires de terrorisme, et des mesures étendues visant à combler les lacunes qui affectent la sécurité des aéroports.

Excuses du gouvernement fédéral

Une semaine plus tard, le jour du 25e anniversaire de l’attentat, le premier ministre Harper prononce des excuses officielles pour les erreurs commises par les organismes gouvernementaux avant et après la tragédie.

Le 19 septembre 2010, un jury reconnaît Inderjit Singh Reyat coupable de parjure pour avoir menti lors du procès de l’attentat sur le vol d’Air India. Lorsque le juge Mark McEwan le condamne à neuf ans de prison, il note qu’Inderjit Reyat « ne se comporte pas comme un homme éprouvant des remords après avoir été involontairement impliqué dans un meurtre de masse. À la barre des témoins, M. Inderjit Reyat se comporte comme un homme qui est toujours engagé dans une cause pour laquelle des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants peuvent être sacrifiés ».

Inderjit Reyat sera transféré dans un foyer de transition en janvier 2016. Un an plus tard, la commission des libérations conditionnelles déclare qu’il peut maintenant rentrer chez lui.

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