Politique de l'agriculture et de l'alimentation
La politique sur l'agriculture du gouvernement fédéral est destinée à atteindre les objectifs économiques et politiques nationaux et à servir les intérêts des gens directement ou indirectement concernés par l'agriculture, principalement les producteurs, les fabricants de produits alimentaires, les distributeurs, les détaillants et les consommateurs. La Commission de planification de l'Agriculture canadienne et des publications officielles comme L'agriculture canadienne des années soixante-dix (1969), Une stratégie alimentaire pour le Canada (1977) et Orientations de l'agriculture canadienne (publiées en quatre volumes en 1977), identifient les objectifs de la nation comme étant les suivants : l'expansion économique, l'augmentation et la stabilisation des revenus, le plein emploi et l'harmonie des relations internationales et fédérales-provinciales. Les objectifs plus spécifiques en matière d'agriculture incluent des profits stables et justes pour les agriculteurs, l'approvisionnement approprié d'aliments nutritifs et d'excellente qualité à des prix stables et raisonnables, le développement rural et la conservation des ressources. En plus de ces objectifs traditionnels, la politique agricole canadienne des années 90 s'est fixée de nouveaux objectifs. La publication d'Agriculture Canada intitulée Partenaires dans la croissance : une vision de l'industrie agroalimentaire canadienne (1989 et 1994) et leurs orientations futures des secteurs agricoles et agroalimentaires de 1994 insistent sur la nécessité d'être plus autonome et axé sur le marché, moins dépendant de l'aide financière gouvernementale et plus concurrentiel sur les marchés internationaux. Parallèlement, on y maintient toujours les objectifs de longue date concernant l'approvisionnement alimentaire sans risque et de haute qualité et la sécurité financière pour les producteurs.
Objectifs de la politique
De la Confédération jusqu'à la fin des années 50, la politique agricole fédérale est élaborée de façon à réglementer la production des provinces de l'Ouest et à produire des aliments pour le Canada, pour ses partenaires commerciaux et pour ses alliés. Dans les années suivant la Confédération, on encourage l'expansion de l'agriculture par l'immigration et la colonisation de l'Ouest et le Ministère De L'Agriculture commence son programme actuel de recherche et de développement scientifique et de fermes expérimentales. Les gouvernements encouragent la production et l'exportation des céréales. Les coûts de transport pour l'exportation des céréales provenant des Prairies sont fixés dès 1897 dans la Convention Du Nid-De-Corbeau. Mais les agriculteurs sont préoccupés par le manque de concurrence dans la commercialisation des céréales et les pratiques commerciales monopolistiques des entreprises céréalières et des exploitants de silo-élévateurs privés. Ils exigent donc la réglementation du système de manutention des céréales, notamment l'inspection et les normes gouvernementales, l'étatisation des silo-élévateurs et de leur exploitation et la mise sur pied d'une agence de mise en marché gouvernementale. On accède peu à peu à leurs revendications, ce qui ouvre la voie au système moderne de manutention et de commercialisation des céréales.
Durant la Première Guerre mondiale, le gouvernement forme la Commission des surveillants du commerce du grain pour empêcher la spéculation sur le prix du blé en établissant le prix des récoltes de 1917 et 1918. L'année suivante, cette tâche revient à la Commission Canadienne Du Blé. Lorsque la Commission cesse ses activités, les producteurs mettent sur pied leurs propres groupements coopératifs pour manutentionner et vendre le grain des Prairies (voir Mouvement Coopératif). La disparition de ces groupements en 1930 conduit à la création permanente de la Commission canadienne du blé en 1935, qui reçoit en 1943 toute autorité en matière de blé provenant des Prairies et, entre 1949 et 1973, en matière d'avoine et d'orge.
La Crise Des Années 30 oblige les gouvernements à considérer les problèmes propres à l'agriculture, notamment les revenus, qui sont peu élevés et instables. Plusieurs sécheresses et mauvaises récoltes, combinées aux prix des produits agricoles en baisse, amènent le gouvernement fédéral à promulguer la Loi sur le rétablissement agricole des Prairies (1935) et la Loi sur l'assistance à l'agriculture des Prairies (1939). En vertu de la Loi sur le rétablissement agricole des Prairies, les gouvernements fédéral et provinciaux collaborent à des programmes de remise en culture de terres agricoles, de développement de sources d'approvisionnement en eau dans les fermes et de pâturages collectifs et de relocalisation sur des terres arables des personnes touchées par la sécheresse. Aujourd'hui, les trois premiers aspects sont toujours compris dans la Loi. La Loi sur l'assistance à l'agriculture des Prairies permet d'offrir des paiements minimums aux exploitants agricoles marginaux dont la production est inférieure à la normale.
Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, l'agriculture reprend de l'importance en raison de sa contribution aux objectifs nationaux. Les besoins de la communauté agricole et les préoccupations des producteurs sont toutefois secondaires; on vise plutôt à soutenir l'effort de guerre en approvisionnant les Alliés du Canada et à contenir l'inflation intérieure et les prix à la consommation. Malgré tout, un certain nombre de programmes adoptés à cette époque sont toujours en vigueur aujourd'hui, notamment le Programme d'aide au transport des céréales fourragères (1941), la Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles (1944) et le concept de subventions publiques pour soutenir le prix des produits de base et le revenu des producteurs.
Le Programme d'aide au transport des céréales fourragères stimule l'élevage du bétail en subventionnant l'entreposage et le transport des céréales fourragères des Prairies vers l'Est du Canada et la Colombie-Britannique. Les subventions et le soutien des prix encouragent la production des produits de base essentiels et compensent les prix maximums qui limitent l'augmentation des prix des produits malgré l'augmentation des coûts. La reconnaissance du gouvernement envers la contribution de l'agriculture à l'effort de guerre l'amène à offrir certaines garanties de protection du revenu après la guerre. L'Office de soutien des prix agricoles (1944) est autorisé à fixer des prix, à acheter et à vendre des produits et à payer aux producteurs la différence entre les prix prescrits et les prix de vente. Enfin, grâce à la Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles (1944), les agriculteurs peuvent obtenir des prêts à moyen et court terme.
La politique agricole des années 50 et 60 vise à augmenter la productivité et l'efficacité de l'agriculture et, par conséquent, à augmenter et stabiliser le prix des produits. Le crédit devient accessible grâce à la Loi sur le crédit agricole (1959), qui encourage également la mécanisation et l'expansion des exploitations agricoles. L'Office de stabilisation des prix agricoles (1958), anciennement l'Office des prix agricoles, fournit aux agriculteurs une mesure préventive contre le système de marché concurrentiel et toujours fluctuant en garantissant un prix de base pour certains produits sélectionnés Les dépenses engagées par le gouvernement fédéral afin de soutenir et de stabiliser le prix des produits laitiers prennent une ampleur considérable au cours des années 70, comptant pour 80 p. 100 des sommes attribuées aux programmes de maintien des coûts et des revenus. Cet effort de stabilisation se prolonge par la création, en 1966, de la Commission canadienne du lait (voir Syndicat National Des Cultivateurs). En 1959, les gouvernements provinciaux et fédéral créent un programme d'assurance-récolte qui permet de réduire les pertes dues aux catastrophes naturelles. La Loi sur la remise en valeur et l'aménagement des terres agricoles, devenue plus tard la Loi sur l'aménagement rural et le développement agricole (1960), et le Fonds de développement économique rural (1966), auxquels les deux ordres de gouvernement participent, sont destinés à améliorer la viabilité des collectivités rurales grâce à une meilleure utilisation des ressources et au recyclage qui facilite le passage des fermiers marginaux à d'autres emplois. En outre, le Programme de paiements anticipés pour le grain des Prairies (1957) autorise la Commission canadienne du blé à effectuer des paiements par anticipation aux producteurs sur une partie du grain entreposé à la ferme.
Les programmes du gouvernement fédéral, antérieurs aux années 70, interviennent le moins possible dans le système de marché concurrentiel de la fixation des prix. Les agriculteurs reçoivent les prix courants et les programmes de stabilisation compensent les revenus agricoles lorsque les prix sont inférieurs à la moyenne, mais le font de façon à réduire au minimum les déséquilibres de fonctionnement du système de marché. Pendant que la Commission canadienne du blé s'occupe de la mise en marché des céréales et de l'équité dans la fixation des prix, le prix des céréales est établi selon la fluctuation des facteurs du marché mondial. Les gouvernements provinciaux ont permis aux producteurs de regrouper leur production et de la vendre par l'intermédiaire des régies provinciales de commercialisation ou des coopératives alimentaires qui peuvent négocier des prix plus élevés. Après que la législation fédérale permettant les régies de commercialisation a été déclarée inconstitutionnelle (Renvoi de l'organisation du marché de produits agricoles, 1937), le gouvernement fédéral vote la Loi sur l'organisation du marché des produits agricoles (1949). Les régies provinciales se voient déléguer l'autorité, par le fédéral, de réglementer l'exportation des produits et le commerce interprovincial. Ces régies ne peuvent cependant pas limiter l'exportation des produits d'autres pays ou d'autres provinces, et sont, par conséquent, incapables de contrôler l'approvisionnement et les prix des produits réglementés.
Au cours des années 70, sous l'effet de l'instabilité des marchés et de l'importante compression du prix de revient pour les agriculteurs, les gouvernements provinciaux amorcent des programmes de maintien du revenu et le gouvernement fédéral étend les siens. Le Québec, la Colombie-Britannique et l'Ontario votent une législation complète sur la stabilisation et plusieurs autres provinces entreprennent de protéger les producteurs de porcs et de bovins contre l'instabilité des marchés et la dépréciation des prix. En 1975, le gouvernement fédéral modifie la Loi sur la stabilisation des prix agricoles et, en 1976, il adopte la Loi sur la stabilisation concernant le grain de l'Ouest. En vertu de la première loi, le gouvernement s'engage à soutenir les prix du lait et de la crème, du maïs, du soja, du boeuf de boucherie, du porc, du mouton, de l'avoine et de l'orge produits hors des limites de la Commission canadienne du blé, à 90 p. 100 de la moyenne des cinq années précédentes. La deuxième loi stabilise le revenu net de l'avoine, de l'orge, du blé, du colza canola, du lin et du seigle. Combinés aux programmes d'assurance-récolte, ces programmes exigent près de 50 p. 100 du budget fédéral en matière d'agriculture et assurent la protection de la majorité des produits.
La plus innovatrice des politiques des années 70 permet aux producteurs de fixer le prix des produits (voir Opérations Sur Marchandises). La Loi sur les offices de commercialisation des produits de ferme (1972) autorise la création de quatre offices de commercialisation : l'Office canadien de commercialisation des oeufs (1972), l'Office canadien de commercialisation du dindon (1973), l'Office canadien de commercialisation du poulet (1979) et l'Office canadien de commercialisation des oeufs d'incubation de poulet de chair (1986). L'exclusion des importations de produits soumis à la gestion de l'approvisionnement, permis en vertu de l'Accord Général Sur Les Tarifs Douaniers Et Le Commerce (GATT), réserve le marché canadien aux producteurs d'oeufs et de volailles du Canada. La gestion de l'approvisionnement a été mise en oeuvre plus tôt dans l'industrie laitière.
Entre 1970 et 1972, un contingentement de la production est créé pour tenter d'établir un équilibre entre le lait et la crème destinés à l'industrie et la demande intérieure. Combiné avec le contrôle des importations (en vigueur depuis 1951) et des subventions fédérales, ce système augmente considérablement puis stabilise les revenus des agriculteurs de l'industrie laitière. Cette politique est modifiée profondément en 1973, et après 1976, elle détermine un prix maximum pour les céréales fourragères destinées aux acheteurs de l'Est du Canada. Le programme d'aide au transport des céréales s'est terminé en juillet 1995 et l'Office canadien des provendes disparaît.
Au début des années 80, les deux ordres de gouvernement encouragent fortement l'augmentation du pouvoir de négociation des agriculteurs en intervenant directement sur le marché par la réglementation de la production et en surveillant la fixation des prix. Bien que les dépenses fédérales en agriculture soient le double de celles des provinces, plusieurs d'entre elles ne sont plus d'accord pour laisser au gouvernement fédéral la mainmise sur les politiques agricoles. Au Québec, après l'élection du Parti Québécois en 1976, le gouvernement provincial conçoit de plus en plus de mesures et augmente les dépenses dans le but d'atteindre l'autosuffisance en matière de denrées alimentaires. Le système agroalimentaire du Québec repose sur quatre piliers basés sur les lois provinciales et fédérales : la stabilisation du revenu, l'octroi de crédit, l'Assurance-Récolte et le marché réglementé. Au milieu des années 90, le gouvernement du Québec supporte les deux tiers des dépenses nettes globales liées à l'agriculture de la province, alors qu'au milieu des années 60 et au début des années 70, c'était plutôt le gouvernement du Canada qui couvrait ces coûts.
Dans les années 80, les programmes relatifs au secteur canadien des céréales et des graines oléagineuses subissent de profonds changements. En 1983, à la suite d'un débat prolongé et fractionnel dans la communauté agricole des Prairies, le gouvernement canadien élimine les taux de transport de la Convention du Nid-de-Corbeau. Bien que la Loi sur le transport du grain de l'Ouest prévoie l'octroi de subventions gouvernementales en permanence aux chemins de fer afin de défrayer les coûts de transport du grain des Prairies vers les marchés extérieurs, le droit des fermiers à recevoir une aide au transport « perpétuelle » se termine. Ils sont donc tenus d'assumer une augmentation importante des coûts de transport.
D'autres changements dans les programmes gouvernementaux surviennent en raison de situations financières très difficiles pour les collectivités des Prairies qui se sont produites pendant une grande partie des années 80. La « guerre du commerce du grain » au milieu et à la fin des années 80 entre les États-Unis et la Communauté européenne entraîne la dégringolade du prix du grain canadien. La communauté agricole des Prairies, étranglée par d'énormes dettes et des taux d'intérêts élevés sans précédent, connaît une dépression qui s'apparente à celle des années 30. Les paiements reçus en vertu de la Loi de stabilisation concernant le grain de l'Ouest sont peu élevés et continuent à diminuer. En 1986-1987, les céréaliculteurs reçoivent une aide gouvernementale d'un milliard de dollars grâce au Programme spécial canadien pour les grains, qui permet aussi d'éponger la dette de 400 $ millions de la Société Du Crédit Agricole. L'Agriculture Credit Corporation de la Saskatchewan s'endette aussi considérablement en tentant d'empêcher les fermiers de quitter leur terre.
Deux événements signifient que ces paiements importants aux fermiers ne peuvent plus se poursuivre indéfiniment. Le premier est la dégradation de la situation fiscale des gouvernements fédéral et provinciaux dont les déficits élevés font de plus en plus parti du débat politique. Afin de réduire ses propres responsabilités financières en relation avec la sécurité et la stabilisation des revenus des agriculteurs, Ottawa apporte des changements aux programmes de protection de revenu dans le secteur des céréales et des graines oléagineuses de façon à ce que les producteurs et les provinces assument la majorité des coûts. En 1991, on introduit deux nouveaux programmes au soutien du revenu des céréaliculteurs.
Le premier programme, le Régime d'assurance-revenu brut, assure à court terme le revenu brut des fermiers pour des produits particuliers. Cette assurance offre une protection contre les désastres naturels ou les risques du marché indépendants de la volonté des producteurs. Contrairement à l'ancienne Loi de stabilisation concernant le grain de l'Ouest, les gouvernements provinciaux versent dans ce régime des fonds équivalents à ceux du gouvernement canadien. Les producteurs paient aussi des primes, conformément à la Loi. Le deuxième programme, le Compte de stabilisation du revenu net, permet à un fermier de se constituer un fonds dans lequel il peut puiser lorsque son revenu est inférieur à un montant déterminé. Ce programme diffère des programmes conçus pour stabiliser le rendement des fermiers à partir de produits agricoles individuels parce qu'il stabilise les revenus en fonction des activités globales de la ferme. Les contributions des gouvernements fédéral et provinciaux ainsi que des agriculteurs assurent le financement du Compte de stabilisation du revenu net.
Le second catalyseur des changements politiques en agriculture découle des graves tensions dans les relations commerciales internationales engendrées par la protection accordée par les pays industriels à leurs producteurs nationaux. Étant donné l'importance des marchés d'exportation dans les secteurs canadiens du grain, du boeuf et du porc, le gouvernement canadien s'est montré préoccupé par la montée du protectionnisme des politiques commerciales américaines durant les années 80. En 1984, les limites imposées à la pénétration du Canada sur les marchés américains du porc par des intérêts américains et les différends commerciaux qui existent sur certains produits alimentaires et la pêche, poussent le gouvernement canadien à exiger des règlements commerciaux plus clairs et un mécanisme de règlement bilatéral des différends en vertu de l'accord de Libre-Échange (ALÉ) avec les États-Unis En vigueur en janvier 1989, l'ALÉ est étendu pour inclure le Mexique dans l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) en 1993. Ces accords régionaux ont augmenté l'interdépendance Canada-États-Unis dans le commerce agroalimentaire. En 1984, 30 p. 100 des exportations agroalimentaires canadiennes sont destinées aux États-Unis; en 1993, ces chiffres sont de 55 p. 100 en raison de l'augmentation des exportations d'animaux vivants, de boeuf et de boissons. Les importations américaines au Canada, qui représentent 55 p. 100 des importations agroalimentaires canadiennes totales en 1984, atteignent 61 p. 100 en 1993. Les intérêts internes américains continuent de résister à la pénétration canadienne des marchés américains. En 1994-1995, le Canada doit accepter un seuil pour le volume de ses exportations de blé vers les États-Unis.
L'importance des marchés mondiaux pour le secteur canadien des céréales et des graines oléagineuses amène le Canada à se joindre au Groupe de Cairns, pays exportateurs de produits agricoles qui, sous la gouverne des États-Unis, lancent les négociations d'Uruguay du GATT en 1986. L'objectif est de libéraliser le commerce des produits agricoles et d'ouvrir les marchés agricoles intérieurs à la concurrence internationale. Ces négociations multilatérales sont très ardues pour le Canada. D'une part, le Canada recherche des marchés étrangers pour écouler ses céréales et ses graines oléagineuses par le biais de nouveaux règlements qui interdisent les subventions à l'exportation. Pendant ce temps, la Communauté européenne et les États-Unis réussissent à subventionner leurs exportations de céréales pour les vendre moins cher que le Canada aux pays importateurs de céréales. D'autre part, les négociateurs canadiens cherchent à poursuivre la protection accordée au marché interne de la volaille, des oeufs et des producteurs laitiers en conservant le droit de restreindre le volume des importations lorsque les produits sont soumis à la gestion intérieure.
Le GATT, signé en 1993 et entré en vigueur en 1996, exige que tous les pays réduisent leurs subventions à l'exportation, permettent davantage d'importations et coupent le soutien global aux producteurs internes. Le Canada n'a pas réussi à maintenir le contrôle des volumes pour les produits soumis à la gestion de l'offre et doit donc accepter plus de volailles et de produits laitiers importés. Toutefois, les tarifs élevés des importations de produits laitiers et de volaille à moyen terme donne à ces secteurs le temps de s'ajuster aux tarifs moins élevés et à la concurrence des produits importés.
Pour les secteurs canadiens des céréales et des graines oléagineuses, la faible réduction des subventions à l'exportation autorisées facilite l'accès aux marchés étrangers, même si elle compromet les subventions au transport en vertu de la Loi sur le transport du grain de l'Ouest. Dans son budget de 1995, le gouvernement fédéral a annoncé la fin des subventions à l'exportation des céréales, décision dictée autant par les restrictions budgétaires que par les exigences du nouveau GATT.
Dès le milieu des années 90, des contraintes budgétaires et de nouvelles règles en matière de commerce international provoquent une importante réforme des politiques agricoles et modifient le rôle des gouvernements fédéral et provinciaux dans le secteur agroalimentaire du Canada. Dans le secteur des céréales et des graines oléagineuses, le budget fédéral de 1995 annonce non seulement la fin de l'aide au transport dans les exportations mais également une réduction de 30 p. 100 du soutien fédéral dans les programmes de protection du revenu. Les programmes de soutien aux prix des produits laitiers connaissent aussi une réduction de cette ampleur, et ils se termineront de façon progressive d'ici l'an 2000. Quant aux producteurs de bétail et de porc, ils avaient déjà opté pour la cessation de leurs programmes de stabilisation parce qu'ils craignaient une réaction brutale de l'important marché américain.
En 1994-1995, le budget agroalimentaire du gouvernement canadien est de 55 p. 100, une baisse par rapport au 64,5 p. 100 en 1988-1989. Pour compenser l'écart, les provinces dépensent davantage, surtout le Québec et la Saskatchewan. La réduction des budgets dans la recherche agricole, les mesures de recouvrement des coûts pour l'inspection des aliments, l'élimination de la répétition ou du chevauchement des programmes et des règlements fédéraux et provinciaux ont miné le rôle de chef de file du gouvernement fédéral et la capacité du ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire d'élaborer des programmes nationaux. En 1996, au lieu d'offrir un seul programme national de protection du revenu pour le secteur des céréales et des graines oléagineuses, on autorise différentes assurances-récoltes provinciales, la stabilisation des exploitations agricoles au complet (Compte de stabilisation du revenu net (CSRN), Régime d'assurance-revenu brut (RARB) ou un autre programme) et une protection provinciale propre à chaque province.
À l'approche du XXIe siècle, les questions relatives à l'expansion du commerce d'exportation, au développement des marchés et à la concurrence internationale sont au premier plan de la politique agricole canadienne. Traditionnellement axée sur le producteur, la politique se concentre désormais sur une association entre les gouvernements et tous les secteurs de l'industrie agroalimentaire, dont chacun assume sa part de responsabilités financières en ce qui concerne la recherche, l'inspection des aliments ainsi que la mise en valeur du commerce et des marchés. Les activités de transformation qui ajoutent de la valeur aux marchandises en vrac, la diversification dans des produits non traditionnels et l'usage non alimentaire des produits font partie des moyens utilisés pour assurer la survie des collectivités rurales, la durabilité des ressources disponibles et la sécurité financière des exploitations agricoles.
Élaboration et mise en oeuvre de la politique
Malgré la juridiction partagée par le fédéral et le provincial en regard de l'agriculture, c'est la loi fédérale qui prévaut en cas de conflit. L'autorité en matière de commercialisation est répartie de la façon suivante : le gouvernement fédéral régit les exportations et la commercialisation entre les provinces, tandis que les gouvernements provinciaux régissent la commercialisation à l'intérieur de leurs frontières. À l'échelle provinciale, les politiques agroalimentaires sont pratiquement toujours la responsabilité du ministère de l'Agriculture. Dans de nombreuses provinces, les ministères agricoles ont été rebaptisés pour refléter leur nouveau mandat touchant l'aménagement rural, l'agriculture, les aliments et les pêches. À l'échelle fédérale, le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire est toujours le ministère central des questions agricoles.
Puisque le commerce des produits agricoles est de plus en plus important pour l'agriculture canadienne, le ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire travaille en étroite collaboration avec le ministre responsable du commerce international, à qui revient la responsabilité finale de la politique commerciale. Un certain nombre d'agences et de comités ayant des responsabilités déléguées concernant des produits particuliers relèvent du ministre de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire. C'est le cas du Conseil national de commercialisation des produits agricoles (nommé par le ministre et responsable de la supervision des offices de commercialisation nationales du poulet, de la dinde, des oeufs et des couvoirs), de la Commission canadienne du lait, de la Société du crédit agricole, de la Commission canadienne du blé, de la Commission canadienne des grains et de l'Administration Du Rétablissement Agricole Des Prairies. Le ministre des Transports supervise le transport des céréales par train et par bateau.
Comme les deux ordres de gouvernement ont juridiction sur l'agriculture, les ministres de l'agriculture fédéral et provinciaux s'efforcent de coopérer lorsque vient le temps d'élaborer et de mettre en oeuvre une politique agricole. Dans les années 90, cette collaboration a été mise à rude épreuve lorsque le fédéral s'est retiré de certains programmes financiers. Des provinces, comme la Saskatchewan qui compte depuis toujours sur l'importante aide financière du fédéral, se sont plaintes de l'échec d'Ottawa à assumer ses responsabilités. Un fédéralisme concurrentiel caractérise la relation du gouvernement fédéral avec le Québec et l'Alberta.
Les ministres de l'Agriculture du Québec, soutenus par le syndicat agricole québécois, l'Union des producteurs agricoles, souhaitent réduire le rôle du gouvernement canadien dans l'agriculture québécoise. C'est ainsi que, plutôt que d'avoir des programmes nationaux qui s'appliquent au Québec, ils ont réussi à faire transférer des fonds pour financer des programmes agroalimentaires élaborés et mis en oeuvre dans la province. Le Québec se démarque du gouvernement fédéral dans l'aide permanente de l'État au secteur agricole. À l'autre extrémité, se trouve l'Alberta qui s'oppose aux programmes fédéraux incompatibles avec ses objectifs d'une présence discrète de la part d'un petit gouvernement provincial.
Par tradition, les associations professionnelles agricoles font partie de la politique communautaire agricole et aucune politique agroalimentaire n'est élaborée sans qu'elles ne soient consultées. Cette pratique s'intensifie à la fin des années 80 et 90 lorsque les gouvernements canadien et provinciaux demandent l'avis et le consentement des producteurs sur des réformes de la politique agricole. Dans certains secteurs, le rôle des producteurs en matière de politique, surtout dans les secteurs des produits laitiers et de la volaille soumis à la gestion de l'offre, va au delà de la consultation et comprend parfois la délégation de pouvoirs importants. Les relations entre les ministres de l'agriculture et les syndicats agricoles sont encore plus étroites au niveau provincial qu'au niveau national, surtout en Saskatchewan et au Québec. Toutefois, l'influence des associations de producteurs sur la politique gouvernementale, spécialement en ce qui concerne la politique agroalimentaire nationale, a diminué au cours des dernières décennies. Cette diminution s'explique en partie par les différends idéologiques et la fragmentation organisationnelle de la communauté agricole, et par la volonté du gouvernement d'établir des liens plus étroits avec d'autres secteurs de la chaîne alimentaire, essentiellement les transformateurs, les transformateurs de second cycle, les distributeurs et les commerçants, afin de maximiser la concurrence des marchés du secteur.
Critique de la politique
Les critiques relatives à la politique agricole canadienne diffèrent d'une époque à l'autre, et reposent essentiellement sur la négligence perçue des gouvernements envers les problèmes importants ou leur incapacité à équilibrer les objectifs contradictoires dans le domaine économique, social et politique sous-jacents à la politique agricole. Pour certains, notamment la plupart des économistes agricoles, la politique agricole ne doit viser que des objectifs économiques et maximiser le bien-être global du pays. Pour d'autres, dont un grand nombre d'intervenants de l'industrie agroalimentaire, la politique agricole doit assurer l'équilibre entre un secteur agricole efficace et des objectifs sociaux, comme la préservation des fermes familiales et la survie des collectivités rurales. Ils allèguent qu'on ne doit pas oublier non plus les objectifs politiques, y compris la contribution à l'unité nationale par des politiques conçues pour garantir un traitement équitable des producteurs et des intérêts agroalimentaires de chaque région.
La plainte la plus fréquente des années 70 et 80 était que le gouvernement se préoccupait des problèmes des producteurs au détriment des intérêts des consommateurs. Ces critiques s'adressaient principalement aux offices de commercialisation nationaux dans les secteurs des produits laitiers et de la volaille. On reproche à ces offices monopolistiques d'augmenter indûment le prix des aliments, de permettre à des agriculteurs incompétents de persévérer dans ce domaine et d'empêcher de jeunes agriculteurs d'accéder à l'industrie des produits laitiers en gonflant la valeur des quotas et en augmentant par le fait même le coût des activités agricoles. On assiste à des tensions interprovinciales lorsque les provinces dont la population s'accroît veulent augmenter leur part du marché disponible, tandis que les provinces dont la population stagne ou décline refusent de la diminuer.
La tendance qui consiste à protéger les marchés de consommation locaux pour les producteurs locaux afflige le gouvernement fédéral, qui préconise une répartition géographique de la production basée sur les avantages comparatifs. À la suite d'intenses discussions avec tous les secteurs des industries des produits soumis à la gestion de l'offre, et dans le sillage des recommandations du Groupe de travail fédéral-provincial sur la commercialisation ordonnée, le ministre fédéral de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire, en collaboration avec ses collègues provinciaux, introduit plusieurs changements pour apaiser les critiques relatives aux offices de commercialisation en matière de produits laitiers et de volaille. Des changements structuraux permettent une meilleure représentation des intérêts non producteurs (consommateurs, transformateur de second cycle) aux offices nationaux de commercialisation et leur donnent le droit de vote. Des changements opérationnels sont adoptés afin de rendre les comités intérieurs de commercialisation plus enclins à reconnaître les préférences changeantes des consommateurs et les forces du marché et de permettre à la production de se déplacer dans des provinces plus économiques.
On reproche depuis longtemps à la politique agricole de ne pas avoir réussi à assurer la survie des exploitations agricoles familiales et des collectivités rurales. La question est particulièrement importante dans les années 80, lorsque plus de la moitié des collectivités agricoles des Prairies sont très endettées et qu'un grand nombre de cultivateurs, dont des jeunes, sont obligés d'abandonner l'agriculture. On assiste alors à un débat passionné sur le bien-fondé des mesures prises pour solutionner l'endettement, notamment les bureaux d'examen de l'endettement agricole qui ont servi de médiateurs entre l'institution prêteuse et l'agriculteur et le Programme de réorientation des agriculteurs qui aident financièrement les agriculteurs à se recycler dans une autre profession. La réussite de mesures plus récentes visant à créer de l'emploi dans les régions rurales reste à voir. Cependant, de nombreuses personnes des collectivités rurales craignent que la préoccupation des gouvernements envers la concurrence et l'efficacité commerciale nécessite davantage de consolidation et de capitalisation dans le secteur de la production agricole et mette ainsi en péril les exploitations agricoles familiales.
À la fin des années 90, les nombreuses préoccupations environnementales font partie de ces questions qui continuent à créer une polémique dans le milieu des politiques agricoles. Elles comprennent des mesures législatives relatives à l'utilisation durable des ressources, à la préservation des terres agricoles, à l'utilisation des Biotechnologies et au « droit de produire ». Une autre source de conflit non résolu concerne la pertinence des agences de vente à guichet unique, comme la Commission canadienne du blé. Ceux qui la critiquent prétendent qu'elle est anachronique, inefficace et une contrainte aux projets des producteurs dans la nouvelle ère de libéralisation des marchés. Par contre, ses défenseurs affirment qu'une agence d'exportation monopolistique est plus nécessaire que jamais.