Musique urbaine | l'Encyclopédie Canadienne

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Musique urbaine

Personne ne saurait dire exactement quand ni comment la « musique noire » prend soudainement le nom de « musique urbaine » vers le milieu de la dernière décennie même si ce n’est pas bien sûr la première fois que ce genre musical est rebaptisé. En 1982, le classement soul du magazine Billboard est renommé « musique afro-américaine », puis huit ans plus tard, « Rhythm & Blues ».
Drake chante \u00e0 l'Oslo Spektrum, 2014. Image: CC flickr/Tom \u00d8verlie, NRK P3.\r\n

L’expression « musique urbaine », qui englobe le hip-hop et le Rhythm & Blues (R'n'B) contemporain, permet de vendre des vêtements, des chaussures de sport et un certain mode de vie. Par exemple, la légende du rap Roxanne Shante fait la promotion de la marque Sprite à la télévision, Sean « P-Diddy » Combs fait la couverture des magazines GQ et Fortune, Levi's commandite la tournée triomphale de Lauryn Hill en 1999 et les publicités de GAP mettent en scène des danseurs de break dance. Un rapide coup d’œil sur les listes des artistes en tête des sondages musicaux (tels que Justin Timberlake, Nelly, Eminem et Mariah Carey) montre non seulement que la musique urbaine est le genre de musique pop le plus populaire, mais aussi qu’il n’est pas nécessaire d’être un Noir pour être considéré comme un artiste de musique urbaine.

Débuts aux États-Unis

Bien qu’elle soit née de la culture musicale afro-américaine et que les principaux événements qui ont marqué son évolution rapide aient eu lieu, pour la plupart, aux États-Unis, la musique urbaine a aujourd’hui une portée internationale.

Le fait que la musique urbaine englobe deux styles distincts, le hip-hop (ou « rap ») et le R'n'B, permet de s’intéresser aux racines de ces deux genres musicaux et à leur expansion sous la forme d’industries générant des milliards de dollars. En 1973, six ans avant que le groupe new-yorkais The Fatback Band n’enregistre sa chanson King Tim III (The Personality Jock), le genre hip-hop naît lors d’une fête de quartier de début d’année scolaire organisée par le jeune Clive « Kool Herc » Campbell âgé de 16 ans, dans une salle de loisirs du sud du Bronx située au 1520 Sedgewick Avenue, à New York. Le disc-jockey Kool Herc, considéré comme le père du hip-hop, interprète les parties instrumentales des morceaux (appelées « breaks »). Au début des années 1970, les jeunes afro-américains et portoricains, non autorisés à entrer dans les clubs de danse, créent leurs propres espaces de loisirs en organisant des fêtes de quartier au cours desquelles les DJ utilisent l’alimentation électrique des lampadaires pour faire fonctionner leur équipement. La musique hip-hop puise son inspiration dans ses conditions sociales. La construction de l’autoroute traversant le Bronx entraîne le relogement forcé de 60 000 Blancs de la classe ouvrière, résidents du Bronx, le développement massif des logements sociaux, une rapide détérioration économique et le sous-emploi. À cause de propriétaires de taudis accusés d’être impliqués dans des incendies criminels leur permettant de toucher de façon frauduleuse des indemnités d’assurance, les habitants de la partie sud du Bronx sont en proie à d’immenses difficultés et nombre d’entre eux se retrouvent sans toit et vivent dans la pauvreté. Bien que The Fatback Band sorte le tout premier album de rap, il n’est pas le premier à remporter un succès commercial. Cet honneur revient au groupe new-jersiais The Sugar Hill Gang, qui enregistre en 1979 le désormais classique Rapper's Delight.

Les spécialistes de la musique affirment que deux albums majeurs sortis en 1986 ont permis au rap de sortir de l’ombre et de s’inscrire dans la conscience collective. Raising Hel de Run-DMC et Licensed to Ill, de The Beastie Boys, mélangent tous deux le rock et le rap hardcore et sont teintés d’un sentiment rebel, qui plait au jeune public du centre de l’Amérique du Nord, et donnent un avant-goût des nombreux groupes qui suivront.

Des groupes comme Salt-n-Pepa apportent une certaine sensualité à la musique, Jazzy Jeff and The Fresh Prince y injecte une dose d’humour, Public Enemy y introduit une forme de nationalisme noir militant et N.W.A. invente le sous-genre gangsta rap en sortant en 1989 son premier album intitulé Straight Outta Compton. Les rappeurs indépendants tels que MC Hammer et Vanilla Ice contribuent quant à eux à la commercialisation du rap. Au cours de la dernière décennie du XXe siècle, le rap amorce un tournant en faisant l’éloge du matérialisme et du nihilisme et commence à se remettre en question, en particulier après que les super vedettes 2Pac et The Notorious B.I.G. sont tuées par balle.

Le R'n'B, autre composante de la musique urbaine possède une histoire encore plus riche que celle de la musique à laquelle elle est si étroitement liée aujourd’hui. Le R'n'B naît du jump blues à la fin des années 1940 et au début des années 1950 et comporte une grande variété de styles musicaux, tels que le gospel, le jazz et le blues. Des artistes comme Ray Charles, Chuck Berry et Little Richard incarnent ce style qui prend le nom de Rhythm and Blues. Ce dernier évolue vers le soul et le funk et présente des variations régionales selon la ville où les disques sont enregistrés. On distingue ainsi le son « Philly » et sa riche orchestration, le son rauque de Stax, à Memphis, et le son très contagieux de Motown, à Détroit.

Red Robinson et Little Richard, 1957.
Image: Red Robinson Collection.

Beaucoup affirment que la musique que l’on nomme aujourd’hui R’n’B fait pâle figure par rapport à ses prédécesseurs essentiellement parce qu’elle est soumise à la volonté des producteurs, qu’elle a perdu le son soul rauque du R’n’B classique et que « toutes les musiques se ressemblent ». Cependant, le changement le plus radical que subit le R’n’B se produit à la fin des années 1980 lorsqu’un jeune producteur originaire du Bronx, Teddy Riley, commence à fusionner le hip-hop avec le R’n’B pour donner naissance au « New Jack Swing ». Teddy Riley contribue non seulement au succès d’artistes tels que Bell Biv DeVoe, Bobby Brown, Al B. Sure!, Keith Sweat et Michael Jackson, mais il influence également de célèbres producteurs tels Jimmy Jam & Terry Lewis, Jermaine DuPri, Antonio « L.A. » Reid et Kenny « Babyface » Edmonds pour ne nommer que ceux-là.

Ce mélange de hip-hop et de R’n’B se généralise et les deux styles deviennent progressivement indissociables. Ainsi, des producteurs emploient des rappeurs de rue aguerris comme Nas et Nelly et les font intervenir durant les « breaks » des chansons R’n’B ou incorporent les voix mélodieuses de chanteuses telles Mary J. Blige et Faith Evans pour faire tomber la tension générée par les jams du hip-hop hardcore. Dans les années 1980, de telles musiques ne sont pas diffusées sur les ondes des grandes stations de radio. Ce genre musical hybride devient le phénomène des années 1990 en matière de musique commerciale et il ne semble toujours par prêt à céder la place à d’autres styles musicaux.

Arrivée de la musique urbaine au Canada

Le premier single de rap canadien connu, The Bum Rap, du groupe Singing Fools, paraît en 1982. En 1988, Michie Mee devient la première rappeuse canadienne à signer un contrat avec une maison de disque américaine. Formant un duo avec L.A. Luv, Michie Mee figure sur la compilation produite par KRS-One et Scott La Rock, Break'n Out. La même année, le groupe Get Loose Crew, formé de Chris « DJ Jel » Jackson, Kory « MC Shadow » Neely, Len « Mix-Master Len » Grant Stuart et Carl « MC B » Badwa, devient le premier groupe de rap canadien à produire un mini LP sous sa propre étiquette, East Park Productions, et le premier à vendre ses disques dans le monde entier. Plus tard, en 1990, les Get Loose Crew se séparent pour former d’autres groupes célèbres : JUST Me, B-Kool, sélectionné pour le prix Juno et Self-Defence. En 1989, Maestro Fresh-Wes sort son premier single, Let Your Backbone Slide. Ce dernier est le premier single de hip-hop canadien à figurer aux classements Top 40 du Canada et Billboard. En 1991, Michie Mee sort son album récompensé du prix Juno, Jamaican Funk: Canadian Style, qui se vend à plus de 60 000 exemplaires. Alors que les musiciens noirs canadiens de R’n’B, de pop et de rock ont beaucoup de succès à la fin des années 1990, des artistes de hip-hop reconnus se battent pour étendre leur notoriété en dehors des stations de radio universitaires. En 1996, le mouvement hip-hop canadien prend de l’importance grâce à la création de l’Urban Music Association of Canada. En 1998, le groupe vancouvérois Rascalz collabore avec Checkmate, Kardinal Offishall, Chocolair et Thrust à l’enregistrement du single Northern Touch, une vibrante déclaration d’intention pour le mouvement hip-hop canadien. Premier disque de hip-hop canadien à connaître une large diffusion radiophonique depuis le succès du titre My Definition of a Boombastic Jazz Style, de Dream Warrior, le single se hisse au 41e rang. À la fin des années 1990 et durant les années 2000, un grand nombre d’artistes de hip-hop gagnent en notoriété, parmi lesquels Kardinal Offishall, Choclair, Saukrates, K-os, Drake, Classified, K'Naan et Shad. Bien que de nombreux musiciens urbains canadiens rencontrent des obstacles majeurs, beaucoup remportent un franc succès, en particulier Kardinal Offishall, dont le single Dangerous atteint la cinquième place au classement Billboard Hot 100 en 2008, Drake et son single Best I Ever Had, qui se hisse en deuxième position à ce même classement, en 2009, et K'Naan dont la chanson Wavin' Flag est choisie par Coca Cola comme musique promotionnelle officielle lors de la coupe du monde de football de la FIFA de 2010.

Kardinal Offishall chante au bar The Wave à Londres, Ontario, en 2013. Photo : The Come Up Show/Eddy Rissling.
Image: The Come Up Show/Eddy Rissling.
Kardinal Offishall chante au bar The Wave à Londres, Ontario, en 2013.
Image: The Come Up Show/Eddy Rissling.
K
Image: Seher Sikandar/Rehes Creative/Wikicommons.

Un autre événement historique est la sortie, en 2002, de la première compilation de musique urbaine canadienne enregistrée uniquement par des femmes, Honey Drops. Dix-neuf chanteuses, rappeuses et poètes non affiliées de partout au Canada contribuent à la réalisation de ce CD paru chez Universal Music Canada. En outre, deux artistes (Nelly Furtado et Jully Black), qui s’étaient produites sur scène à Toronto, lors du concours de talents féminins Honey Jam dont l’album s’inspire, sont embauchées par la suite par de grandes maisons de disque.

Nelly Furtado à la cérémonie de son intronisation à l'Allée des célébrités canadiennes, en 2010. Image: Tabercil/Wikicommons.

La musique urbaine a également un impact considérable sur la jeunesse francophone et autochtone. À la fin des années 1980, peu d’artistes de hip-hop francophones parviennent à s’imposer. Parmi ceux-ci figurent Les French B, Le Boyfriend et Kool Rock and Jay Tree. Le hip-hop francophone reste en grande partie dans l’ombre jusqu’à ce que le groupe Dubmatique se fasse connaître. Puis, se forment les groupes Muzion, Sans Pression et Atach Tatuq. Le hip-hop autochtone se répand grâce à des artistes tels Kinnie Star, War Party et Plex, qui anime une émission consacrée au hip-hop des Premières nations sur les ondes de la radio Aboriginal Voices. En 2009, Team Rezofficial devient le premier groupe dont une chanson figure au classement RapCity Top Ten et le réseau radiophonique manitobain Native Communications lance Streetz FM, la première station canadienne qui cible principalement la jeunesse autochtone.

Plex
Image: \u00a9 Victoria Vaughan/ www.vixvon.com.

En 2011, la CBC assure la promotion du Hip Hop Summit, un rassemblement d’un mois dédié au hip-hop canadien. Au cours de cet événement et dans le documentaire qui le relate, Love, Props and the T.Dot, produit par Chris Jackson, on assiste à des présentations d’artistes, des tables rondes et des concerts où se produisent Ghetto Concept, Maestro, Shad, Kardinal Offishall, Choclair, K-os, Classified, Red1, K'Naan, Michie Mee, Rema Major et Dream Warriors.

Radio urbaine au Canada

Au début, les amateurs torontois de hip-hop et de R’n’B comptaient beaucoup sur la station de radio WBLK, basée à Buffalo, dans l’état de New York, pour sa programmation musicale. Les auditeurs d’autres villes canadiennes ont quant à eux souvent un accès limité à des stations de radio urbaines. En 1983, le promoteur de concerts Ron Nelson lance la première émission canadienne de hip-hop, The Fantastic Voyage, à l’antenne de la radio universitaire torontoise CKLN. Sur le même créneau horaire, la musique hip-hop prend de plus en plus d’importance grâce aux trois émissions qui suivent : The Power Move Show, animée par DJX, The Real Frequency et Mixtape Massacre. En 1990, Milestone Radio demande une licence d’exploitation d’une station de radio diffusant de la musique urbaine. Cependant, à la suite d’une décision controversée, l’autorisation ne lui est pas accordée. En 1991, le groupe Dance Appeal est formé en soutien à Milestone et à sa demande de licence. Ce groupe, composé de nombreux musiciens urbains célèbres, parmi lesquels figurent Maestro Fresh-Wes, Michie Mee, B-Kool et Dream Warriors, sort la chanson de protestation Can't Repress The Cause, qui plaide en faveur d’une diffusion à grande échelle du hip-hop, de la house et du R’n’B. La controverse éclate à nouveau lorsque la deuxième demande déposée par Milestone est rejetée au profit de la station de radio CBC émettant sur la fréquence 99,1. En 1999, alors que la station torontoise de la CBC libère deux fréquences, le CRTC attribue l’une de celles-ci à Milestone, conformément à un décret fédéral demandant au CRTC d’accorder les licences d’exploitation en favorisant la diversité culturelle et raciale. L’année suivante, CFXJ (Flow 93,5), première station de radio canadienne spécialisée dans la musique urbaine, commence à émettre. En 2010, Milestone annonce sa décision de vendre Flow 93,5 à CHUM Radio et, en 2011, une nouvelle station de radio, CKFG-FM (G 98,7) se voit attribuer une licence d’exploitation.

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