Bataille de la Grenouillère | l'Encyclopédie Canadienne

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Bataille de la Grenouillère

La bataille de la Grenouillère se déroule le 19 juin 1816 et est l’aboutissement de la guerre du pemmican et des conflits de traite des fourrures opposant la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH) et la Compagnie du Nord-Ouest (CNO). Le pemmican est l’aliment de base nécessaire aux opérations des commerçants de fourrure. Le jour de la bataille, un groupe d’environ 60 hommes Métis et des Premières nations, mené par Cuthbert Grant, se dirige à l’ouest de la Fourche pour livrer du pemmican aux brigades en canot de la CNO sur le lac Winnipeg. Ils sont interceptés à Seven Oaks par le gouverneur des territoires de la CBH, Robert Semple, et 28 hommes (principalement des officiers et des employés de la CBH). Les combats qui s’ensuivent, livrés avec des armes à feu et à main nue, coûtent la vie à Robert Semple et à 20 de ses hommes. Du côté des Métis, Joseph Letendre, 16 ans, perd la vie et Joseph Trottier est blessé.

Bataille de la Grenouillère
Représentation à l’aquarelle de la bataille de la Grenouillère, le 19 juin 1816, par C.W. Jefferys.

Contexte

La Fourche des rivières Rouge et Assiniboine est un lieu de rendez-vous pour la traite des fourrures depuis plusieurs années lorsque la Compagnie du Nord-Ouest s’y installe pour ériger le Fort Gibraltar en 1809. La Compagnie de la Baie d’Hudson a alors déjà construit un petit dépôt de l’autre côté de la rivière, à l’endroit aujourd’hui connu sous le nom de St. Boniface. Le peuple Assiniboine (Nakoda), quant à lui, avait auparavant contrôlé l’accès au confluent des rivières Rouge et Assiniboine.

Thomas Douglas, 5e comte de Selkirk
Les motifs qui animent le comte de Selkirk à fonder des colonies à l'Île-du-Prince-Édourd, dans le Haut-Canada et à la rivière Rouge, sont un mélange complexe d' humanitarisme et d'ambition personnelle.

En 1812, la Fourche est également fréquentée par les nouveaux venus ojibwés, les commerçants cris et les chasseurs de bison métis (voir Chasse au bison). Aucun d’entre eux n’est consulté à propos du plan du comte de Selkirk d’amener les colons écossais à la Fourche et de fonder la colonie de la rivière Rouge. La CNO s’oppose à ce que la colonie s’installe à la jonction de ses plus importantes routes d’approvisionnement. La majorité des colons sont considérés comme des « employés » de la CBH et, après trois ans, sont censés recevoir 100 acres de terre.

En 1812, les hommes de Selkirk commencent à bâtir le Fort Douglas à l’ouest de la rivière Rouge, en aval du Fort Gibraltar de la CNO. Au nord du Fort, on trouve les lots riverains des colons. Le plan du comte étant mal conçu, les colons subissent la famine en 1812 et 1813. Ils se déplacent alors vers le sud et s’installent au confluent des rivières Pembina et Rouge, où les bisons sont nombreux et le climat est plus doux. Ils ont alors peu de provisions et dépendent de la viande fournie par les Métis et la CNO et du maïs acheté à la bande d’Ojibwés de Peguis.

Proclamation sur le pemmican

Le 8 janvier 1814, Miles Macdonell, gouverneur de la colonie de la rivière Rouge, émet la Proclamation sur le pemmican, qui interdit pendant un an l’exportation de pemmican et d’autres produits hors de la colonie. Macdonell avance que la proclamation vise à garantir une quantité suffisante de vivres pour la colonie de la Baie d’Hudson (rivière Rouge). Toutefois, la Compagnie du Nord-Ouest et les Métis, qui approvisionnent la CNO en pemmican, considèrent la proclamation comme un stratagème pour contrôler le produit, qui est à la base de l’alimentation des brigades de voyageurs de la CNO circulant à l’extérieur du territoire.

En 1815-1816, à cause de facteurs environnementaux, le pemmican se raréfie et l’arrivée des colons de Selkirk ne fait qu’aggraver la pénurie.

Cuthbert Grant
En 1816, Cuthbert Grant mène les Métis à la victoire à Seven Oaks, lors d'un affrontement imprévu entre Métis et colons de Selkirk.

Le 7 juin 1815, Cuthbert Grant, chef métis et commerçant de fourrures de la CNO (aussi appelé Wappeston par les Cris des Plaines), installe un camp de Métis en bordure de la rivière Rouge, à six kilomètres et demi en aval du quartier général de la CBH à Point Douglas. Cuthbert Grant construit le camp pour pallier le départ de colons rebelles (environ 42 hommes) voyageant pour le Canada dans des canots de la CNO. Les hommes de Grant commencent à harceler les colons en volant des chevaux et des charrues. Plusieurs récits avancent également que les Métis et les colons restants font feu les uns sur les autres. Au cours d’un tel affrontement au Fort Douglas de la CBH le 10 juin, un des hommes du gouverneur Macdonnell perd la vie lorsqu’un canon explose. Trois autres sont blessés.

LE SAVIEZ-VOUS?
Wappeston signifie hermine blanche en cri des Plaines. Le nom est attribué au commerçant de fourrures métis Cuthbert Grant, un chef militaire de Nehiyaw Pwat (ou Confédération de Fer), une alliance unissant les Assiniboines (Stoneys-Nakodas), les Cris des Plaines, les Ojibwés des Plaines (y compris les Saulteaux) et les Métis. Des membres de Nehiyaw Pwat se battent aux côtés de Cuthbert Grant pendant la bataille de la Grenouillère.

Plusieurs hommes de Selkirk se rangent du côté des Métis. Les Irlandais engagés pour préparer l’installation de la colonie ont un contrat qui expire le 1er juin 1815. Ces hommes, avec bien d’autres colons de Selkirk du groupe de Kildonan, se rendent du côté des Métis et acceptent l’offre de la CNO de les emmener à Montréal.

Sous l’autorité de Cuthbert Grant et de William Shaw, Robert Bonhomme Montour et Peter Bostonais Pangman, leurs quatre chefs, les Métis demandent à ce que les colons quittent la Fourche. Peter Fidler négocie avec les chefs métis à leur campement situé à La Grenouillère. Le 20 juin 1815, le chef Pangman exige de Peter Fidler qu’il chasse tous les colons de la région, mais accepte qu’un nombre limité d’employés de la CBH restent sur place, la concurrence entre les compagnies de traite de fourrures étant profitable aux Métis.

En mars 1816, la CBH attaque et détruit le Fort Gibraltar de la CNO situé à la Fourche des rivières Assiniboine et Rouge. Le fort avait été construit en 1810 par le beau-frère de Cuthbert Grant, John Wills. L’objectif de cette attaque est d’empêcher la CNO de transborder le pemmican de la Fourche aux brigades arrivant du Fort William, sur le lac Supérieur. Le 19 juin 1816, un groupe de transporteurs métis de marchandises mené par Cuthbert Grant se dirige à l’ouest de la Fourche pour livrer du pemmican aux brigades en canot Nor’Wester du lac Winnipeg.

Bataille de la Grenouillère

Le 19 juin 1816, Cuthbert Grant mène environ 60 hommes Métis et des Premières nations à cheval à travers un blocus de canonnières de la CBH sur la rivière Assiniboine et la rivière Rouge. Il guide alors deux groupes et passe bien à l’ouest du Fort Douglas pour se rendre à la Grenouillère afin de livrer du pemmican à leurs partenaires de la CNO. Ce chemin est emprunté dans le but d’éviter de passer au cœur de la colonie de la rivière Rouge.

Les employés de la CBH repèrent le deuxième groupe de Cuthbert Grant vers 17 heures, et le gouverneur des territoires de la CBH, Robert Semple, les rejoint à pied avec 28 hommes (principalement des officiers et des employés de la compagnie) pour les confronter.

Aucun des deux groupes, bien qu’ils s’attendent à rencontrer des problèmes, ne cherche à s’engager dans un combat avec des armes à feu. Robert Semple rattrape les Métis à Seven Oaks et les provoque. Les esprits s’échauffent, des paroles haineuses sont échangées entre François Boucher et Robert Semple, puis un des hommes de ce dernier tire une balle.

Bataille de la Grenouillère
Représentation à la plume de la bataille de la Grenouillère, le 19 juin 1816, par C.W. Jefferys.

Les combats qui s’ensuivent, livrés avec des armes à feu et à main nue, coûtent la vie à Robert Semple et à 20 de ses hommes. Du côté des Métis, Joseph Letendre, 16 ans, perd la vie et Joseph Trottier est blessé.

Cuthbert Grant explique plus tard que la victoire des Métis est due au fait qu’« après la première série de tirs, les Métis se sont jetés sur le dos pour recharger leur fusil alors que les colons, pensant que plusieurs ennemis étaient morts, ont enlevé leur chapeau et se sont réjouis ». Les hommes de Robert Semple sont donc surpris lorsque les Métis, ayant rechargé leurs fusils, se relèvent et recommencent à tirer. Plusieurs autres témoignages corroborent le fait que s’être jeté par terre pour recharger est la raison pour laquelle très peu des leurs sont morts comparativement à leurs ennemis.

Après la bataille, Cuthbert Grant s’empare du Fort Douglas, et les colons de Selkirk et le personnel de la CBH partent vers Norway House.

Événements ultérieurs

Le gouvernement britannique demande la réalisation d’une enquête spéciale, et c’est le lieutenant-colonel William Bachelor Coltman qui en devient le commissaire principal. En mai 1817, il quitte Montréal et se rend à la rivière Rouge pour mener son enquête. Son rapport est envoyé à la Chambre des communes britannique le 24 juin 1819. La conclusion qui s’en dégage est que le premier coup de feu a été tiré vers François Boucher, dans le groupe de Robert Semple. Le tir passe alors si près de lui qu’il est étourdi et tombe de son cheval. Un deuxième coup de feu est ensuite tiré vers un Autochtone du groupe de Cuthbert Grant. À partir de ce moment, les tirs sont échangés sans retenue.

Après trois décharges, les colons commencent à céder. Puis, la bataille se poursuit en un contre un. L’affrontement dure tout au plus 15 minutes.

William Bachelor Coltman conclut également que, avant la bataille, aucun des deux groupes n’avait l’intention d’engager le combat. Il avance aussi que des « personnes dont les talents et les connaissances générales sont reconnus, comme le comte de Selkirk et le gouverneur Semple », auraient dû savoir que l’application de leurs décrets sur la chasse et la traite faisait preuve d’une « négligence répréhensible des conséquences, qui risquaient de mettre en péril l’état de paix du pays et la vie des gens. »

Cuthbert Grant est accusé d’avoir participé à la bataille de la Grenouillère, mais la poursuite est abandonnée. William Bachelor Coltman indique plus tard que le comportement du groupe de Cuthbert Grant ne semblait, à son avis, qu’illustrer la politique dangereuse qu’adopte la CNO lorsqu’elle utilise les Métis à ses propres fins.

Le 12 août 1816, Selkirk et un groupe de 90 soldats rebelles provenant des régiments De Meuron et De Watteville arrivent de l’est du Canada et prennent le quartier général et la base d’approvisionnement des Nor’Westers à Fort William. Ils accusent ensuite les Nor’Westers de meurtre et mettent leurs officiers en état d’arrestation. Des poursuites et contre-poursuites s’ensuivent. Les hommes de la CNO subissent leur procès en 1818 à York, dans le Haut-Canada, et sont acquittés. Les opérations de la CNO sont grandement affectées par les actions posées par Selkirk et, en 1821, soit cinq ans après la bataille, les deux compagnies rivales fusionnent.

Importance et héritage

La bataille de la Grenouillère représente l’une des premières occasions où les Métis s’affirment et s’identifient comme la « nouvelle nation » ayant le droit de faire de la traite selon ses désirs et de voyager librement sur son propre territoire. La bataille alimente ce qui était déjà une « guerre de propagande », et chaque côté publie maints écrits pour montrer sa version des faits au public et influencer les actions des politiciens de l’époque. La fusion de la CBH et de la CNO mène à la fermeture de la moitié des postes de traite dans le Vieux Nord-Ouest et à une perte d’emplois collatérale pour les Métis et les autres peuples autochtones (voir Poste de traite).

En 1816, Pierre Falcon, poète et troubadour métis, compose « La Chanson de la Grenouillère », qui traite de la bataille. En 1891, un obélisque est érigé par la Société historique du Manitoba près du centre du champ de bataille. Le site où s’est déroulée la bataille et où se trouve l’obélisque est reconnu comme un lieu historique national du Canada en 1920 (voir Lieu historique).

Après des consultations avec les Métis, de nouvelles plaques d’interprétation sont installées par Parcs Canada et le parc Seven Oaks est réaménagé. Le 19 juin 2016, le site est officiellement rouvert pour marquer le 200e anniversaire de la bataille.