Thomas Scott, insurgé, ouvrier (né vers 1842 à Clandeboye, dans le comté de Down, en Irlande; décédé le 4 mars 1870 à la colonie de la rivière Rouge). Thomas Scott était un protestant irlandais. En 1869, il s’est installé à la colonie de la rivière Rouge et a intégré le Parti canadien. À deux reprises, ses actions contre le gouvernement provisoire d’Assiniboia ont conduit à son arrestation et à son emprisonnement. Il a été reconnu coupable de trahison et exécuté par le gouvernement provisoire, dirigé par Louis Riel, le 4 mars 1870. Son exécution a conduit à l’expédition de la rivière Rouge, une force militaire envoyée au Manitoba par le premier ministre sir John A. Macdonald pour affronter les Métis à la rivière Rouge. À compter de ces événements, les Ontariens protestants, en particulier les membres de l’ordre d’Orange, ont milité pour que Louis Riel paye pour la mort de Thomas Scott. L’exécution de ce dernier a conduit à l’exil de Louis Riel et à sa propre mise à mort pour trahison en 1885.
Jeunesse
Thomas Scott naît à Clandeboye, dans le comté de Down, près de Belfast, en Irlande. Ses parents sont des agriculteurs protestants. En 1863, à l’âge de 21 ans, il se joint à une vague d’immigrants. Il arrive au Canada-Ouest, devenu depuis l’Ontario, et s’installe à proximité de Belleville. Il travaille comme ouvrier et est membre du régiment des Hastings Rifles. Il intègre également le puissant ordre d’Orange, un mouvement qui s’oppose farouchement aux catholiques.
Colonie de la rivière Rouge
À la recherche d’une vie meilleure, Thomas Scott décide de partir vers l’ouest. Au printemps de 1869, il arrive à la colonie de la rivière Rouge, au confluent des rivières Assiniboine et Rouge (voir La Fourche). Là résident environ 5 000 descendants d’explorateurs français et de négociants en fourrures ayant épousé des femmes autochtones (voir Voyageur). La plupart des Métis sont catholiques et francophones; toutefois, quoique minoritaires, ils sont nombreux à être anglophones et protestants. En outre, un nombre croissant de Canadiens anglophones protestants arrivent, à l’instar de Thomas Scott, à la colonie de la rivière Rouge.
Cette zone fait partie d’une vaste région, appelée la Terre de Rupert, autrefois propriété de la Compagnie de la Baie d’Hudson, vendue en mars 1869, juste avant l’arrivée de Thomas Scott, à la Couronne britannique, dans l’idée qu’elle serait ensuite revendue au Dominion du Canada. Toutefois, l’achat par le Canada ne sera officiel que le 1er décembre.
Entre mars et décembre 1869, la confusion règne parmi la population quant à la propriété de ce territoire et à l’autorité gouvernant la région. À cette situation incertaine s’ajoute le ressentiment des gens de la colonie de la rivière Rouge, qui n’ont pas été consultés à propos de la vente. Les tensions raciales, religieuses et ethniques sont encore aggravées par la conviction que cette transaction débouchera sur l’arrivée d’un nombre de migrants protestants encore plus important en provenance de l’Ontario.
Les colons sont également partagés entre ceux qui souhaitent se joindre au Canada, ceux qui veulent l’indépendance de la colonie, ceux qui espèrent qu’elle deviendra une colonie britannique et ceux, enfin, dont le projet est d’intégrer les États‑Unis.
Lorsqu’il arrive à la colonie de la rivière Rouge, Thomas Scott se joint à une équipe de construction sur la route Dawson entre la rivière Rouge et Fort William. En août, on découvre que le responsable du projet à qui il incombe également de payer les ouvriers, John A. Snow, les a, en fait, sous‑payés jusque‑là. Thomas Scott prend la tête d’une bande qui traîne John Snow jusqu’à la rivière et menace de l’y jeter. En novembre, à la suite de cette opération, il est accusé d’agression, condamné à une amende de quatre livres et congédié.
Thomas Scott retrouve du travail comme ouvrier et serveur dans un bar. Selon certains auteurs et historiens, il s’est déjà, à l’époque, bâti une réputation de solide bagarreur, de buveur invétéré et d’homme qui n’hésite pas à exprimer, à corps et à cris, ses opinions contre les catholiques et les Métis. D’après d’autres sources, il se montre, au contraire, calme et s’abstient d’offenser les autres.
Alors que Thomas Scott travaille encore sur la route Dawson, une équipe canadienne d’arpenteurs arrive près de la rivière Rouge. Les Métis insistent alors sur le fait qu’avant le 1er décembre, date du transfert officiel de propriété, ces hommes n’ont aucun statut officiel et se trouvent donc sur place en toute illégalité. À cette époque, le porte‑parole des Métis est Louis Riel, qui vient juste de revenir de Montréal où il a étudié pour devenir prêtre. Soutenu par des hommes armés, il pose, dans un geste théâtral fortement symbolique, son pied sur la chaîne d’arpentage et ordonne à l’équipe de partir.
Les Métis s’emparent de Upper Fort Garry, le poste de la Compagnie de la Baie d’Hudson à la colonie de la rivière Rouge, et forment un gouvernement provisoire appelé le Comité national des Métis, dont Louis Riel est secrétaire.
Pendant ce temps, Thomas Scott fait la rencontre d’un médecin et entrepreneur de 29 ans, John Christian Shultz. Ce dernier dirige le Parti canadien, un petit groupe de protestants anglais qui veulent que la colonie de la rivière Rouge soit administrée par le Canada et dirigée par des protestants anglophones. Début décembre, 67 partisans du Parti canadien se réunissent dans l’entrepôt du dirigeant à Lower Fort Garry afin de planifier une attaque contre le gouvernement métis.
Les Métis fondent le gouvernement provisoire de la nation métisse avec Riel comme président. Le 7 décembre, Louis Riel fait arrêter et détenir John Christian Shultz et ses partisans. Thomas Scott n’était pas lui‑même à l’entrepôt, mais, lorsqu’il est informé des arrestations, il exige la libération des prisonniers. Devant le refus de Louis Riel de donner suite à sa requête, il profère des insultes racistes pour lesquelles il est arrêté. Emprisonné, il poursuit ses insultes, menaçant même, à un moment donné, de tirer sur Louis Riel.
Le 9 janvier, Thomas Scott s’évade en compagnie de 12 autres hommes. Avec Charles Mair, ils mettent la main sur des raquettes et arrivent, bon an mal an, à parcourir 103 km dans le blizzard jusqu’à Portage la Prairie. Un mois plus tard, alors qu’il souffre encore de blessures dues au froid, Thomas Scott se joint au Major canadien Charles Arkoll Boulton et à une soixantaine d’autres hommes qui partent à pied dans le froid et la neige avec l’intention de prendre Upper Fort Garry, de libérer les prisonniers et de renverser Louis Riel. En route, une centaine d’hommes supplémentaires, armés de mousquets et de massues, se joignent à eux.
À leur arrivée, ils apprennent que Louis Riel a déjà libéré les prisonniers. Bien qu’ils soient nombreux à faire alors demi‑tour en apprenant cette nouvelle, le major Charles Boulton, Thomas Scott et 45 autres continuent à insister pour que Louis Riel renonce à ses fonctions; ce dernier ordonne alors leur arrestation.
Un conseil militaire décide que le major s’est rendu coupable de trahison et doit être exécuté. Après des appels en ce sens de dirigeants de l’Église et de Donald Smith, commissaire du gouvernement du premier ministre sir John A. Macdonald, Louis Riel renonce à la sentence. L’incident et la mansuétude dont il a fait preuve accroissent le soutien dont bénéficie le gouvernement provisoire auprès de la population de la colonie de la rivière Rouge.
Exécution de Thomas Scott
Pendant ce temps, Thomas Scott est resté en prison où il devient un véritable fléau. Il ne cesse de se plaindre à propos de ses conditions de détention et profère, en permanence, des menaces violentes et des insultes racistes envers ses gardes métis. On est obligé de l’enchaîner par les pieds et par les mains, sans que cela ne modifie en rien son comportement. Le 28 février, après qu’il a frappé un garde, deux autres gardes le traînent dehors et le frappent jusqu’à ce qu’un membre du gouvernement Riel mette fin à la punition. Louis Riel lui rend visite et tente, sans succès, de le calmer, en lui parlant à travers un trou dans la porte, ne parvenant qu’à accroître encore le flot d’insultes qui se déversent sur lui.
Le 3 mars, Thomas Scott est accusé d’insubordination et de trahison par un conseil de six hommes. Comme il ne parle pas français, on ne l’autorise pas à avoir un avocat et il n’est pas en mesure de comprendre les preuves présentées contre lui. Les témoins ne font l’objet d’aucun contre‑interrogatoire. À la fin du procès, Louis Riel s’adresse à lui en anglais et lui fait un résumé des événements. Un membre du conseil vote pour l’acquittement et un autre pour le bannissement. Quatre le déclarent coupable et prononcent la peine capitale devant un peloton d’exécution (voir Peine capitale).
Un ministre, un prêtre et Donald Smith demandent à Louis Riel d’épargner la vie de Thomas Scott, ce qu’il refuse. Le dirigeant métis est convaincu que le procès et l’exécution de Thomas Scott démontreront aux colons de la rivière Rouge la puissance de son gouvernement et illustreront la nécessité, comme il l’a dit à Donald Smith, que « nous nous fassions respecter par le Canada ».
Le 4 mars 1870, à une heure, les mains de Thomas Scott sont attachées derrière son dos et il est escorté de sa cellule jusqu’à la cour extérieure. Sous les yeux de Louis Riel, le condamné s’agenouille dans la neige et l’on couvre ses yeux d’un morceau de tissu blanc. Avant l’exécution, il s’écrie : « C’est horrible! C’est un véritable meurtre de sang‑froid! » Six métis le mettent en joue avec leurs mousquets, mais, lorsque l’ordre de tirer est donné, seuls quelques coups de feu retentissent. Touché deux fois, il s’écroule sur le sol, toujours en vie. François Guillemette, un membre du peloton d’exécution, s’avance alors, sort son revolver et met fin aux jours de Thomas Scott.
Importance de la mort de Thomas Scott
La controverse entourant l’exécution de Thomas Scott n’a pas de répercussions sur la décision de John Macdonald au sujet du Manitoba. Toutefois, pour calmer la colère de l’Ontario, il envoie 1 200 soldats et miliciens vers la colonie de la rivière Rouge (voir Expédition de la rivière Rouge). À leur arrivée sur place en août, Louis Riel s’est déjà enfui aux États‑Unis.
Le premier ministre Macdonald reçoit des représentants de la colonie de la rivière Rouge pour négocier. Il accepte la plupart des conditions qui avaient été formulées par le dirigeant métis, notamment : la création de la province du Manitoba; la garantie que les terres des Métis ainsi que la religion catholique et la langue française y seront protégées; et la négociation de traités avec les nations autochtones. Le Manitoba entre dans la Confédération en juillet 1870.
Les Québécois francophones ont soutenu Louis Riel pour avoir protégé les droits des franco‑catholiques. De leur côté, après l’exécution de Thomas Scott, de nombreux Ontariens exigent que Louis Riel soit arrêté pour meurtre. Ils sont influencés par la propagande diffusée par John Christian Schultz qui, revenu en Ontario, reçoit l’appui de l’ordre d’Orange.
La participation de Louis Riel à l’exécution de Thomas Scott met fin à toute possibilité pour lui de participer à la vie politique canadienne. Il a pourtant été élu député de Provencher trois fois entre 1873 et 1874. Cependant, les orangistes de l’Ontario offrent une prime de 5 000 $ pour sa tête en raison du meurtre de Thomas Scott. Craignant d’être assassiné, Louis Riel n’occupe pas son siège à la Chambre des communes.
En 1885, le dirigeant métis revient de son exil aux États‑Unis pour conduire les Métis de la Saskatchewan lors de la rébellion du Nord‑Ouest. À la suite de cet épisode, des protestants en Ontario exigent à nouveau son arrestation. Lorsque la rébellion est maîtrisée, Louis Riel est arrêté et accusé de trahison. L’exécution de Thomas Scott joue un rôle important dans le procès et dans la condamnation à mort du chef métis. C’est également l’une des raisons pour lesquelles le premier ministre Macdonald autorise l’exécution de la sentence de mort.
De nos jours, des rumeurs subsistent sur ce qu’il est advenu du corps de Thomas Scott. Certains prétendent qu’il a été jeté dans la rivière et d’autres qu’il a été enterré dans une tombe sans identification ou sous un bâtiment. Quoi qu’il en soit, sa sépulture n’a jamais été retrouvée.