Régionalisme dans la littérature
Le géographe R. Cole Harris décrit la partie habitée du Canada comme étant « un archipel d'îles intérieures étalées sur plus de 4000 milles d'est en ouest [...]. Différentes îles ont été colonisées à différents moments par des peuples aux origines différentes, dans le cadre de technologies et d'économies différentes. » Dans toute l'histoire du Canada, ce concept a constitué une puissante interprétation qui diffère de l'idée d'une nation homogène s'étendant d'un océan à l'autre. Selon Northrop FRYE, ce concept est essentiel : « Ce qui touche l'imagination de l'écrivain [...] c'est un environnement plutôt qu'une nation [...]. Le régionalisme et la maturité littéraire semblent aller de pair. »
En 1943, cependant, E.K. BROWN suggère, dans On Canadian Poetry, que le RÉGIONALISME menace le développement de la littérature canadienne « parce qu'il met l'accent sur le superficiel et les particularités au moins au détriment, sinon à l'exclusion, de ce qui est fondamental et universel ». La principale réalisation de la littérature canadienne d'avant la Deuxième Guerre mondiale est d'avoir trouvé le vocabulaire, et un certain sens des formes appropriées, pour articuler un nouveau lieu de manière authentique. Étant donné la force du style impérial et sa tradition littéraire, c'est là un accomplissement remarquable mais, en soi, il ne peut être que « superficiel ». Ces premiers écrivains, dont l'engagement consiste à nommer les particularités d'un nouveau monde, mettent inévitablement l'accent sur une région.
Notre premier humoriste, T.C. HALIBURTON, est régional lorsqu'il consigne les dialectes et les coutumes de la Nouvelle-Écosse d'avant la Confédération. Charles G.D. ROBERTS dépeint les paysages du Nouveau-Brunswick, en particulier dans Songs of the Common Day (1893). D.C. SCOTT évoque plusieurs décors nordiques dans ses récits sur la vie des Amérindiens. Le roman populaire, qui domine la fiction canadienne jusqu'en 1920, engage un aspect plus sentimental du régionalisme, empreint de particularités pittoresques sur le maniérisme et les costumes, de façon à atténuer le côté didactique et mélodramatique des oeuvres. Les romans historiques de Gilbert PARKER sont insolites en ce sens qu'ils suggèrent un lien entre le lieu et le personnage. C'est en puisant dans la couleur locale de Glengarry et de l'Ouest canadien que Ralph Connor (C.W. GORDON) avive ses sermons transformés en fiction, qui connaissent un grand succès.
La littérature régionale au sens strict se rattache aux conventions du réalisme parce qu'elle tente de distinguer avec précision les caractéristiques d'une région clairement définissable, soit une région rurale ou encore étroitement liée à la terre. Comme le montrent les oeuvres de Thomas Hardy et de William Faulkner, ce type de littérature régionale, dans sa forme la plus accomplie, n'est pas synonyme de détails superficiels ou de style prosaïque mais plutôt d'une exploration profonde de l'influence qu'exercent des régions particulières dans le destin d'individus précis.
Certaines oeuvres sont précurseurs du régionalisme littéraire, comme la suite de nouvelles de D.C. Scott dans In the Village of Viger (1896), le portrait finement ciselé de Brantford par Sara Jeannette DUNCAN dans THE IMPERIALIST (1904) et les tableaux humoristiques de Stephen LEACOCK dans UN ÉTÉ À MARIPOSA : CROQUIS EN CLIN D'OEIL (1960). Cette tradition s'établit solidement au Canada dans les années 20, spécialement avec une série d'essais de Frederick Philip GROVE, Over Prairie Trails (1922), ainsi que ses romans Settlers of the Marsh (1925) et FRUITS OF THE EARTH (1933).
D'autres écrivains de l'Ouest, plus enclins à la pratique romanesque, comme Martha OSTENSO, Robert STEAD et Frederick NIVEN, contribuent à l'identification du régionalisme littéraire aux Prairies au cours de cette période. Dans la LITTÉRATURE DE LANGUE FRANÇAISE, l'intérêt pour le thème du terroir, associé à l'École littéraire de Montréal à la fin du XIXe siècle, conserve toute sa vigueur jusque dans les années 30. Une comparaison entre MARIA CHAPDELAINE (1916), de Louis HÉMON, et TRENTE ARPENTS (1938), de Ringuet (Philippe PANNETON), montre une évolution du sentimentalisme au réalisme semblable à celle qui s'est opérée dans la LITTÉRATURE DE LANGUE ANGLAISE.
Jusqu'en 1940, cependant, même la prose souvent lourde de Grove et la nostalgie implicite du terroir justifient la perception de Brown, selon laquelle il existe une faiblesse inhérente au régionalisme. AU SERVICE DU SEIGNEUR? (1981), de Sinclair ROSS, démontre par contre que, même en s'attachant fortement aux structures sociales et aux paysages régionaux, la littérature canadienne peut également se révéler audacieuse dans son utilisation habile de la forme et de la langue.
Il est certain qu'une grande partie de la fiction canadienne importante des 15 années suivantes est résolument régionale : KLEE WYCK (1941; trad. 1973), d'Emily CARR, QUI A VU LE VENT (1974), de W.O. MITCHELL, Each Man's Son (1951), de Hugh MACLENNAN, The Mountain and the Valley (1952), d'Ernest BUCKLER, Hetty Dorval (1947) et SWAMP ANGEL (1954), d'Ethel WILSON, et The Channel Shore (1954), de Charles BRUCE.
Plus récemment, Manawaka, de Margaret LAURENCE, Jubilee, d'Alice MUNRO, et au théâtre SouWestO, de James REANEY, sont devenus des lieux populaires de littérature canadienne. À l'exception de The Canadian West in Fiction (1949; éd. rév. 1970), d'Edward McCourt, aucun regard critique soutenu n'est jeté sur le régionalisme en littérature avant le début des années 70, alors qu'une prolifération d'études et d'anthologies commencent à changer l'orientation des études canadiennes.
La décentralisation simultanée du pouvoir politique dans les années 70 se reflète dans divers éléments qui viennent stimuler la croissance et la prise de conscience des littératures régionales : la mise en place de conseils des arts ou de ministères des Affaires culturelles dans les provinces, la création de cours et de centres universitaires pour les études régionales, l'organisation de plusieurs conférences axées sur les régions ainsi que l'apparition de douzaines de PÉRIODIQUES LITTÉRAIRES ayant des préoccupations régionales prononcées.
Un régionalisme fantastique, burlesque ou même antirégional émerge comme un prolongement significatif de la fiction régionale, en particulier dans les oeuvres d'auteurs comme Sheila WATSON, Robert KROETSCH et Jack HODGINS. Entre-temps, de nombreuses PETITES MAISONS D'ÉDITION régionales, de Breakwater à St. John's (Terre-Neuve) à Oolichan à Lantzville (Colombie-Britannique), sont créés pour promouvoir le développement de la poésie régionale, dans laquelle le lien entre la région et le réalisme se maintient avec force. Chez Al PURDY, la fusion de fragments, de récits et de styles de régions particulières exerce une grande influence. Des poètes régionaux du Canada, aussi divers qu'Alden NOWLAN, Don Gutteridge, Andrew SUKNASKI, Glen Sorestad et Peter Trower, trouvent leur inspiration dans la façon désinvolte de Purdy de combiner des processus historiques et des événements de portée purement locale.
Dans les années 80, écrivains et critiques développent une différente approche de la région, qui est conceptuellement plus large (englobant des idées de culture, de richesse et de classe) et théoriquement plus concentrée (incorporant les sciences de la perception, la cognition, l'anthropologie et la rhétorique). Les éditeurs régionaux se développent avec ferveur, publiant de la poésie à l'histoire locale, de la fiction aux essais, raffermissant ainsi leurs intérêts régionaux. L'identification au lieu et à la terre demeure importante, mais la multitude de régions historiques, économiques, ethniques et linguistiques qui composent l'archipel imaginé par Harris sont en train de changer ou de briser les frontières des régions traditionnelles (l'Atlantique, le Québec, l'Ontario, les Prairies, la Colombie-Britannique, le Nord), qui ont influencé de façon trop simpliste la compréhension du régionalisme littéraire canadien.