Poésie de langue anglaise | l'Encyclopédie Canadienne

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Poésie de langue anglaise

J. MacKay, s'adressant aux poètes de tradition classique européenne dans Quebec Hill (1797), s'exprimait ainsi : « Poètes, vous qui célébrez en strophes le Pô ou qui chantez le Tibre, vous donneriez-vous la peine de proclamer en vers la majesté du fleuve Saint-Laurent? ».
Pratt, E.J.
Le poète E.J. Pratt, v. 1930 (avec la permission de David Pitt)
Layton, Irving (extrait vidéo)
Le poète Irving Layton exprime sa pensée au cours de l'émission \u00ab Fighting Words \u00bb, présentée au réseau anglais de Radio-Canada, le 9 décembre 1956 (avec la permission de la Société Radio-Canada).
Purdy, Al (2)
Le poète Al Purdy (photo de Sheldon Grimson).
Dennis Lee, poète
Les oeuvres de Lee essaient de créer des poèmes à partir des mots et des activités de tous les jours (photo de Susan Perly/Macmillan of Canada).
George Bowering
Les livres de Bowering, dépassant le nombre de 40, font preuve d'un sens spirituel du jeu (photo de Bliss Swift/avec la permission de Penguin Books Canada Ltd).
Earle Birney
La poésie de Birney explore les ressources de la langue avec une curiosité passionnée et espiègle (avec la permission de Plum Studios/Bruce Cole).

J. MacKay, s'adressant aux poètes de tradition classique européenne dans Quebec Hill (1797), s'exprimait ainsi : « Poètes, vous qui célébrez en strophes le Pô ou qui chantez le Tibre, vous donneriez-vous la peine de proclamer en vers la majesté du fleuve Saint-Laurent? ». En plus de souligner l'une des principales préoccupations des poètes canadiens anglais d'avant la Confédération, soit de décrire la vie et les paysages canadiens dans le style des poètes européens, les vers de MacKay présagent ce qui caractérisera beaucoup plus tard la poésie canadienne. Ils laissent entrevoir la continuité des thèmes qui inspirent les poètes depuis la première heure jusqu'à des temps très récents.

La poésie d'avant la Confédération

Le partage chronologique que nous avons fait de la poésie d'avant la Confédération, s'il est arbitraire, nous paraît justifiable. Nous diviserons la poésie canadienne en deux périodes : celle d'avant 1825 et celle qui se situe entre 1825 et 1867. Avant 1825, les modèles néoclassiques influencent grandement la poésie de ce qui va devenir le Canada, surtout celle du Bas-Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick. Parmi les grandes influences de la poésie de cette période, on trouve les couplets héroïques des Anglais Alexander Pope et Oliver Goldsmith et les vers blancs de James Thomson dans The Seasons (1726-1746), poème portant sur un pays dont les variations saisonnières sont les mêmes qu'au Canada. Si la forme relativement fluide et continue des vers blancs semble avoir été un bon véhicule pour des sujets comme les chutes du Niagara et la « majesté liquide » du Saint-Laurent, c'est par la rigueur du distique héroïque que les premiers poètes ont affirmé et transmis l'ordre qui les régissait, eux et leur environnement.

L'influence du romantisme se fait de plus en plus sensible après 1825 (il n'est pas complètement absent avant cette date, tout comme le néoclassicisme ne disparaît pas complètement après). Byron, Wordsworth, Shelley et Thomas Moore servent de modèles. On a alors souvent recours à l'ottava rima (pour la satire), à la strophe spensérienne (pour exprimer le pittoresque et les moments d'illumination) ainsi qu'au sonnet. Le récit romantique et le « poème dramatique » (préface d'Adam Kidd dans The Huron Chief and Other Poems, 1830) sont aussi privilégiés. Ils conviennent bien pour décrire les sujets complexes sur les plans émotionnel et spirituel, les conflits et les quêtes.

Vers 1864, il y a suffisamment de poésie canadienne de styles différents pour permettre à Edward Hartley Dewart de publier Selections from Canadian Poets en 1864 (aucune oeuvre antérieure à 1825 n'en fait partie), la première anthologie de poésie canadienne de langue anglaise et la seule à précéder la Confédération. Les poèmes de l'anthologie sont classés selon les catégories « sacré et idéologique », « descriptif et national » et « divers » (qui comprend « Heroes », « Childhood », « Twilight », « Taapookaa - A Huron Legend », « Glimpses of Highland Superstitions » et « The Beech-Nut Gatherer »), ce qui est révélateur des thèmes et du contenu de la poésie d'avant la Confédération.

Presque tous les poèmes de cette époque ont pour auteurs des néophytes, hommes et femmes, qui n'espèrent pas vivre de leur plume, mais qui y voient un moyen d'occuper « quelques heures de loisir » (préface de Thomas Cary dans Abram's Plains, 1789). À l'instar de Cary, ces néophytes n'écrivent généralement qu'un poème important qu'ils publient dans un journal, en plaquette, seul ou accompagné d'« autres poèmes ». Cependant, leur écriture ne sert pas qu'à satisfaire un plaisir des mots faute de passer le temps entre les sermons, les dîners au mess, les récoltes ou les travaux quotidiens. Non, les poètes de ce temps s'emploient à décrire les beautés et l'attrait économique du Canada, à tenir une chronique sur les réussites de la société coloniale, à prévenir le lecteur des pièges de l'immoralité et à exprimer les aspirations culturelles et spirituelles d'un peuple sensible qui s'enracine dans un sol nouveau. C'est tout ce programme que s'est tracé Oliver Goldsmith (petit-neveu de l'auteur irlandais du célèbre Deserted Village de 1770) en écrivant The Rising Village, probablement la meilleure description de la vie des pionniers des premières années en Nouvelle-Écosse. La publication de ce récit montre assez bien comment les poètes se faisaient connaître du public. En 1825, son récit est publié en opuscule en Angleterre, la même année, quelques extraits paraissent dans The Canadian Review (Montréal) et enfin avec d'« autres poèmes », en 1834, à Saint-Jean. Bref, il est passé par toute la gamme des types de publication de l'époque. Au cours de la période qui précède la Confédération, il y a des poètes comme Jacob Bailey, Charles Heavysege et Charles Sangster dont la production pourrait emplir plusieurs gros volumes, de sorte que ces auteurs auraient pu vivre de leur plume si la population avait été plus nombreuse.

Les Maritimes, refuge de beaucoup de loyalistes, sont le centre de l'activité poétique avant 1825, comme elles le sont pour la prose. Bien avant l'arrivée des Loyalistes, John Hayman a chanté les vertus coloniales de Terre-Neuve dans Quodlibets (1628). Durant la période qui précède la vague loyaliste, Henry Alline a écrit son excellent Hymns and Spiritual Songs (2 vol., 1782-1786). L'oeuvre de ces immigrés et de leurs descendants, comme Bailey, auteur de diverses oeuvres satiriques, forme la première floraison de la poésie d'avant la Confédération, qui prend l'aspect d'ouvrages traitant du présent et de l'avenir des Maritimes et des États-Unis. Parmi eux, citons Jonathan Odell et Joseph Stansbury, dont les Loyal Verses ont été publiés après sa mort, Joseph Howe et Goldsmith.

L'activité de l'époque ne se concentre pas dans les seules Maritimes. Henry Kelsey, en 1690, décrit les Prairies en vers, et en 1825, James Lynn Alexander publie un poème narratif dramatique, The Wonders of the West, sur les chutes du Niagara. Entre-temps, les Cary, MacKay et John Hood Burwell (Talbot Road, 1818) ainsi que de nombreux autres écrivains attestent l'existence de la poésie dans ce qui est aujourd'hui le Québec et l'Ontario, sans oublier John Richardson, l'auteur de Tecumseh (1828) et de Kensington Gardens (1830).

Montréal constitue déjà à ce moment-là le foyer de l'activité littéraire. Plusieurs journaux et périodiques y sont publiés (voir Revues littéraires de langue anglaise). De 1820 à 1830, quantité de poèmes et de volumes paraissent, dont les imitations réussies de Byron par Levi Adams (Jean Baptiste, 1825) et de George Longmore (The Charivari, 1826), qui demeurent intéressants pour leur satire, leur description de la vie au Canada et leur valeur poétique. Parmi tous les travaux publiés à Montréal, The Huron Chief d'Adam Kidd est l'un des plus remarquables, sans négliger ceux de William Hawley, Margaret Blennerhasset et Ariel Bowman. Il vaut la peine d'aborder avec sympathie la lecture de ces auteurs (comme tous ceux d'avant la Confédération) qui traitent de sujets locaux avec des formes empruntées aux poètes européens. Le rayonnement littéraire de Montréal s'affirme avec la fondation de Literary Garland (1838-1851), le périodique le plus longtemps publié avant la Confédération. C'est dans le Garland que paraissent les oeuvres de poètes tels que Rosanna (Mullins) Eprohon. À Montréal, les éditeurs de la fin des années 1830 et des années 1840 publient des oeuvres comme The Emigrant (1841) de Standish O'Grady, qui contiennent des descriptions précises de l'environnement canadien.

Au cours des années 1850 et 1860, on assiste à Montréal à la publication de plusieurs ouvrages intéressants, dont Sonnets (1855) et Jephthah's Daughter (1865) de Charles Heavysege et Canadian Ballads (1858) de Thomas D'Arcy McGee. Charles Sangster, qui avait fait publier The St. Lawrence and the Saguenay and Other Poems à New York en 1856, voit son Hesperus (1860) paraître à la fois à Montréal et dans sa ville natale de Kingston. Toronto a aussi ses poètes; Alexander McLachlan publie, entre autres travaux, The Emigrant and Other Poems (1861) et William Kirby, The U.E.: A Tale of Upper Canada (1859), imprimé à Niagara-on-the-Lake. Plus que tout autre ouvrage de poésie d'avant la Confédération, les longs poèmes narratifs de Heavysege, Sangster, McLachlan et Kirby retiennent l'attention de la critique, probablement parce que leurs visées grandioses compensent largement les écarts dans l'exécution.

Beaucoup de poèmes de cette époque ne seront publiés qu'après 1867, à la faveur d'une prise de conscience nationale qui coïncide avec la création du nouvel État canadien. Citons Poems and Ballads, qui comprend « Acadia », de Howe, Canadian Idylls de Kirby et Poetical Works de Leprohon, dont la forme et la démarche sont déjà d'une époque révolue. Sous prétexte que les oeuvres de cette période ne sont que rarement remarquables, que ce sont des pastiches et qu'elles ont peu de valeur pour le lecteur d'aujourd'hui de même que pour la culture canadienne, on ne saurait les passer sous silence.

D.M.R. BENTLEY

Poésie de langue anglaise, 1867-1918

Charles Mair a l'honneur de publier le premier ouvrage en vers après la naissance de la Confédération : Dreamland and Other Poems (1868). Médiocre, ce livre attire l'attention après que son auteur réussit à s'échapper des mains de Louis Riel lors des événements de la rivière Rouge (voirRébellion de la Rivière Rouge) en 1869 et 1870. Le Tecumseh: A Drama de Mair suit en 1886, et bien que ses vers manquent de panache, cette d'interprétation d'un sujet canadien à la manière héroïque traditionnelle donne à cette oeuvre une certaine vigueur.

L'oeuvre d'Isabella Valancy Crawford, Old Spookses' Pass, Malcolm's Katie, and Other Poems, meilleure mais inégale, est publiée à compte d'auteur en 1884. Malgré une vie morne et solitaire à Peterborough et à Toronto et un manque de contact avec le monde littéraire, elle dépeint admirablement bien la nature canadienne et atteint la puissance visionnaire de Blake. Langage et images sont souvent empruntés (parfois avec inexactitude) à la vie et aux traditions amérindiennes. On se rappelle les passages descriptifs vibrants de « Malcom's Katie », long poème narratif d'amour et de trahison quelque peu mélodramatique sur toile de fond de camps de bûcherons et de pionniers. D'autres poèmes plus courts, comme « The Camp of Souls », « Said the Canoe » et « The Dark Stag », exaltent le rythme des saisons et les forces de la nature par des images d'une grande intensité.

On appelle « poètes de la Confédération » ceux qui sont nés dix ans avant ou après la Confédération, sans pour autant former un groupe homogène. Leur mérite est d'avoir posé les jalons d'une tradition poétique canadienne, remarquée au-delà de nos frontières. Leurs premiers travaux se modèlent sur ceux des écrivains britanniques, et, à un degré moindre, sur ceux des Américains. Peu à peu, ils acquièrent un style qui soit personnel. Charles G. D. Roberts donne l'exemple avec Orion and Other Poems (1880). Cet ouvrage confirme une habileté technique considérable, bien qu'il traite « de sujets insolites dans des régions éloignées ». Ses contes sur les animaux le feront connaître par la suite. Dans In Divers Tones (1886), les thèmes se rapprochent de la vie canadienne (on y trouve le célèbre poème « Tantramar Revisited »), tandis que Songs of the Common Day (1893) contient une série de sonnets descriptifs qui évoquent les paysages de son Nouveau-Brunswick natal. Malheureusement, cette poésie tardive, produite principalement aux États-Unis et en Europe, n'est qu'un pâle reflet de ses premières oeuvres.

Bliss Carman, cousin et ami de Roberts, originaire comme lui des Maritimes, est aussi plus réputé pour son caractère que pour sa poésie. C'est le plus lyrique des poètes de la Confédération. Ses poèmes les plus distinctifs enrobent un thème ou une histoire simple et romantique d'une profusion d'images évocatrices mais vagues. Il publie Songs from Vagabondia (1894), écrit en collaboration avec le poète américain Richard Hovey, qui lui vaut une réputation de bohème. « Low Tide on Grand Pré » (1893), poème éponyme de son premier ouvrage, est probablement ce qu'il a fait de meilleur.

C'est en lisant Orion de Roberts que l'Ontarien Archibald Lampman, qui travaille un temps comme postier à Ottawa, décide de se consacrer à la poésie. Ses poèmes, pour la plupart des méditations mélancoliques sur des objets naturels, exaltent la vie sereine à la campagne opposée à celle, trépidante, de la ville. D'une portée limitée, ils n'en demeurent pas moins admirables pour leurs descriptions et leurs sentiments retenus. Caractérisés par une habile rythmique des mots et des sons, ils sont toutefois assez homogènes sur le plan des idées. Les plus célèbres sont « Heat », tiré de Among the Millet (1888), et le cauchemardesque « City of the End of Things », de Alcyone (1899).

Un autre Ontarien, Duncan Campbell Scott, employé au ministère des Affaires indiennes, puise surtout son inspiration de voyages officiels dans le Nord de l'Ontario. Il contribue à faire connaître Lampman après la mort prématurée de celui-ci. Scott fait preuve d'un sens aigu de l'évocation du paysage nordique et décrit de façon émouvante le déclin de la culture amérindienne dans « The Onondaga Madonna », paru dans Labor and the Angel (1898), et dans « The Forsaken », tiré du recueil New World Lyrics (1905). Ses préoccupations philosophiques et poétiques se font jour dans un des poèmes de Lundy's Lane (1916), « The Height of Land », où il médite sur la culture de l'homme et le mystère de la vie dans un cadre symboliquement approprié. Il s'agit d'un poème majeur qui réunit les préoccupations poétiques et philosophiques de Scott. Wilfred Campbell, qui est aussi vaguement associé aux poètes de la Confédération, connaît ses plus grands succès lorsqu'il prend pour sujet la « région des lacs » de l'Ouest ontarien.

Au tournant du siècle, les oeuvres des poètes sont plus variées par le style, mais moins importantes. Pauline Johnson, dont le père est mohawk et la mère anglaise, a un temps beaucoup de succès comme poète et récitante. Ses poèmes sur la vie des Amérindiens et leurs légendes sont d'un charme irrésistible, mais d'une portée moindre. William Henry Drummond acquiert une grande renommée avec la publication de The Habitant and Other French-Canadian Poems (1897), mais le dialecte qu'il emploie, plaisant à l'époque, nous semble aujourd'hui empreint de condescendance. Rimeur plutôt que poète, Robert Service dépeint la vie des trappeurs et des orpailleurs de la ruée vers l'or du Klondike. Ses recueils tels que Songs of a Sourdough (1907), qui contientn « The Shooting of Dan McGrew » (son poème le plus connu), et Rhymes of a Rolling Stone (1912) plaisent par leurs formidables histoires et leur rythme emphatique. Francis Sherman et Marjorie Pickthall ont tous deux écrit des poèmes qui allient une habileté technique à l'éloquence lyrique, mais qui manquent d'originalité et de profondeur. Ces deux poètes mineurs n'ont à offrir souvent que des clichés, ils n'ont pas réussi à atteindre la qualité d'écriture de leurs prédécesseurs immédiats. La contribution du groupe des poètes de la Confédération demeurera insurpassée jusqu'à la venue d'E.J. Pratt après la Première Guerre mondiale.

W.J. KEITH

Poésie de langue anglaise, 1918-1960

Les premiers pas en poésie « nouvelle » au XXe siècle se font en 1914. Ils viennent du poète et romancier populaire Arthur Stringer, qui présente cette année-là un recueil de vers libres, Open Water. Ce n'est encore qu'un départ timoré vers une véritable expression de principes modernes, qui prend forme lorsqu'un concours de circonstances réunit F.R. Scott, A.J.M. Smith et Leon Edel à l'U. McGill, où ils font carrière. En 1925, Smith et ses collègues, auxquels se joindront plus tard A.M. Klein et Leo Kennedy, lancent le McGill Daily Literary Supplement (1924-1925), suivi du McGill Fortnightly Review (1925-1927), dans lequel il publient des poèmes à la manière moderne et des articles qui décrivent notre époque. Parallèlement, à Toronto, le Canadian Forum, fondé en 1920, voit plus large et inaugure un débat sur l'art actuel et la critique canadienne. Il présente une série d'articles et d'énoncés de la plume de jeunes écrivains et de critiques qui comparent l'ancienne poésie à la nouvelle, attirant de ce fait l'attention des lecteurs avertis et jetant les bases d'une approche critique canadienne vigoureuse. Felix Walter, E.J. Pratt et Dorothy Livesay, pour ne nommer que ceux-là, participent à ce mouvement.

Le début des années 30 ne favorise pas l'essor de la nouvelle poésie. La crise des années 30 freine l'activité créatrice chez les uns et oriente d'autres vers l'action politique. Les poètes connus, plus âgés et plus conservateurs, continuent de publier leurs écrits, mais les nouveaux courants ne sont que difficilement acceptés, exception faite de The Shrouding (1933) de Kennedy. En 1936, le vent tourne avec la parution d'une anthologie, New Provinces, première tentative sérieuse de la part des nouveaux poètes, assemblée non sans difficulté par Scott. Outre ses propres poèmes, elle comprend ceux de Pratt et de Robert Finch de Toronto ainsi que de Smith, Kennedy et Klein. On met de côté une présentation osée et avant-gardiste de Smith parce que jugée trop provocante et on la remplace par la petite « Preface » modérée de Scott. Très peu d'exemplaires de l'anthologie trouveront preneurs. Toujours en 1936, un professeur de français de l'U. Western Ontario, W.E. Collin, publie The White Savannahs, premier manifeste critique de la poésie contemporaine du point de vue moderniste. Il s'agit là d'un admirable complément à New Provinces. On y affirme le credo moderniste : rejet des pratiques poétiques passées, élimination de la ponctuation et de la typographie conventionnelles, abandon de la versification traditionnelle, recherche de nouveaux sujets s'inspirant de la vie urbaine, de sa grande diversité, de ses malaises sociaux, de sa politique, de son ouverture à l'innovation dans l'art, de son ironie, de ses tensions, de son organisation sociale complexe et de son nouveau langage. C'est un pas dans une nouvelle direction, mais, en 1936, on n'est pas exclusivement moderniste. Cette année-là, en effet, la Canadian Authors Association (CAA) fonde le Canadian Poetry Magazine, bientôt associé à un courant traditionnel. La CAA, au sein de laquelle Pratt est très influent, prend fermement position en faveur d'une poésie de nature plus conventionnelle.

Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, la poésie canadienne est partagée en deux camps, le moderne et le traditionnel, celui-ci jouissant d'une meilleure audience auprès du public et de plus de facilité pour la publication de ses travaux. La guerre semble donner un nouveau souffle à la poésie, principalement dans les nouveaux petits magazines qui avaient souffert durant les difficiles années 30. En 1941, un périodique aux goûts éclectiques publié par Alan Crawley, Contemporary Verse, voit le jour en Colombie-Britannique. En 1942, à Montréal, F.R. Scott se joint à un nouvel arrivant, Patrick Anderson, pour lancer une nouvelle publication intitulée Preview (1942-1945), dont l'objectif est de présenter aux lecteurs un atelier d'écriture poétique.

En l'espace de quelques mois, une nouvelle génération d'écrivains plus pragmatiques et politisés se fait connaître à Montréal par une petite revue polycopiée : First Statement (1942-1945). John Sutherland dirige le groupe, aidé d'Irving Layton et de Louis Dudek. La poésie qu'on peut y lire se caractérise par un réalisme social plus aigu et une évocation puissante de l'expérience urbaine. Les articles et les comptes rendus littéraires qui composent la revue font état de l'identité nationale dans la littérature canadienne. De ce groupe et de son périodique sort une modeste série de livres éditée par First Statement et présentant les premiers travaux de Layton, Anderson, Raymond Souster et Miriam Waddington ainsi qu'une importante anthologie de cette génération, Other Canadians (1947). Le mouvement des Petites Maisons d'Édition est bien amorcé et vise à diffuser les oeuvres de poètes modernes isolés et de les rassembler. Dorothy Livesay, Raymond Knister, R.G. Everson et W.W.E. Ross ont émergé dès les années 20 et 30, mais ce sont les petites revues et les petites imprimeries qui donneront à la poésie moderne son véritable élan (voirRevues littéraires de langue anglaise). First Statement ne se contente pas de faire connaître le travail d'écrivains partageant les mêmes opinions, c'est aussi une revue au sens classique du terme, qui offre un débouché à la nouvelle pensée critique sur la littérature canadienne et un foyer destiné à alimenter la petite édition. C'est elle également qui servira plus tard de pivot au périodique littéraire Northern Review (1945-1956) (voirPériodiques littéraires de langue anglaise).

Au cours des années de guerre, pendant que les auteurs s'émeuvent du carnage et de la destruction des richesses humaines et matérielles de la civilisation, on observe une éclosion inhabituelle de la poésie canadienne. En 1942, Ralph Gustafson fait connaître les poètes canadiens anglais à l'étranger avec son Anthology of Canadian Poetry, que publie la prestigieuse maison Penguin Books. Le recueil offre à la lecture non seulement les poètes déjà connus à l'époque, tels que Scott, Klein, Smith, Kennedy, Pratt et Finch, mais aussi ceux qui le sont moins : Livesay, P.K. Page et Earle Birney. En 1943, Gustafson est le rédacteur invité du numéro 113 de Voices, la revue trimestrielle de Harold Vinal, où apparaissent les noms d'Anderson, Layton et Souster. Cette publication permet une certaine « reconnaissance ». La poésie canadienne moderne a dorénavant la certitude de figurer dans d'importantes revues internationales. Un magazine de Chicago, Poetry: A Magazine of Verse, consacre un numéro aux poètes canadiens en avril 1941. Il porte la marque du goût prudent d'E.K. Brown, initiateur de la rubrique annuelle portant sur les écrivains canadiens, « Letters in Canada », du University of Toronto Quarterly en 1936. La sélection de poèmes de Brown va de Duncan Campbell Scott à Livesay, F.R. Scott, Finch, Kennedy et Anne Marnott. Dans ce numéro, on peut également lire l'essai de Brown, « The Development of Poetry in Canada, 1880-1940 », qui présage, par son ampleur et son approche, sa remarquable étude, On Canadian Poetry (1943). L'ouvrage est un complément à l'anthologie d'A.J.M. Smith (presque aussi pertinent que l'a été The White Savannahs pour New Provinces en 1936), The Book of Canadian Poetry (1943). Le livre de Smith se distingue par l'exigence de sa critique, mais aussi par une introduction controversée dans laquelle il classe les poètes en deux catégories : ceux de la tradition « nationale » et ceux de la tradition « cosmopolite ».

Ce faisant, il anticipe un clivage dans la poésie canadienne, qui surviendra dans la seconde moitié du XXe siècle, entre une poésie puisant aux sources littéraires de la Grande-Bretagne et un langage proprement canadien imprégné d'une sensibilité nord-américaine.

À la fin de la guerre, Preview fusionne avec First Statement pour former Northern Review, dont le rédacteur en chef est John Sutherland. Une dissension apparaît bientôt dans le camp des modernistes. La querelle des critiques, partagés entre les « cosmopolites » et les « nationaux », s'intensifie. La fin des années 40 et les années 50 correspondent à une période sombre pour la poésie canadienne. Mis à part The Ryerson Press, les éditeurs ne font que de modestes efforts et les magazines de poésie produisent peu. Signalons toutefois l'activité de Fiddlehead à Fredericton, de Northern Review et de Canadian Forum au centre du pays, de Contemporary Verse à Vancouver et, à l'échelle nationale, du Canadian Poetry Magazine. Toutefois, l'heure est à la désillusion, la ferveur des années de guerre s'est épuisée, on peut même parler d'échec.

Le renouveau survient en 1952 sous la forme d'une nouvelle revue littéraire tirée à la polycopie, Contact (1952-1954), conçue par Raymond Souster de Toronto, qui a collaboré au cours des années 40 à First Statement. Il a fait son apprentissage dans un petit magazine, Direction (1943-1946), en tant que rédacteur en chef à partir d'une base des Forces armées des Maritimes, en plus d'avoir produit six numéros d'Enterprise à Toronto en 1948. Vivement désireux de contrer le courant conservateur représenté par les idées de Sutherland, il lance Contact à l'instigation de Layton et Dudek. Cette orientation vers une nouvelle poésie s'inscrit dans un même mouvement constaté en Europe et aux États-Unis dans la seconde moitié du siècle. Les années 50 voient aussi l'émergence des idées de Marshall McLuhan (codirecteur du magazine Exploration en 1953-1959) et l'ascension de Northrop Frye parmi les critiques et théoriciens littéraires les plus respectés.

Le travail de Frye exerce un ascendant certain sur les jeunes poètes canadiens. L'un de ses élèves, James Reaney, gagne le prix du Gouverneur général en 1949 avec un recueil de poèmes, The Red Heart, qui marque le début de l'école « créatrice de mythes » dans la poésie canadienne. Ce mouvement rallie aussi Jay MacPherson, Eli Mandel, D.G. Jones et, plus tard, Margaret Atwood, tous influencés par Frye.

Durant la même période et grâce aux efforts de Contact, la maison Contact Press voit le jour (1952-1967). Elle va devenir l'un des principaux éditeurs de poésie canadienne. Créée pour donner aux jeunes poètes la chance d'être publiés, en dépit de l'apparente indifférence des éditeurs commerciaux, Contact Press diffuse les travaux de Dudek, Layton et Souster et accorde leur première chance à plusieurs des poètes qui vont marquer les années 60 et les années 70. Margaret Atwood, George Bowering, Al Purdy, Alden Nowlan, Eli Mandel, Phyllis Webb, Gwendolyn MacEwan, John Newlove, Frank Davey et Ron Everson verront leurs écrits publiés par cette maison. Contact Press tisse aussi des liens avec les poètes canadiens français de l'époque, grâce aux traductions de Gael Turnbull et Jean Beaupré.

Au cours des années 50, la poésie emprunte une fois de plus une autre direction. En 1954, Fred Cogswell commence à publier une série de plaquettes intitulée Fiddlehead Poetry Books avec, entre autres, Purdy et Nowlan. En 1956, Robert Weaver fonde Tamarack Review, et Dudek lance McGill Poetry Series, où sont publiés pour la première fois Leonard Cohen et Daryl Hine. La poésie canadienne se diversifie et grâce à la popularisation des arts, elle est sur le point de se trouver un vaste public. La popularité croissante des cafés, l'alliance du jazz et de la poésie, la nouvelle vogue des séances de lecture publiques sous forme de « happening », dans le sillage de la pensée de McLuhan, tout cela contribue à faire de la poésie un mode d'expression incarné dans le réel. Le poète est devenu un personnage public et nul n'a réussi à projeter cette image aussi bien qu'Irving Layton, qui fait connaître la poésie au public canadien d'une façon hardie et souvent scandaleuse. En 1959, Layton, qui avait fustigé le public pour son insensibilité de la poésie et qui s'était heurté à l'incompréhension et à l'indifférence de la critique littéraire, fait une percée éclatante avec son recueil A Red Carpet for the Sun, prix du Gouverneur général. Une nouvelle phase est amorcée.

MICHAEL GNAROWSKI

La nouvelle génération, après 1960

Irving Layton figure dorénavant comme un poète de première importance, tandis que A Red Carpet for the Sun annonce la montée d'une seconde génération de modernistes au Canada. De façon habile, il allie aux formes traditionnelles un contenu populaire dont l'expression emprunte souvent à la verdeur de la langue parlée. L'attitude qu'il prône face à la poésie, à l'instar de ses collègues de chez Contact Press, Louis Dudek et Raymond Souster, prévaut au cours des années suivantes. Cependant, s'il continue à produire beaucoup, son influence demeure marginale, mis à part le fait qu'il ait pavé la voie à toutes les formes de langage en poésie.

Les progrès ou les transformations dans le domaine des arts ont surtout trait à la forme, et à ce chapitre, Layton est essentiellement un conservateur. Le New American Poetry, publié par Donald Allen (1945-1960), présente beaucoup plus d'intérêt aux Canada comme aux États-Unis. Ce recueil a changé l'écriture d'au moins une génération de poètes canadiens en mettant au goût du jour les formes ouvertes prônées par Ezra Pound, puis par William Carlos Williams. Voilà que l'expression poétique au Canada devient nord-américaine et abandonne la tradition britannique. Si, comme l'ont fait remarquer certains critiques, le Canada ne fait que passer d'un colonialisme à un autre, l'accent, au moins, appartient à son propre continent.

Il est fascinant alors de lire Irving Layton & Robert Creeley: The Complete Correspondence, 1953-1978 (1990) et de constater que Layton a d'abord pris en considération les critiques très pénétrantes de son jeune admirateur, l'un des chefs de file de la New American Poetry, avant de s'en détourner pour revenir à son propre égotisme romantique.

Le début des années 60 révèle de nombreux poètes dont un des principaux, Al Purdy, a cultivé son art tout au long des années 50. Avec son Poems for All the Annettes (1962), il parvient à une forme unique d'expression qui renferme tous les enseignements du modernisme, tout en étant d'une facture indéniablement canadienne, voire régionale (centre de l'Ontario, loyaliste de l'Empire-Uni, milieu du XXe siècle). Lauréat du prix du Gouverneur général en 1965 pour The Cariboo Horses, il affirme sa poétique personnelle : discours familier, moqueur, engageant et englobant qui affiche en quelque sorte la présence canadienne comme jamais on ne l'a fait auparavant.

Moins populaire que Cohen, qui publie The Spice Box of the Earth en 1961, Purdy fait néanmoins figure de modèle pour les jeunes poètes canadiens auxquels son oeuvre laisse entrevoir un style poétique encore inconnu au Canada. Purdy reçoit son deuxième prix du Gouverneur général en 1986 pour The Collected Poems of Al Purdy, qui vient souligner la continuité de son oeuvre.

Entre-temps, de talentueux jeunes poètes commencent à publier au début des années 60 : Margaret Atwood, John Robert Colombo, Gwendolyn MacEwen et Joe Rosenblatt à Toronto; George Bowering, Frank Davey, Lionel Kearns, Daphne Marlatt, John Newlove et Fred Wah sur la côte ouest; Alden Nowlan sur la côte est. Atwood et MacEwen, premières d'un nombre croissant de poètes, ont des styles opposés. Alors qu'Atwood est pudique, ironique et moderniste, MacEwen montre une sensibilité exubérante, mythique, passionnée et d'un romantisme postmoderne.

Bowering, Davey, Kearns, Marlatt et Wah s'associent aux bulletins de poésie Tish et s'identifient à la nouvelle poétique mise de l'avant par les écrivains Robert Creeley, Robert Duncan, Denise Levertov, Charles Olson et Jack Spicer dans The New American Poetry. Le groupe de Tish a plus de cohésion que la plupart des associations d'écrivains.

Il s'agit à la fois d'un avantage et d'un désavantage. Les poètes de Tish se soutiennent et se critiquent mutuellement, mais ce rapprochement crée une sorte de complexe de persécution. Ils ont l'impression d'être boudés, tandis que les poètes du reste du Canada se croient laissés de côté par le groupe. Ces impressions vont perdurer jusqu'au milieu des années 70.

Si on jette un regard sur ce qui s'est passé à Vancouver au début des années 60, il apparaît évident que la poésie canadienne en a été influencée. Bien qu'ils ne fassent pas partie du groupe de Tish, des auteurs aussi différents que John Newlove, Gerry Gilbert et Bill Bissett y publient aussi leurs écrits. bp Nichol est de Vancouver, même s'il écrit surtout à Toronto. De Vancouver viennent également Pat Lane et Barry McKinnon, quelques années plus tard. L'U. de la Colombie-Britannique inaugure un cours de création littéraire, et, à l'U. Simon Fraser, plusieurs poètes de convictions différentes forment un noyau. Vancouver reste un foyer d'activité poétique jusque dans les années 80. Les magazines Writing et Raddle Moon s'associent à l'école d'écriture et « ses lectures, discussions, ses écrivains résidents et ses ateliers portant sur les aspects de la poésie », en même temps que le West Coast Line se refait un jeunesse. Tout cela indique un intérêt soutenu pour la toute nouvelle poésie américaine, dont les tendances théoriques portent souvent sur le langage.

Des poètes plus âgés sont aussi stimulés par ce mouvement novateur. Le Selected Poems 1940-1966 d'Earle Birney, par sa poétique inventive et sa typographie, témoigne de l'intérêt de celui-ci pour le concept formaliste des nouveaux poètes américains, tout comme c'est le cas pour la première collection parue depuis une décennie de Dorothy Livesay, The Unquiet Bed (1967). À Edmonton, Eli Mandel, d'abord identifié à l'école de Frye, gagne le prix du Gouverneur général pour An Idiot Joy (1967). Ce recueil annonce un nouveau franc-parler dans son discours poétique et une conscience personnelle qui va s'intensifier plus tard dans des écrits comme Stony Plain (1973), Out of Place (1977) et Life Sentence (1981).

Plus tard, plusieurs critiques voient une forme d'impérialisme à l'américaine dans ce qu'enseignent Olson et bien d'autres. Voici à ce sujet la réponse de Marlatt : « Ce que ces poètes nous enseignent sur la langue et la composition, ce sont des données qu'il nous faut connaître un jour ou l'autre; n'en pas tenir compte ou essayer de les réduire à un simple phénomène régional américain est une absurdité ». De fait, l'un des principaux enseignements de la nouvelle poésie est que celle-ci doit être enracinée dans son milieu de création. Purdy professait la même chose. Peu importe où il se trouvait, son langage et sa perception des choses étaient enracinés dans la très loyaliste « région au nord de Belleville », où il revenait toujours.

Des poètes de l'Est des États-Unis, comme Robert Lowell et Sylvia Plath, ainsi que de plus anciens Canadiens, comme F.R. Scott, Birney, Livesay et Ralph Gustafson, font aussi impression sur les jeunes écrivains. Essentiellement modernistes, ils n'ont cependant pas autant d'influence que la nouvelle poésie américaine et certains courants contemporains européens. En revanche, ils démontrent que la poésie canadienne contemporaine existe.

Phyllis Webb réinvente, dans Naked Poems (1965), le long poème, sans toutefois s'éloigner de la poétique contemporaine. Cette influence est encore très présente. Ses séries de poèmes lyriques témoignent avec un art subtil des même leçons que les grandes oeuvres américaines en ce qui a trait à l'écriture et au travail sur le langage. Le long poème, transformé en quelque chose de nouveau, de riche et d'étrange, représente peut-être le genre poétique le plus important des années 60, 70 et 80. C'est ce qu'affirme Robert Kroetsch, l'auteur de l'un des longs poèmes les plus novateurs, « Field Notes », dans son essai avant-gardiste et imaginatif For Play and Entrance: The Contemporary Canadian Long Poem (1981).

Parmi les premières oeuvres importantes de cette lignée, on trouve The Journals of Susanna Moodie (1970) et Power Politics (1971) de Margaret Atwood, Autobiology (1972) et Allophanes (1976) de George Bowering, King of Swords (1972) de Frank Davey, The Collected Works of Billy the Kid (1970) de Michael Ondaatje, Stevenson (1974) de Daphne Marlatt et The Martyrology: Books 1 and 2 (1972) de B.P. Nichol.

Si la littérature contemporaine subit l'ascendant de mouvements extérieurs, le renouveau nationaliste canadien engendré par le centenaire de la Confédération en 1967 permet, par l'ouverture de petites maisons d'édition, la publication de la nouvelle écriture. Contact Press est presque la seule maison d'édition des années 50 à avoir survécu (grâce aux Fiddlehead Books de Cogswell), mais vers la fin des années 60, on trouve aussi House of Anansi et Coach House Press à Toronto, Oberon Press à Ottawa et Talonbooks à Vancouver.

Depuis ce temps, plusieurs autres petites maisons d'édition ont vu le jour, et d'autres ont dû fermer leurs portes. Sans leur engagement à la cause de la nouvelle poésie canadienne, certains ouvrages n'auraient jamais été publiés. Dans une de ses dernières initiatives, Contact Press publie New Wave Canada (1966), dirigé par Raymond Souster. Parmi les 17 poètes qui y sont représentés, au moins 8 - Daphne Buckle (Marlatt), Victor Coleman, Gerry Gilbert, Robert Hogg, David McFadden, B.P. Nichol, Michael Ondaatje et Fred Wah - sont des innovateurs influents dont les oeuvres surprennent et plaisent toujours. David Cull, David Dawson, E. Lakshmi Gill et George Jonas continuent d'écrire et d'être publiés dans les années 70. Ce qui signifie que seulement quatre auteurs ont abandonné la poésie.

La publication de New Wave Canada annonce l'arrivée triomphante de jeunes poètes, ce qui sera confirmé par des recueils individuels. En 1966, Margaret Atwood gagne le prix du Gouverneur général avec son recueil fleuve intitulé The Circle Game. En 1968, les auteurs suivants ont tous au moins un livre de publié, la plupart par une petite maison d'édition : Nelson Ball, Wayne Clifford, Dennis Lee, Tom Marshall, Bissett, Coleman, Hogg, Lane, McFadden, Marlatt, Nichol, Ondaatje, Rosenblatt et Wah.

En 1970, les prix du Gouverneur général confirment la place qu'occupe la nouvelle écriture dans la littérature canadienne. Les trois prix pour l'écriture de langue anglaise sont décernés à des oeuvres expérimentales. En prose et en poésie, le long poème « assemblé » de Michael Ondaatje intitulé The Collected Works of Billy the Kid est décoré, tout comme quatre livres de B.P. Nichol, y compris une boîte de poèmes visuels minimalistes, Still Water, et une anthologie de « poésie concrète », The Cosmic Chef. Tous ces livres ont été publiés par de petites maisons d'édition. Si la poésie concrète est apparue dans les années 60 dans les travaux de Bissett, Nichol et autres, The Cosmic Chef démontre clairement l'importance de cette forme expérimentale pour bon nombre d'auteurs.

Bissett et Nichol se mettent aussi à explorer la poésie « performante » ou « poésie vocale », les psalmodies et les formes semblables, qui sont des façons de briser le sens intelligible du poème afin d'engager l'auditoire à communier par l'émotion grâce à la voix du poète. En 1970, Nichol, Steve McCaffery, Paul Dutton et Rafael Barreto-Rivera forment The Four Horsemen, premier ensemble de « poésie sonore » au Canada.

Au cours des années 70, d'autres ensembles sont créés et, à l'instar d'artistes solo, ils se produisent dans tout le Canada : le Cold Mountain Group de Montréal, Owen Sound de l'Ontario, Re : Sounding en Alberta. D'autres formes naissent, dont la « poésie découverte » et la « traduction homolinguistique », qui consiste à traduire des textes d'une langue en de nouveaux textes de la même langue par des méthodes variées. Ces formes expérimentales exercent une véritable fascination en raison des nombreuses possibilités qu'offre le discours poétique.

Pendant que les nouveaux poètes manifestent leur présence, les anciens en grand nombre continuent d'écrire avec parfois une vigueur soutenue, parfois renouvelée. C'est le cas de Livesay qui publie, en 1972, Collected Poems: The Two Seasons. Gustafson, à son tour, reçoit, en 1974, le prix du Gouverneur général pour Fire on Stone. Une des caractéristiques de la nouvelle génération, c'est qu'elle ne rejette pas complètement la tradition classique. C'est ainsi que de plus en plus de styles apparaissent et s'acquièrent un public.

Ce climat d'ouverture se traduit non seulement par une production continue des auteurs plus âgés ou au style plus traditionnel, mais encore par la diversité des manières chez les nouveaux poètes. Ainsi, l'année 1973 verra paraître à elle seule les premiers livres d'auteurs aussi différents que John Thompson, poète savant et très symboliste, Tom Wayman, poète narratif dans la lignée de Purdy, et Christopher Dewdney, explorateur rigoureux et complexe de la poétique centrée sur le langage.

Les années 70 marquent un retour au régionalisme. Toronto n'a plus le monopole de la culture. La côte ouest, que les Rocheuses protègent à la fois des rigueurs du climat et des préjugés culturels du reste du Canada, a toujours une place bien à elle, et la poésie continue d'y intéresser le lecteur. Les Prairies s'affirment, surtout depuis que Robert Kroetsch et Andy Suknaski se sont fait connaître. Les poètes des Prairies sont influencés par Purdy, particulièrement Suknaski dans ses premiers poèmes historiques et familiaux. Sa démarche narrative et son discours en langue familière offrent aux poètes des Prairies un moyen de raconter leurs propres histoires (ce moyen a toutefois dégénéré en une sorte de forme normative d'« anecdote des Prairies » sombrant trop souvent dans le banal et le prosaïque).

Les enseignements de Kroetsch sont plus complexes. Ses écrits sont souvent empreints d'un ton conversationnel, mais l'auteur explore aussi diverses possibilités plus rigoureuses qui soumettent la conversation aux formes traditionnelles de la poésie lyrique. Au début, les nouveaux poètes des Prairies étaient des hommes, mais au fil du temps, un certain nombre de poètes d'envergure ont fait leur apparition, y compris Anne Campbell, Lorna Crozier, Leona Gom, Kim Morrissey et Anne Szumigalski. Tandis que les poètes se font connaître dans les Prairies, des maisons d'édition régionales voient le jour : NeWest Press, Longspoon Press et RDC Press en Alberta, Thistledown Press et Coteau Books en Saskatchewan et Turnstone Press au Manitoba. La place qu'occupe la poésie des Prairies dans la littérature canadienne s'est vue confirmée par le livre de Dennis Cooley, Inscriptions: A Prairie Poetry Anthology (1992).

À Montréal, l'activité est intense au cours des années 40 et 50. Dans les années 70, un certain nombre de poètes dont Richard Sommer, Artie Gold, Ken Norris et Stephen Morrissey, la plupart associés à Véhicule Press, suscitent l'intérêt des lecteurs, et, dans les années 80, une autre maison d'édition, The Muses' Company, est fondée. Dans les Maritimes, le groupe de Fredericton gravitant autour d'Alden Nowlan et du magazine Fiddlehead est soutenu par beaucoup de jeunes écrivains.

La plupart de ces poètes ne sont pas connus de tout le pays parce que les maisons qui les publient ne peuvent s'offrir le luxe d'étendre leurs publications à l'échelle nationale (voir Auteurs et milieux de l'édition), à l'exception de Don Domanski, dont les poèmes visionnaires paraissent chez Anansi et Coach House, et de John Thompson, dont les deux principaux recueils sont édités par Anansi.

Au début des années 80, il semble que beaucoup de nouveaux poètes et d'éditeurs du début de la période 1960-1980 soient bien établis. La situation, par ailleurs, a changé. Le soutien généreux que reçoivent écrivains et éditeurs de la part du Conseil des Arts du Canada et d'organismes provinciaux y est pour quelque chose. Ces entités ont largement soutenu les écrivains et les maisons d'édition malgré les coupures subies depuis les années Mulroney. De fait, à la fin de 1994, le mandat du Conseil des Arts du Canada a été révisé de manière qu'on puisse accomplir autant, sinon plus, avec des moyens réduits. Il reste à voir quelles seront les conséquences de telles coupures sur la culture.

De nouveaux poètes s'affirment durant les années 80 et au début des années 90, à un point tel que même une courte nomenclature révèle une grande diversité dans la poésie comme d'ailleurs l'origine ethnique des poètes. L'héritage culturel et poétique est différent chez des poètes comme Pamela Banting, Roo Borson, Dionne Brand, Di Brandt, Dennis Cooley, George Elliott Clarke, Jeff Derksen, David Donnell, Patrick Friesen, Kristjana Gunnars, Claire Harris, Diana Hartog, Karen MacCormack, Anne Michaels, Colin Morton, Daniel David Moses, Erin Mouré, Marlene Nourbese Philip, Gerry Shikatani, Sharon Thesen, Lola Lemire Tostevin et Jan Zwicky. Si beaucoup d'entre eux ne sont pas les innovateurs de la nouvelle poésie qu'on a vus dans les années 60, ils profitent des percées accomplies par leurs prédécesseurs. Toutefois, certains comme Derksen et MacCormack explorent davantage les possibilités de l'avant-gardisme, tandis qu'Erin Mouré et Lola Lemire Tostevin appliquent des théories féministes et déconstructivistes à leur poésie imaginative.

L'écriture nouvelle et radicale est particulièrement florissante dans deux domaines. La poésie féministe et la poétique sont devenues les principales sources de pouvoir poétique, en particulier depuis la conférence de Vancouver de 1983, Women and Words/Les femmes et les mots. La poésie provenant de groupes autrefois marginalisés, comme les Africains, les Antillais, les Japonais, les Chinois et les Canadiens autochtones, a pris une place de choix.

La montée du féminisme et de la théorie de la poésie des 20 dernières années peuvent être retracées dans des projets tels que les ateliers d'écriture Women and Words/Les femmes et les mots, l'émergence de revues comme Room of One's Own, CV/2, Fireweed: A Feminist Quarterly et Tessera, le Feminist Caucus of the League of Canadian Poets et ses publications, diverses publications lesbiennes et quelques maisons d'édition entièrement consacrées aux oeuvres féministes.

Beaucoup d'écrivains qui se font remarquer en tant que poètes féministes travaillent en collaboration avec d'autres poètes féministes du Québec comme Nicole Brossard. La poésie et la politique féministes vont bien au-delà des noms des quelques auteurs que le public associe au féminisme. Nombre d'auteurs, hommes et femmes, ont tiré profit de la poussée du féminisme. Les années 80 et les années 90 ont aussi vu une importante progression de la publication de poésie d'auteurs venant de divers milieux ethniques.

Parmi les mieux connus figurent Dionne Brand, dont le No Language is Neutral a été retenu en sélection finale pour le prix du Gouverneur général, George Elliott Clarke, Claire Harris, Daniel David Moses et Marlene Nourbese Philip. Bien d'autres jeunes auteurs suivent leurs traces. Tandis que le pays continue de débattre des mérites et des dangers du multiculturalisme et que des conférences comme Writing Through Race (tenue à Vancouver en juillet 1994) génèrent leurs propres controverses, ces écrivains, de même que leurs oeuvres, ne font que souligner qu'il y a une place pour eux dans la mosaïque littéraire canadienne.

On peut trouver une introduction intéressante à la question du multiculturalisme dans les éditions spéciales d'Absinthe et de West Coast Line - The Skin on Our Tongues: a collection of work from writers of colour and aboriginal writers (1993) et dans Colour: An Issue.

Au cours des deux dernières décennies, le poème long a conservé sa place centrale comme genre littéraire d'importance au Canada. Deux études critiques exhaustives viennent confirmer ce statut : On the Edge of Genre: The Contemporary Canadian Long Poem (1991) de Smaro Kamboureli et The Art of Difference: « Documentary Collage » and English-Canadian Writing (1994) de Manina Jones. Le poème continu de Nichol, The Martyrology (malgré la mort prématurée et tragique de l'auteur en 1968, les six volumes contenant les livres 1 à 9 ont été réimprimés au milieu des années 90 par Coach House), est, avec le Field Notes de Kroetsch, notre plus important poème long.

Sous l'influence de ces deux oeuvres majeures et aussi des oeuvres de la « tradition » du « poème documentaire », le poème long revêt plus d'une forme. Trois oeuvres fort différentes de poèmes longs ont été couronnées du prix du Gouverneur général : McAlmon's Chinese Opera de Stephen Scobie en 1980, Waiting for Saskatchewan de Fred Wah en 1985 et Furious d'Erin Mouré en 1988. Parmi d'autres exemples de ce type de poème on trouve The Holy Forest (1993) de Robin Blaser, Kerrisdale Elegies (1984) de Bowering, No Language is Neutral de Dionne Brand, Bloody Jack (1984) de Dennis Cooley, A Natural History of Southwestern Ontario de Christopher Dewdney, Pear Tree Poems (1987) de Roy Kiyooka, Riffs (1993) de Dennis Lee, The T.E. Lawrence Poems (1982) de Gwendolyn MacEwan, Touch to My Tongue (1984) de Daphne Marlatt, Country of the Open Heart (1982) de David McFadden, Confabulations: Poems for Malcolm Lowry (1984) de Sharon Thesen, Stilt Jack (1978) de John Thompson et Waiting for Saskatchewan (1985) et Music at the Heart of Thinking (1987; poursuivi dans Alley Alley Home Free, 1992) de Fred Wah. Le poème long a obtenu une certaine respectabilité avec The Long Poem Anthology (1979, maintenant épuisé) de Michael Ondaatje. Les lecteurs ont pu trouver une bonne sélection de ce genre de poèmes dans A/Long Prairie Lines: An Anthology of Long Prairie Poems (1989) de Daniel S. Lenoski et The Long Poem Anthology (1991) de Sharon Thesen.

Beaucoup de petites maisons d'édition, considérées d'abord comme marginales, se trouvent maintenant au coeur de l'activité culturelle. Par exemple, Coach Press, dont les premières publications étaient les oeuvres expérimentales d'auteurs novices, a publié Under the Thunder the Flowers Light Up the Earth (1977), qui a valu à D.G. Jones le prix du Gouverneur général, et des oeuvres de Phyllis Webb : Wilson Bowl (1980), qui marquait son retour après plus de dix ans d'absence, et deux autres textes brillants, Water and Light: Ghazals and Anti Ghazals (1984) et Hanging Fire (1990). Coach Press a aussi édité un certain nombre de traductions importantes de poèmes du Québec.

House of Anansi a refait surface dans les années 90, après une absence de quelques années, forte d'une nouvelle équipe de rédaction, et elle publie les oeuvres d'un certain nombre de jeunes poètes reconnus. Au milieu des années 80, la poésie se porte bien au Canada. De fait, avec le retour de la culture des cafés et d'événements tels que le Stroll of Poets, présenté annuellement à Edmonton, il semble que la poésie ait acquis une nouvelle popularité auprès des jeunes, du moins en tant qu'art d'interprétation. Peut-être y a-t-il trop de poètes médiocres qui voient leurs textes publiés, mais c'est là un faible prix à payer pour que la poésie reste active et vivante. Après tout, elle demeure une forme littéraire où l'écrivain sert le langage dans l'optique la plus désintéressée qui soit. Tant que la poésie fleurira, l'avenir de la culture canadienne, dans son ensemble, sera prometteur.

DOUGLAS BARBOUR

Une sélection de poésie en anglais

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