Éclosion des mouvements modernes
Deuxième Guerre mondiale, les arts visuels connaissent un essor sans précédent partout au Canada, comme en témoignent le nombre grandissant d’artistes, la prolifération des galeries et des expositions d’art et l’apparition de revues spécialisées. Le Conseil des arts du Canada joue, avec les conseils provinciaux des arts, un rôle crucial à cet égard, au même titre que les musées, les galeries d’art, les ateliers d’artistes et les départements d’arts visuels dans les collèges et les universités. Si l’on veut définir la nouvelle tendance en peinture au Canada, il faut tenir compte de trois facteurs : l’importance des identités régionales, la connaissance de plus en plus grande des courants nationaux et internationaux et les différences de taille entre les diverses communautés artistiques. Ces facteurs peuvent être considérés selon diverses combinaisons, ce qui décourage toute uniformisation de « la » peinture canadienne et encourage plutôt l’importance de la peinture.
Outre l’impact de la peinture de paysage et la peinture figurative modernistes sur les membres du Groupe des Sept, les mouvements modernes font leur apparition à Montréal durant les années 1940, grâce à l’initiative des artistes eux-mêmes. Les trois figures de proue, John Lyman, Alfred Pellan et surtout Paul-Émile Borduas, ont des points de vue divergents et souvent conflictuels qui favorisent des idées énergiques et une volonté de changement. Lyman revient à Montréal après avoir séjourné à l’étranger, surtout en France, pendant 24 ans. Non seulement il donne l’exemple avec sa propre production artistique et se fait le défenseur de l’art européen moderne, mais il publie des critiques dans le Montrealer de 1936 à 1940, et fonde, en 1939, la Société d’art contemporain. Cette société accepte les artistes qui ne font pas partie de l’Académie royale des arts du Canada et organise des expositions annuelles au cours des neuf années de son existence. Elle contribue aussi à introduire le modernisme européen au pays. Parmi les 26 artistes fondateurs de la société figurent Prudence Heward, Fritz Brandtner, Goodridge Roberts, Louis Muhlstock, Marian Scott et Philip Surrey. Parmi les francophones dans le groupe, on compte Paul-Émile Borduas.
Les automatistes et les plasticiens
Alfred Pellan rentre au Canada en 1940 après avoir passé 14 ans à Paris. Il apporte une source d’inspiration plus radicale. Les interprétations du cubisme et du surréalisme de cet artiste éclectique, au talent éclectique, sont une révélation pour les artistes de Montréal. Borduas, d’abord bouleversé par le travail de Pellan, va encore plus loin en s’inspirant des idées d’André Breton, le fondateur du surréalisme. Il ne se contente pas d’imiter l’art français, mais exprime une révolution spirituelle originale. Il devient le pivot d’un groupe de jeunes hommes et de jeunes femmes qui comprend, entre autres, Fernand Leduc, Pierre Gauvreau, Jean Paul Riopelle, Marcel Barbeau, Françoise Sullivan et Jean-Paul Mousseau. Au milieu des années 1940, ce groupe à l’identité clairement définie se voit octroyer le nom d’automatistes, d’après une de ses expositions organisée en 1947. Ce nom évoque à la fois la liberté de la peinture abstraite gestuelle et les pratiques surréalistes de longue date de l’écriture et du dessin automatiques.
Riopelle, le plus prestigieux des jeunes peintres, déménage à Paris en 1946, suivi de Leduc qui y séjourne de 1947 à 1953. Grâce à eux, des liens directs sont maintenus avec les surréalistes français. La signature collective du Refus global, un manifeste écrit par Borduas en 1948, représente le point culminant de l’action des automatistes. Le pamphlet proclame la liberté d’expression culturelle et spirituelle et critique les répressions du gouvernement québécois de l’époque et la mainmise de l’Église sur la politique, la culture et l’éducation au Québec. Cela provoque tout un tollé et Borduas perd son poste d’enseignant à l’École du meuble. Après cinq ans de difficultés financières et professionnelles, il quitte le Canada pour s’installer à New York. Il y restera de 1953 à 1955 et sera en contact avec l’œuvre des expressionnistes abstraits. Il s’installe finalement à Paris, de 1955 à 1960. Sa peinture ainsi que son plaidoyer pour un changement culturel font de Borduas un des plus grands artistes canadiens.
Les automatistes sèment la division au sein de la Société d’art contemporain. Les membres plus âgés ne peuvent et ne veulent suivre le mouvement. Pellan dirige, pendant une courte période, un groupe « anti-automatiste », Prisme d’yeux (1948-1950), auquel s’associent Léon Bellefleur et Albert Dumouchel. Au milieu des années 1950, le mouvement automatiste cède sa place à un courant rigoureux de peinture abstraite, comme le reflètent les œuvres de Leduc et des plasticiens, un groupe formé en 1954 par le critique Rodolphe de Repentigny (qui peint sous le pseudonyme de Jauran) et trois autres peintres. Leur première exposition a lieu en 1955.
L’Association des peintres non figuratifs de Montréal, fondée en 1956, absorbe très vite ce groupe, influencé par les idées et les travaux de l’artiste russe d’avant-garde Kazimir Malevich et le peintre néerlandais influent Piet Mondrian. Leduc en est le président, de Repentigny, le secrétaire et Guido Molinari, le trésorier, et il compte parmi ses membres d’autres artistes comme Rita Letendre et Jean McEwen. La direction est d’abord assumée avec hésitation par les plasticiens, mais s’affirme ensuite grâce à Leduc, Molinari et Claude Tousignant. Leduc retourne en France en 1959, et ce sont les travaux de Molinari et de Tousignant, caractérisés par une abstraction particulièrement rigoureuse et nette, à laquelle s’ajoute une dynamique des couleurs, qui orientent la peinture montréalaise vers les années 1960. Mais leurs préoccupations sont partagées, comme le démontrent les travaux d’Yves Gaucher, d’abord dans ses estampes puis, à partir du milieu des années 1960, dans ses tableaux, de même que les œuvres de Charles Gagnon, qui s’adonne à la peinture, à l’assemblage et à la photographie.
Toronto et le Groupe des Onze
Durant les années 1940, le débat radical qui anime Montréal ne se retrouve pas à Toronto. Seuls quelques artistes tels Paraskeva Clark, Robert « Scottie » Wilson, Albert Franck et Jock Macdonald (une personnalité importante autant dans la peinture que dans l’enseignement) luttent contre la prédominance du Groupe des Sept et leurs disciples au sein du Canadian Group of Painters. D’autres, comme Jack Bush et des artistes plus jeunes, notamment Oscar Cahén, Walter Yarwood, Harold Town et William Ronald, développent, vers la fin des années 1940, une approche plus radicale qui s’inspire de la peinture européenne et new-yorkaise.
En 1952, Alexandra Luke monte l’exposition itinérante Canadian Abstract Exhibition, et l’année suivante, Ronald organise une exposition intitulée Abstracts at home, au grand magasin Simpsons. Il y présente ses œuvres de même que celles de six autres artistes : Kazuo Nakamura, Luke, Bush, Cahén, Ray Mead et Tom Hodgson. Le groupe décide de continuer d’exposer ensemble puis, avec la venue d’Hortense Gordon, de Yarwood, de Town et de Macdonald, prend le nom de Groupe des Onze. Leur première exposition collective remonte à 1954 et leur dernière, à 1960. Très différents les uns des autres sur le plan conceptuel et stylistique, leurs plus belles œuvres sont représentées par les surfaces de couleurs vives de Town, Ronald, Hodgson et Cahén. En 1956, le groupe expose à New York, conjointement avec les American Abstract Artists. Puis, Ronald, qui travaille alors à New York, invite le critique Clement Greenberg à venir visiter les artistes de Toronto dans leurs ateliers en 1957. Town et Yarwood refusent de participer au projet. La visite de Greenberg influence le plus Bush.
Au moment où le Groupe des Onze commence à se disperser, il continue d’influencer une communauté de jeunes artistes solides et pleins d’énergie, rassemblés autour de la galerie d’Av Isaac. Leurs œuvres englobent un vaste éventail d’intérêts, allant du dadaïsme à l’expressionnisme abstrait, et se distinguent par leur style figuratif fortement expressif. Parmi les membres de ce groupe, mentionnons des artistes comme Graham Coughtry, Joyce Wieland, John Meredith, Gordon Rayner, Dennis Burton, Robert Markle, Nobuo Kubota, Richard Gorman et Robert Hedrick. Le plus original d’entre eux, Michael Snow, qui fait ses débuts comme peintre professionnel, évolue ensuite vers plusieurs médias, notamment la sculpture, la photographie et le cinéma.
Groupe de London
Un autre groupe d’artistes se développe à London pendant les années 1960, grâce surtout à Jack Chambers, Tony Urquhart et Greg Curnoe. Chambers et Curnoe, chacun à sa manière, définissent le régionalisme avec vigueur, y voyant une expression vitale de la vie quotidienne et du travail dans une communauté donnée. C’est Chambers qui, afin de réglementer les expositions et les droits d’auteurs, et de revendiquer le statut professionnel des artistes, est à l’origine de la mise sur pied en 1967 de la Canadian Artists Representation (voir Associations d’artistes). Aujourd’hui, bien que la communauté de London soit petite, elle n’en demeure pas moins très active dans le domaine de la sculpture, des installations et de la peinture. Parmi ces artistes se distinguent Paterson Ewen, qui est venu de Montréal en 1968, et Ron Martin, qui travaille à Toronto depuis 1983.
Peinture dans les provinces de l’Atlantique
Dans les provinces de l’Atlantique, les arts visuels ont adopté des positions radicales plus tard qu’au Québec et en Ontario. Jack Humphrey, de Saint-Jean au Nouveau-Brunswick, est parmi les premiers de cette région à vraiment s’intéresser aux questions reliées à l’art contemporain. Il est suivi, après la guerre, de Bruno Bobak et de Molly Lamb Bobak de Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Lawren S. Harris à Sackville, au Nouveau-Brunswick, est pour ainsi dire le seul peintre abstrait de la région de l’Atlantique, tandis qu’Alex Colville demeure la figure dominante des arts visuels. Il établit de nouvelles normes en art réaliste et, grâce à son enseignement à l’Université Mount Allison de 1946 à 1963, il exerce une influence sur des artistes comme Christopher Pratt, Mary Pratt, Tom Forrestall, D.P. Brown. Depuis la fin des années 1960, le Nova Scotia College of Art and Design University est le carrefour d’artistes radicaux canadiens, américains et européens, dont, entre autres, Garry Neill Kennedy et Eric Cameron.
Peinture dans l’Ouest canadien
Dans les provinces de l’Ouest, chaque grande ville possède un caractère et un esprit distincts. C’est Vancouver qui regroupe le plus grand nombre d’artistes et qui a été la première à s’intéresser à l’art moderne. Jock Macdonald y travaille dans les années 1930 et Lawren S. Harris s’y installe dès 1940; B.C. Binning et Jack Shadbolt y font leur marque dans les années 1940 en tant qu’artistes et enseignants. Binning est surtout connu comme dessinateur et peintre abstrait de bateaux et de paysages, tandis que Shadbolt, considérablement influencé par la richesse du paysage et l’Art autochtone de la côte du Nord-Ouest, crée des interprétations surréalistes tout à fait originales à partir de ces thèmes. Les œuvres de Gordon Smith, Takao Tanabe et Don Jarvis joignent le paysage à l’abstraction lyrique et Toni Onley, qui déménage à Vancouver en 1959, pousse encore plus loin dans cette voie.
Roy Kiyooka quitte Regina pour Vancouver en 1959, où il conçoit des œuvres abstraites plus rigoureuses qui marqueront un groupe de jeunes peintres. Au cours des années 1960 et 1970, Vancouver, à l’instar de Toronto et Montréal, s’intéresse à divers courants, avec une préférence pour l’art conceptuel, les communications, la vidéo et la performance. Les œuvres réalisées par Iain et Ingrid Baxter dans le cadre de N.E. Thing Co. (la compagnie qu’ils ont fondée en 1966), les performances, les tableaux et les œuvres multidisciplinaires de Michael Morris et Gathie Falk en sont de bons exemples.
À Regina, dans les années 1950, le gros des activités tourne autour d’un petit groupe d’artistes déterminés à briser le sentiment qu’ils ont d’être isolés des grands centres artistiques, en particulier de New York. L’école d’été d’Emma Lake, fondée en 1936 par Augustus Kenderdine, prend de l’expansion en 1955, grâce à Kenneth Lochhead et à Arthur McKay, qui y intègrent un atelier pour les artistes professionnels. Jack Shadbolt dirige le premier de ces ateliers. Par la suite, plusieurs directeurs seront des Américains, notamment Barnett Newman (1959), Clement Greenberg (1962), Kenneth Noland (1963) et Jules Olitski (1964). En 1961, Ronald Bloore, directeur de la galerie d’art Norman Mackenzie, organise une exposition intitulée Five Painters from Regina, dans laquelle il présente ses propres œuvres aux côtés de celles de Lochhead, de McKay, de Ted Godwin et de Douglas Morton. Au cours de la même année, l’exposition fait une tournée au Canada, organisée par la Galerie nationale du Canada, et le groupe se fait désormais connaître sous le nom de Regina Five.
Les ateliers d’Emma Lake influencent aussi les artistes de Saskatoon, regroupant des artistes de style et d’âge différents. Ernest Lindner en est le doyen pendant de nombreuses années et il acquiert une réputation nationale grâce à ses tableaux en plans rapprochés d’arbres et de plantes, ainsi qu’à ses études figuratives. Le groupe se démarque surtout par ses paysages, notamment ceux de Reta Cowley, Wynona Mulcaster et Dorothy Knowles, et encourage nombre de jeunes artistes tels Greg Hardy et David Alexander. Cette sensibilité face aux paysages est aussi à l’origine des œuvres abstraites de William Perehudoff et d’Otto Rogers, aussi disparates soient-elles. Les peintres plus jeunes, par exemple Robert Christie, manifestent un vif intérêt pour la représentation abstraite de champs colorés. Par contre, le constructivisme d’Eli Bornstein fondateur du journal Structurist, s’éloigne de ces tendances.
Pour les artistes de l’Alberta, comme pour ceux de la Saskatchewan, les ateliers d’Emma Lake de même que le Banff Centre ont joué un rôle important dans le développement des arts visuels. À Calgary, un groupe composé de Ron Spickett, de Marion Nicoll et de Roy Kiyooka s’est formé autour de Maxwell Bates. Ce dernier, architecte de formation, s’y adonne à la peinture expressionniste jusqu’en 1961, année où il déménage à Victoria. Par la suite, ce sont des artistes comme Bruce O’Neil et Gerald Hushlak qui sont à la tête du courant moderniste.
Les paysages de style moderniste caractérisent l’oeuvre de Ken Christopher et les diverses formes artistiques qu’adoptent John Hall, Derek Michael Besant, Ron Moppett et Gary Olson. L’intérêt pour le formalisme, autant en peinture qu’en sculpture, s’affirme particulièrement à Edmonton, où il est favorisé par l’Edmonton Art Gallery et notamment par Terry Fenton, qui y occupe le poste de directeur pendant de longues années. Parmi l’important groupe de peintres formalistes qui y travaillent, mentionnons Douglas Haynes, Robert Scott, Phil Darrah et Terrence Keller.
Fritz Brandtner et LeMoine Fitzgerald occupent une place importante dans le monde artistique. Puis l’activité se concentre autour de l’U. du Manitoba, où enseignent des artistes comme George Swinton, Joe Plaskett et, à partir de 1964, Ken Lochhead. Malgré un certain isolement des autres centres, la communauté de Winnipeg est toujours active et diversifiée. Des peintres comme Don Reichert, Ivan Eyre, Esther Warkov, Jack Butler, Sheila Butler et Suzanne Funnell y habitent.
Tendances vers la fin du 20e siècle
Années 1970
Dans les années 1970, la peinture, qui était jusque-là à l’avant-garde des arts visuels, se voit menacée par de nouveaux courants dans divers domaines : art conceptuel, installations, sculpture, vidéo et performance (voir Courants artistiques contemporains; Art vidéographique). Si la peinture doit survivre, elle le fera le plus souvent en réaction aux autres formes d’expression visuelle. Pourtant, ces dernières années, au Canada comme à l’étranger, loin de stagner, la peinture a évolué à un rythme rapide, particulièrement chez les jeunes artistes. On remarque, surtout à Toronto et à Montréal, un intérêt pour ce qu’on pourrait appeler l’expressionnisme abstrait, la peinture figurative et la représentation, sans oublier l’abstraction géométrique.
Comme il est encore impossible de prédire l’avenir de ces nouvelles tendances, on doit admettre que ces termes sont arbitraires et imprécis. On peut décrire les œuvres de certains artistes, tels Christian Knudson, Richard Mill, Leopold Plotek, Christian Kiopini et Jocelyn Jean de Montréal, comme des œuvres abstraites et géométriques, mais on se doit de distinguer les champs d’intérêts de ces artistes et de les différencier d’autres peintres comme Ric Evans, Jaan Poldaas, Milton Jewell et Paul Sloggett de Toronto. L’essentiel est de voir comment chaque peinture interpelle le public. L’oeuvre de Ron Martin en est un bon exemple. Son passage récent, d’une forme ouverte et picturale à une structure géométrique colorée, marque un changement syntaxique plutôt que stylistique.
Pour plusieurs artistes, notamment Jacques Hurtubise de Montréal, Joseph Drapell, Milly Ristvedt-Handerek et Harold Feist de l’Ontario, la peinture demeure un phénomène abstrait, formel et personnel. De même, la distinction entre l’abstrait et le figuratif n’est pas toujours évidente. Ainsi, dans les œuvres de David Bolduc, Harold Klunder, Paul Fournier, Alex Cameron, Paul Hutner, Howard Simkins, Eric Gamble et Christopher Broadhurst, de Toronto et d’ailleurs, les images figuratives se mêlent aux formes abstraites qui font partie intégrante de leur art.
Vers la fin des années 1970, il est difficile d’échapper à l’impression que la peinture, si elle n’est pas un anachronisme, est à tout le moins une activité dont les paramètres sont définis. Sous certains aspects, cela rappelle une situation qui s’est produite il y a 80 ans, alors que le fossé entre les académiciens et les avant-gardistes semblait moins grand que 20 ans auparavant. Mais il s’agit là d’une fausse impression de fermeture, car à la fin des années 1970 comme dans les années 1890, la peinture elle-même est en pleine révision.
Années 1980 au présent
Au début des années 1980, les artistes canadiens ont recours à un large éventail de supports : vidéos et photographie, installations, interventions sur un site ou sur un site public, performance. Cette diversification coïncide avec une période de croissance dans plusieurs secteurs des arts visuels, la construction de nouvelles galeries et l’expansion des principaux centres urbains, multipliant ainsi les occasions d’exposition pour les artistes. Contrairement à la fin des années 1940 et 1950, ce n’était pas une période caractérisée par des manifestes, comme le Refus global de 1948, ni par les positions conflictuelles de l’ancienne et de la nouvelle avant-garde. C’était plutôt une période de changements d’idéologie. Certains de ces changements remettent en question la valeur de l’identification de mouvements, la pertinence de l’art pour la société, voire celle de la peinture en tant que discipline «majeure» et chargée d’histoire. Si la peinture est soumise aux pressions de la critique et de la théorie, elle est aussi en renaissance.
On peut identifier plusieurs facteurs qui contribuent à cette situation, notamment le fait que la peinture s’impose durablement comme moyen fondamental d’expression. On peut aussi constater un pluralisme au sein de la pratique. L’abstraction perd son statut d’art «contemporain» face au torrent de peinture d’images du début des années 1980, avec l’émergence quasi-simultanée, dans de nombreux pays, du «zeitgeist» européen et du «néo-expressionnisme». La peinture d’images, que nous entendons ici au sens large englobant une diversité d’approches de l’art figuratif, permet aux artistes de s’exprimer sur des questions et des causes : genre, culture des Premières Nations, injustices et inégalité sociales, et la prise de conscience des questions environnementales. Ils réinventent l’abstraction est revue, la dotant de formes et d’expressions inattendues. Bon nombre des peintres qui ont émergé dans les années 1960 ou 1970, continuent de participer à cette dynamique, et les artistes qui étaient à l’avant-garde des mouvements modernistes d’après 1950 sont toujours actifs. L’œuvre de nombreux peintres confirmés atteint le statut de «patrimoine», tout en restant fidèle aux principes de l’expérimentation, formant ainsi un pont entre les générations. On compte parmi ces maîtres : Alex Colville, Paterson Ewen, Gathie Falk, Douglas Haynes, Guido Molinari, Jack Shadbolt, Gordon Smith, Takao Tanabe et Joyce Wieland.
Le nouveau monde d’art globalisé
Un autre facteur de la diffusion et de la dissémination du pluralisme est la dissolution des communautés d’artistes régionales; les artistes deviennent nomades. Cela résulte en partie de la prolifération des collèges des arts et le besoin subséquent de professeurs. La notion d’interrégionalité s’étend à la scène internationale et certains artistes canadiens expatriés (p. ex. Les peintres Peter Doig et Lisa Milroy en Angleterre dans les années 1990) deviennent connus. En ce qui concerne la région, le style n’est plus inspiré par le passé. Sur la côte est, l’influence du réalisme précisionniste de Colville, de Christopher Pratt et de Mary Pratt permet aussi les peintures d’images particulièrement originales de Gerard Collins, de Nancy Edell et de Suzanne Funnell. Au cours des années 1990, l’artiste conceptuel Gerald Ferguson commence à intégrer à ses tableaux des motifs d’art populaire réalisés à la pochette, tout en restant fidèle aux principes de son art conceptuel. Au cours des années 1980, Montréal (bastion de la peinture non objective exemplifiée par l’oeuvre de Molinari, de Louis Comtois, de Charles Gagnon, d’Yves Gaucher et de Claude Tousignant) voit l’émergence d’une nouvelle génération de peintres d’images. En 1983, Pierre Dorion et Claude Simard louent un appartement dont ils recouvrent les surfaces d’images peintes, vendues ensuite au pied carré. Mentionnons également les peintres montréalais Peter Krausz, Louise Robert, Susan G. Scott, Richard-Max Tremblay, Carol Wainio et Irene Whittome. Cette dernière est connue aussi pour ses sculptures et installations des années 1970 et 1980.
Malgré la présence du Groupe des Onze durant les années 1950, Toronto n’a pas une tradition établie de l’abstraction comparable à celle de Montréal. Tout au long des années 1960 et 1970, il existe toujours un courant de peinture d’images. Sa mise en valeur doit beaucoup aux initiatives des artistes, et notamment de la Chromazone Gallery, même si ses expositions ne concernaient pas exclusivement la peinture. Ouverte de septembre 1981 à mai 1983, la galerie continue d’organiser ensuite des expositions de groupe très importantes à des sites provisoires. Parmi les artistes on peut citer Andy Fabo, Rae Johnson, Oliver Girling, Brian Burnett, Sandra Meigs, Andy Patton, John Brown, Richard Storms, Shirley Wiitasalo et Will Gorlitz. Joanne Tod devient une cause célèbre à la suite de l’énorme exposition Monumenta qui s’étend sur quatre galeries en 1982 et son oeuvre devient une présence sur la scène nationale. Pour sa part, Natalka Husar acquiert une réputation solide dans les années 1990. Comme Tod, son travail met en scène des images sardoniques des comportements culturels dans les villes d’aujourd’hui.
À Winnipeg, l’œuvre de deux peintres d’images notables, Wanda Koop et Eleanor Bond, est caractérisé par une approche forte et emblématique et un travail à grande échelle. Les paysages urbains inventés de Bond, peints en vue plongeante, sont nourris par ses expériences internationales. Koop aussi s’inspire de son passé (peinture maniériste et icônes populaires canadiennes) et de sa fascination pour les influences interculturelles. Parmi les autres grands peintres d’images de l’Ouest canadien qui ont émergé dans les années 1980, mentionnons David Alexander et Janet Werner, de Saskatoon; Chris Cran et David Janzen, de Calgary; et David Thauberger, de Regina. Futura Bold (1984), un collectif qui regroupe Angela Grossman, Richard Atilla Lukacs, Derek Root et Graham Gillmore, atteint la reconnaissance en 1985 grâce à l’exposition New Romantics (« les nouveaux romantiques ») de la Vancouver Art Gallery, où sont également exposées des œuvres de Mina Totino et de Vicky Marshall. Les images de skinheads des années 1980 peintes par Lukacs démontrent que la peinture possède encore le pouvoir de susciter la controverse.
De la même manière, la nouvelle abstraction qui apparaît partout au Canada à la fin des années 1980 et dans les années 1990, exprimée dans l’oeuvre de René Pierre Allain, à Ottawa et à New York; de Bobbie Oliver, à New York; de Gina Rorai, à Toronto; d’Arlene Stamp, à Calgary; de Monica Tap, à Halifax; de David Urban, à Toronto; et de Robert Youds, à Victoria, est bien la preuve que l’abstraction n’est pas encore morte, contrairement à l’opinion de certains critiques. Ajoutons aux pluralistes les artistes qui ont franchi la ligne entre l’art figuratif et l’abstraction à la fin des années 1990, comme Chris Cran et James Lahey, de Toronto; et les artistes dont l’oeuvre est difficile à placer dans une catégorie : Christian Eckart, de Calgary et de New York; Robert Fones, de Toronto; Regan Morris, de Toronto; Taras Polataiko, d’Ukraine et de Saskatoon; Mary Scott, de Calgary; et Renée Van Halm, de Vancouver.
L’un des avantages de la perspective interrégionale, c’est qu’elle permet réellement aux artistes d’agir en agent libre culturel, plutôt que de les enfermer dans une catégorie selon leur affiliation à un certain type ou style. Tony Scherman, de Toronto, en est un exemple. Ses tableaux, qui puisent dans des éléments de la mythologie grecque, de la Révolution française, des pièces de Shakespeare et des icônes de la culture populaire, expriment leur pertinence au monde d’aujourd’hui. Un autre exemple est David Bierk, de Peterborough, qui s’inspire des chefs-d’oeuvre historiques pour mieux communiquer les préoccupations du monde urbain contemporain, et non pour susciter une nostalgie du monde pastoral.
Un autre événement majeur du début des années 1980 renouvelle la définition de l’art régional. Il s’agit de la prise de conscience sociale et politique de l’art autochtone radical, urbain et contemporain. Ces œuvres tiennent compte du patrimoine de la tradition orale, de l’histoire sociale et de la colonisation et de l’impact sur la culture et sur les personnes de la dépossession de leurs racines historiques et de leur terre. Souvent, les artistes allient les motifs et images traditionnels aux genres de l’art occidental contemporain. Parmi ces artistes, on peut distinguer Carl Beam (Ojibwé), Bob Boyer (Métis), Robert Houle (Saulteaux), Alex Janvier (Déné), George Littlechild (Cri-des-Plaines), Gerald Mc Master (Cri-des-Plaines), Shelley Niro (Mohawk), Jane Ash Poitras (Chipewyan, Cri), Rick James Rivet (Métis), Joane Cardinal-Shubert (Sang, Pieds-Noirs, Péigan) et Lawrence Paul Yuxweluptun (Salish du littoral, Okanagan).
Si la fin des années 1970 est marquée par une maturité sans précédent des arts visuels et par l’établissement des prémisses d’un soutien accru en termes d’infrastructure, celle des années 1990 est marquée par des échanges intellectuels et visuels accrus entre les différents supports. En effet, la peinture est informée par les questions et les innovations de la photographie, de la vidéo et des technologies numériques, alors que les artistes travaillant sur les supports «technologiques» adoptent des approches très diverses et souvent inattendues de la peinture. Il existe également une meilleure appréciation de la diversité culturelle et une plus grande conscience des nombreux apports de l’art en tant que production culturelle à l’environnement social progressif. Grâce à cet éveil, les artistes se penchent sur les questions sociales, les systèmes de croyances (la spiritualité), l’éthique de la nouvelle ère scientifique, et un règlement de comptes avec l’histoire et l’histoire de l’art.