Parti rouge | l'Encyclopédie Canadienne

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Parti rouge

Le Parti rouge est un parti politique libéral radical du Canada-Est (Québec) et à ce titre succède au Parti patriote. À compter des années 1840 jusqu’à la Confédération, le parti contraste vivement avec les conservateurs du Parti bleu de George-Étienne Cartier. Il prône des réformes démocratiques telles que le suffrage universel et s’allie avec les Clear Grits de George Brown, formant même en 1858 un gouvernement de coalition qui ne dure que quelques jours. Le Parti rouge ne représente pas une force politique dominante dans le Canada-Est en raison de son extrémisme et son anticléricalisme. Après la Confédération, projet auquel le parti s’est opposé, les membres modérés du Parti rouge se joignent aux Clear Grits, jetant les bases du Parti libéral du Canada.
Louis-Joseph Papineau, (Daguerrotype)
Personnage complexe et contradictoire, Papineau a été le premier dirigeant politique réel de son peuple et le symbole parfait de son mécontentement (daguerréotype, avec la permission des Biblioth\u00e8que et Archives Canada/C-66899).

Contexte

Bien que les Patriotes soient vaincus lors des rébellions de 1837-1838 et que les Canadas s’unissent en 1841, mesure visant entre autres à assimiler les Canadiens français, la conscience nationale et politique née dans les années 1820 et 1830 chez les Canadiens français est loin de disparaître. Louis-Hippolyte LaFontaine et son « bloc français » limitent les dommages causés par l’Acte d’Union; toutefois, certains jeunes Canadiens français instruits issus de diverses professions libérales, notamment des avocats, des médecins et des notaires, demeurent soucieux de leur rôle au sein la colonie. Les marchands britanniques et écossais contrôlent toujours l’économie coloniale et les Britanniques continuent d’en dominer l’administration. De plus, grâce à la loyauté dont elle a su faire preuve en 1837–1838, l’Église catholique romaine se voit octroyer de nouveau en 1839 son statut légal et entreprend de se reconstruire. L’Église commence donc à accroître son contrôle la société canadienne-française et du gouvernement du Canada-Est (Québec) en prêchant l’ultramontanisme, une idéologie qui revendique la priorité de la société religieuse sur la société civile.

Pendant les années 1840, plusieurs citoyens sont contrariés par le conservatisme et le manque de réformes démocratiques du Reform Party de Louis-Hippolyte LaFontaine et de Robert Baldwin. Stimulée par les révolutions libérales des années 1830 et 1840 en Europe et influencée par les politiques populistes de la démocratie jacksonienne, telles que la mise en place du suffrage universel pour les hommes blancs, cette nouvelle génération de réformateurs entreprend d’exiger des changements plus radicaux et démocratiques.

Institut canadien et le retour de Papineau

Les membres du Parti rouge se rencontrent à l’Institut canadien. Fondé en 1844 à Montréal, l’Institut est à la fois une bibliothèque, un centre de conférence et un lieu de débat. Au cours des années, de nombreux Patriotes et réformateurs, tant radicaux que modérés, y prononcent des discours lors de rencontres : Wolfred Nelson, Charles Mondelet et Étienne Parent ainsi qu'Augustin-Norbert Morin. L’idéologie du Parti rouge est façonnée par les idées alors exposées telles que le suffrage universel, la séparation de l’Église et de l’État, l’abolition du régime seigneurial, l’abrogation de l’Union, la représentation proportionnelle, l’annexion aux États-Unis ainsi que diverses autres réformes constitutionnelles (telles qu’un Conseil législatif et un gouverneur général élus).

Le Parti rouge fonde aussi son propre journal, L’Avenir. Créé en 1847 par Jean-Baptiste-Éric Dorion et George Batchelor, le journal permet de promouvoir les idées du mouvement. En 1845, lorsque Louis-Joseph Papineau revient au Canada après un exil de huit ans, le mouvement se retourne contre Louis-Hippolyte LaFontaine.

En 1848, Papineau est élu à l’Assemblée législative où il se trouve immédiatement en désaccord avec les politiques conciliantes de LaFontaine. Papineau ne peut appuyer l’union des Canadas; s’exprimant devant l’assemblée, il condamne la représentation paritaire alors en vigueur entre le Haut-Canada et le Bas-Canada, car elle n’est pas proportionnelle à la population des deux colonies. Papineau croit qu’un jour la représentation proportionnelle causera du tort au Canada français, puisque la population anglophone croissante du Canada-Est risque de la revendiquer et de l’utiliser pour contrôler l’Assemblée législative. Il fait valoir que le Canada-Est deviendrait alors doublement colonisé, dominé à la fois par la Grande-Bretagne et par le Canada-Ouest (soit l’Ontario). Un gouvernement séparé de celui du Canada-Ouest répondait mieux aux besoins du Canada français. Pour Papineau, il n’existe qu’une seule option : l’abrogation de l’Union. Les libéraux radicaux appuient Papineau au sein de l’Assemblée législative; bien qu’il n’ait jamais été l’un des chefs officiels du parti, il en est un membre honoraire.

Antoine-Aimé Dorion

En 1854, après que Louis-Joseph Papineau ait pris sa retraite de la politique, Antoine-Aimé Dorion devient chef du parti. Pendant son mandat, le Parti rouge adopte un programme politique plus modéré et plus équilibré, mettant l’accent sur l’éducation laïque, l’abolition du régime seigneurial, un conseil législatif électif, la réciprocité commerciale avec les États-Unis et le suffrage universel. Antoine-Aimé Dorion privilégie un style de gouvernement fédératif, estimant que celui-ci protège les droits provinciaux.

En 1854, lors de première élection du parti avec Antoine-Aimé Dorion comme chef, les rouges envoient 19 représentants à l’assemblée dont la plupart proviennent de la région de Montréal, y compris Dorion lui-même. En fait, 62 % des Montréalais votent pour le Parti rouge. Grâce en grande partie au fait que Dorion soutient le manifeste de Montréal en faveur de l’annexion, le parti gagne l’appui de la communauté des affaires anglophone de Montréal. Cela constitue le point culminant de la représentation du parti à l’assemblée. En 1857, au moment de l’élection suivante, le nombre de sièges tombe à 13. Dans les faits, le parti attire uniquement un petit pourcentage d’électeurs canadiens français, puisque son anticléricalisme et son libéralisme radical aliènent la population canadienne-française religieuse et traditionnelle. D’ailleurs, son alliance avec George Brown, le chef des Clear Grits et réformateur qui utilise son journal, le Toronto Globe , pour condamner et ridiculiser l’Église catholique romaine, prive le parti de l’appui de Dorion. Durant les années 1850 et 1860, le clergé catholique utilise ses sermons pour condamner le Parti rouge et favoriser le Parti bleu de George-Étienne Cartier, au moyen notamment de cette célèbre formule : « Le ciel est bleu et l’enfer est rouge ».

À la suite d’une écrasante défaite aux mains du Parti bleu lors de l’élection de 1857, Antoine-Aimé Dorion tente une alliance avec George Brown, qui a remporté la majorité au Canada-Ouest. Bien que les deux hommes politiques défendent des convictions républicaines similaires, ils ne s’entendent pas au sujet de la représentation proportionnelle, à laquelle la plupart des rouges s’opposent. Antoine-Aimé Dorion appuierait la représentation proportionnelle si Brown s’engageait notamment à protéger les droits des provinces au moyen de l’adoption d’une union fédérale. En 1858, après la démission du gouvernement de John A. Macdonald et de George-Étienne Cartier, George Brown et Antoine-Aimé Dorion s’unissent pour former un gouvernement. Une motion de défiance renverse ce gouvernement qui ne dure au total que quelques jours.

Le Parti rouge traverse une période difficile à la fin des années 1850 et au début des années 1860. Les Clear Grits de George Brown affrontent les rouges d’Antoine-Aimé Dorion, et Brown refuse d’appuyer la proposition d’une union fédérale présentée par Dorion. De plus, lors de l’élection de 1861, Antoine-Aimé Dorion perd son siège à l’Assemblée législative aux mains de George-Étienne Cartier. En juin 1862, il revient à l’assemblée comme représentant d’Hochelaga. En 1863, une coalition regroupant des réformistes et des Grits sous John Sandfield Macdonald et les rouges de Dorion forment le nouveau gouvernement. Un an plus tard, celui-ci est défait par le gouvernement conservateur de sir Étienne-Paschal Taché et John A. Macdonald.

Confédération

L’opposition à la Confédération constitue la dernière bataille d’envergure que livre Antoine-Aimé Dorion. Lors d’un discours à l’Assemblée législative, il condamne le projet et prédit que, sous un tel régime, les provinces perdraient tous leurs pouvoirs aux mains d’un gouvernement centralisé. Il critique aussi la Grande Coalition, car elle n’a pas consulté officiellement le peuple. Après la Conférence de Québec en 1864, Dorion et son parti tentent de mobiliser une opposition dans le Canada-Est. Ses efforts n’aboutissent à rien, puisque sa campagne n’est pas à la hauteur de celle de George-Étienne Cartier qui jouit de l’appui du clergé catholique. Par conséquent, la plupart des Canadiens français soutiennent le projet, tel qu’en témoignent les résultats de la première élection fédérale après la Confédération. Ainsi, les conservateurs gagnent 47 sièges, tandis que l’opposition libérale n’en remporte que 17.

Parti libéral du Canada

Après la défaite des membres radicaux du Parti rouge face au Parti bleu de George-Étienne Cartier lors de l’élection de 1867, il ne reste plus que des libéraux modérés. Au lendemain de la Confédération, le Parti d’Antoine-Aimé Dorion fusionne à nouveau avec les Clear Grits, jetant les bases du Parti libéral du Canada. Au cours des dernières années de sa carrière, Dorion aide à maintenir l’approche modérée du Parti libéral, éliminant l’anticléricalisme et le radicalisme qui avaient jadis défini le Parti rouge. Cette approche conduit à une victoire libérale en 1874 ainsi qu’à la montée des rouges modérés comme Wilfrid Laurier.