Le Paris Crew est une équipe d’aviron formée à Saint John, au Nouveau-Brunswick. Elle est acclamée par le monde entier quelques jours après l’avènement de la Confédération lorsqu’elle remporte la Régate internationale de l’Exposition universelle de Paris de 1867. L’équipe remporte de nombreux autres titres avant sa première défaite officielle, en 1870, face à une équipe anglaise de Newcastle upon Tyne (James Renforth, chef d’équipe du Tyne Crew, est pris d’un malaise et meurt pendant la course revanche, en 1871). Les victoires du Paris Crew lui ont conféré une renommée internationale. L’équipe contribue à promouvoir les prouesses sportives des Canadiens (particulièrement en aviron) et devient une grande source de fierté pour son jeune pays.
Le saviez-vous? Au 19e siècle, Saint John (Nouveau-Brunswick) s’écrivait parfois St. John. De nos jours, on l’épelle toujours Saint John afin d’éviter la confusion avec St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador. |
Création d’une équipe
Au 19e siècle, l’économie de Saint John, au Nouveau-Brunswick (située dans la baie de Fundy), dépend grandement des industries liées à l’exploitation marine, telles que la pêche, la construction navale et le transport maritime. L’océan est donc tout à la fois un gagne-pain et un divertissement très prisé. Les sports aquatiques sont bien entendu des passe-temps populaires, tout particulièrement l’aviron. Les participants peuvent prouver leur force, leur connaissance de l’eau et leur talent en matière de conception de bateau à l’occasion de compétitions locales. Les gagnants de ces rencontres locales sont généralement amenés à se mesurer à d’autres équipes de la région. Par exemple, en 1856, une équipe de Saint John remporte une course au Massachusetts contre une équipe new-yorkaise. Vers le milieu des années 1860, Robert Fulton, Samuel Hutton, George Price et Elijah Ross deviennent partenaires de course. Cette équipe de pêcheurs (exception faite d’Elijah Ross, qui est gardien de phare) remporte de nombreuses victoires locales, battant toutes les équipes d’autres grandes villes en 1866. La Gazette de Montréal dira d’eux que « depuis leur petite enfance, [ils] se sont toujours senti chez eux sur l’eau, peut-être plus encore que sur la terre ferme ».
Voici comment la Gazette de Montréal décrit le Paris Crew en 1870 : |
Robert Fulton, pagayeur, est âgé de 25 ans, mesure 6 pi 1 po, et pèse 168 lb. Il a le teint basané, et ses traits portent la marque d’une énergie indomptable et d’une grande détermination. Il a les épaules larges, la poitrine développée et la chute de reins étroite. En fait, il est superbement proportionné, et ferait un modèle idéal pour un sculpteur. |
Elijah Ross, no 3, mesure 5 pi 11 po, pèse 158 lb et est âgé de 25 ans. Il a lui aussi le teint basané et est tout à fait bel homme. Sa musculature est impressionnante, et tout dans son apparence suggère l’athlète accompli. |
Samuel Hutton, responsable de la rame no |
George Price, rame de proue, est à 30 ans le vétéran de l’équipe. Il fait 5 pi et 10 po et pèse 154 lb. Sa contenance lui fait un air sévère et indique une persévérance tenace. Il a le teint clair, contrairement au reste de son équipe; sa peau a conservé son teint d’origine malgré son exposition répétée à la lumière du soleil. |
Débuts à l’internationale en 1867
Les habitants du Nouveau-Brunswick ont une telle confiance en le talent du Paris Crew qu’ils amassent 4 000 $ (en plus d’un 2000 $ fourni par le gouvernement provincial) pour permettre à l’équipe de se rendre à Paris pour la Régate internationale, tenue dans le cadre de l’Exposition universelle de 1867. Le championnat d’aviron a lieu le 8 juillet 1867, quelques jours seulement après la Confédération. L’équipe du Nouveau-Brunswick, qui se mesure à des équipes européennes connues, est vue comme pittoresque en raison de sa technique, la conception de son bateau et de ses uniformes qui se distinguent de ceux des autres. Un correspondant du Manchester Guardian écrit :
De la foule bigarrée qu’a rassemblée cette régate, une certaine équipe composée de quatre Néo-Brunswickois ne compte certainement pas parmi les moins étranges; ceux-ci, ayant battu tous leurs rivaux sur leurs propres eaux, ont fait traverser des milliers de kilomètres à leurs deux bateaux artisanaux pour faire devant le monde entier la démonstration de leur talent de rameurs. Avec leurs dossards couleur peau, leurs pantalons de toile sombre, leurs bretelles de cuir et leurs casquettes rose vif, ils formaient un contraste frappant avec leurs sobres compétiteurs.
Malgré l’apparence peu orthodoxe de l’équipe du Nouveau-Brunswick, celle-ci sort victorieuse des deux courses auxquelles elle participe, faisant admettre au reporter que « les rameurs et les concepteurs de bateaux d’Angleterre devraient probablement revoir les principes fondamentaux de leur art ». Le Paris Crew l’emporte « haut la main » selon Robert Fulton, qui prend même le temps d’agiter son chapeau pour saluer les spectateurs alors qu’il passe devant eux en bateau. Leur victoire est une surprise totale. La prouesse de l’équipe canadienne sidère à la fois les rameurs européens et les admirateurs. En 1905, se rappelant leur exploit à l’Exposition universelle de Paris, Robert Fulton explique que les médailles d’or « leur [étaient] bien plus précieuses que le prix en argent ».
Succès internationaux
Robert Fulton, Samuel Hutton, George Price et Elijah Ross sont accueillis en héros lorsqu’ils reviennent au Nouveau-Brunswick et se voient attribuer le surnom « The Paris Crew », en l’honneur du lieu de leur triomphe. Ils font face à un second grand défi en octobre 1868 lorsqu’ils affrontent les frères Ward, une talentueuse équipe d’Américains dont tous les membres sont frères, à Springfield, au Massachusetts. L’équipe de Saint John l’emporte une fois de plus, à la grande joie de leurs admirateurs (dont plusieurs avaient parié de coquettes sommes sur la victoire de l’équipe). Puisqu’ils ont déjà vaincu les plus grands d’Europe, leur victoire face aux frères Ward (qui n’ont pas pris part à l’Exposition universelle de Paris) assoit la réputation des membres du Paris Crew, « champions des deux côtés de l’Atlantique ». Leurs victoires se multiplient, tandis que l’équipe gagne des courses à Lachine, à Toronto et à Niagara au cours de l’été 1869.
Rivalité : Newcastle upon Tyne
Pendant l’automne 1870, le Paris Crew fait face au Tyne Crew, une équipe anglaise de Newcastle upon Tyne menée par James Renforth. La course, tenue à Lachine, au Québec, est décrite par le Montreal Daily Witness comme « une lutte entre les équipes championnes du nouveau et de l’ancien monde ». Le Victoria Daily Standard prédit une course exigeante pour l’équipe canadienne, déclarant que « Le Paris Crew n’a pas encore été confronté à des adversaires d’un tel calibre; ses victoires faciles contre des rivaux de moins grand talent doivent être effacées de nos mémoires lorsque vient le temps d’évaluer ses chances de remporter la course de Lachine. » En plus de la force de l’équipe adverse, l’équipe canadienne fait face à des conditions climatiques difficiles. Le Saint John Daily Evening News rapporte que « bien que le monde entier et sa femme se sont précipités pour assister à la course [et qu’au moins] 55 000 personnes soient présentes », le début de la course est retardé, l’équipe canadienne étant peu encline à ramer dans des conditions venteuses. Contrairement au bateau de l’équipe de Newcastle upon Tyne, muni de barrières pour empêcher l’eau de pénétrer dans l’embarcation, celui du Paris Crew est sans défense contre les vagues. Le Paris Crew perd la course. Il est probable que les différences dans la construction des bateaux et la technique de rame aient avantagé l’équipe de Newcastle upon Tyne. Cette défaite est un tel choc que, selon le St. John Daily Sun, « Plusieurs habitants de Saint John, admirateurs de l’équipe, ont dû demander de l’argent à leurs proches demeurés chez eux pour leur permettre de rentrer. Ils ont soutenu leur équipe jusqu’à la toute fin. » Malgré ce revers, le Paris Crew est accueilli chaleureusement par les habitants de Saint John à son retour.
Une course revanche est prévue le 23 août 1871 sur la rivière Kennebecasis, au Nouveau-Brunswick. James Renforth est le seul membre de la Tyne Crew de 1871 ayant pris part à la première course en 1870, ce qui ne diminue en rien l’intérêt des admirateurs envers la revanche. Elle est attendue avec fébrilité. Le Montreal Daily Witness raconte que le propriétaire d’une maison de campagne ayant une vue sur la rivière…
… loue les six fenêtres avant de sa maison pour la somme de 10 $, et facture 10 sous à ceux qui veulent assister à la course depuis le terrain devant la maison… Les habitants de Saint John, jeunes ou vieux, pauvres comme riches, affichent en grand nombre le ruban rose aux couleurs du Paris Crew… On ne voit que rarement le noble bleu sombre des Anglais.
Ce même journal estime que « Le nombre de spectateurs […] avait atteint les 20 000 [vers 7 h du matin], et des centaines de personnes se joignaient chaque minute à la foule. » La course commence vers 7 h 30. Les deux équipes sont très près l’une de l’autre pendant les premiers 6 km de la course de 10 km. C’est à ce moment que l’équipe de Newcastle upon Tyne tente une accélération éclair pour se distancer du Paris Crew. James Renforth s’effondre dans les bras de son coéquipier Henry Kelly (ou Kelley), et l’équipe de Newcastle upon Tyne se dirige hâtivement vers la rive. Le Paris Crew termine la course dans la confusion générale. Certains spectateurs soupçonnent que l’équipe de Newcastle upon Tyne s’est laissée convaincre de perdre volontairement, tandis que d’autres se demandent si James Renforth n’aurait pas été empoisonné. Ce dernier est amené à la résidence temporaire de son équipe, où il meurt peu avant 9 h. Bien qu’à l’époque, on ait attribué sa mort à une « congestion pulmonaire », des historiens avancent aujourd’hui qu’il a peut-être été victime d’une crise cardiaque causée par l’épuisement et des complications en lien avec l’épilepsie. La nouvelle de la mort de James Renforth est reçue à l’étranger avec consternation. Lors du 19e anniversaire de sa mort, le journal australien Sydney Mail note qu’il s’agit de « la mort du meilleur homme d’Angleterre […] Personne ne semble à ce jour l’avoir détrôné en matière de talent, de force ou d’endurance. »
Des campagnes de financement sont organisées dans les Maritimes pour soutenir l’épouse de James Renforth, et lieu de la course, jusque-là The Chalet, est rebaptisé « Renforth » en son honneur. En 1998, James Renforth est amalgamé à plusieurs autres communautés pour former la ville de Rothesay, où l’on lui rend aujourd’hui hommage à travers le James Renforth Drive et le Renforth Rotary Park. On trouve aussi dans la ville une sculpture dédiée à la course de 1871 et au Paris Crew.
Fin d’une ère
La « course fatale » de 1871 (surnommée ainsi par la presse) marque le début de la fin de la carrière reconnue du Paris Crew. L’équipe remporte une autre Régate internationale en 1873 sur la rivière Kennebecasis, mais en 1875, des tensions se font sentir entre Samuel Hutton et les autres membres de l’équipe par rapport à la possession de leur bateau de course. Robert Fulton, Samuel Hutton, George Price et Elijah Ross prennent part à une dernière course en 1876, à l’occasion de la régate American Centennial, à Philadelphie, où ils sont « battus à plates coutures par une équipe novice composée de pêcheurs d’Halifax ». Pendant cette régate, le Torontois Edward « Ned » Hanlan est vainqueur dans une autre catégorie, ouvrant la voie à une nouvelle génération de rameurs canadiens de talent (parmi lesquels Alex Brayley, de Saint John, et Wallace Ross, de Memramcook, au Nouveau-Brunswick). De plus, on commence à s’intéresser davantage aux champions de l’aviron de couple qu’aux équipes de quatre rameurs.
Samuel Hutton meurt à l’âge de 50 ans au mois d’août 1894 lorsque le yacht qu’il pilotait, le Primrose, chavire pendant une régate. Robert Fulton, pour sa part, connaît un certain succès individuel en aviron de couple jusqu’en 1874. Après sa retraite de l’aviron de compétition, il demeure impliqué dans le domaine des sports aquatiques, continuant à naviguer et à arbitrer des régates. Selon le St. John Daily Sun, il est déclaré « lamaneur et douanier de port dans le service, et demeure un très bon fonctionnaire ». Robert Fulton décède en février 1906 à l’âge de 61 ans et est mis en terre dans le même cimetière que Samuel Hutton. Le St. John Daily Sun décrit l’enterrement de Robert Fulton comme « l’un de ceux ayant attiré la plus grande foule à Saint John depuis de nombreuses années ». Pendant ses dernières années, George Price travaille comme douanier, tout comme Robert Fulton, et meurt en mars 1909. Elijah Ross devient un constructeur naval reconnu. Dernier membre de l’équipe, il finit par vendre le bateau du Paris Crew en 1909, et le manœuvre une dernière fois à travers le port pour le livrer à ses nouveaux propriétaires, un syndicat de résidents de Saint John, puisqu’il désire (selon le St. John Daily Sun) que le bateau demeure dans la ville. Elijah Ross meurt en novembre 1920.
Importance
Le Paris Crew se distingue non seulement par ses prouesses athlétiques, mais aussi pour l’excitation et la fierté que savent répandre ses membres au sein du Canada, alors un tout nouveau pays. En 1881, le Toronto Daily Mail stipule que l’Exposition universelle de Paris représente « la première occasion où le Canada a pu se démarquer par la rame, et les […] victoires […] sont célébrées avec enthousiasme d’un bout à l’autre du nouveau Dominion ». Avant la première course de l’équipe contre Newcastle upon Tyne, en 1870, le Toronto Globe rapporte que « [D]epuis la Confédération, sans doute, rien n’a démontré de façon aussi convaincante à notre vaste peuple que nos courageux amis des Maritimes sont désormais nos compatriotes. C’est une responsabilité pleine de gloire qui incombe au Paris Crew : celle d’être la première à faire preuve de la force, du talent, de la détermination et de l’honneur qui caractérisent les athlètes de notre pays. »
Les membres du Paris Crew sont intronisés au Panthéon des sports canadiens en 1956 et au Temple de la renommée sportive du Nouveau-Brunswick en 1972. En 2016, le Paris Crew est intronisé au Temple de la renommée de l’aviron canadien, faisant donc partie du groupe inaugural d’athlètes à être honorés.
Voir aussi Histoire des sports; Aviron.