Murale sur le multiculturalisme à l’école primaire Bramblewood (en Colombie-Britannique), conçue par Tammy Pilon et peinte avec l’aide des enfants de l’école.
Contexte
Le concept de base du multiculturalisme fait son entrée en 1938 grâce au livre Canadian Mosaic: The Making of a Northern Nation, écrit par John Murray Gibbon. L’auteur y remet en question l’idée américaine de l’assimilation culturelle, aussi connue sous le nom de « melting-pot ». Toutefois, ce n’est que dans les années 1960 que le multiculturalisme devient un sujet de discussion national portant sur l’identité canadienne.
Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme
La politique sur le multiculturalisme du Canada découle de la Commission royale d’enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (1963-1969).
Celle-ci, mandatée d’enquêter sur l’état du bilinguisme et du biculturalisme au pays, est créée en réaction au malaise grandissant parmi les Canadiens français du Québec, qui demandent la protection de leur langue et de leur culture ainsi que la création des possibilités de participer pleinement à la prise de décisions politiques et économiques (voir Révolution tranquille). Les conclusions de la Commission mènent à des changements en matière d’éducation en français partout au pays, à la création du ministère fédéral du Multiculturalisme et à l’adoption de la Loi de 1969 sur les langues officielles.
Deux ans plus tard, en 1971, une politique sur le multiculturalisme est adoptée au Canada et reconnaît que les Canadiens sont originaires de milieux culturels très variés et que toutes les cultures ont une valeur intrinsèque. Lors d’un discours à la Chambre des communes en avril 1971, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau la présente comme « une politique de multiculturalisme dans un cadre bilingue » qui agit comme complément à la Loi sur les langues officielles en facilitant l’intégration des nouveaux Canadiens dans l’une ou l’autre des communautés de langue officielle. Il affirme alors: « Bien qu’il y ait deux langues officielles, il n’y a aucune culture officielle. »
Le multiculturalisme n’est pas bien accueilli par tous. L’opposition la plus marquée contre la politique se manifeste au Québec.
Évolution de la politique de multiculturalisme au Canada
Les programmes et les politiques de multiculturalisme du gouvernement fédéral ont grandement évolué depuis leur adoption en 1971.
Multiculturalisme basé sur l’ethnie (années 1970)
La première approche adoptée par le gouvernement pourrait être décrite comme du « multiculturalisme basé sur l’ethnie ». Au début des années 1970, de l’aide financière est offerte à certaines organisations ethnoculturelles afin de promouvoir le patrimoine culturel. Un appui modeste est donné à l’expression ethnoculturelle folklorique et artistique.
Les premiers opposants au multiculturalisme fédéral soutiennent que le programme freine l’intégration sociale. Certains avancent même que le réel objectif du financement est de garantir un soutien politique de la part des minorités ethniques au pays. Malgré de telles critiques, le multiculturalisme conserve sa popularité auprès des Canadiens, quoique légèrement moins auprès des Québécois.
Multiculturalisme basé sur l’équité ou les droits (années 1980)
Avant 1970, l’immigration au Canada provient principalement de l’Europe, mais la Loi sur l’immigration de 1976 lève certaines restrictions liées à l’immigration issue des pays non européens (voir Politique d’immigration canadienne). La transformation démographique qui s’ensuit suscite des demandes pour une refonte des politiques sur le multiculturalisme afin de les orienter vers la lutte contre la discrimination. Certains réclament également l’arrêt du soutien apporté à l’expression culturelle ou folklorique des groupes ethniques. Par conséquent, le multiculturalisme basé sur l’équité ou les droits définit de plus en plus les politiques et programmes des années 1980.
Le rapatriement de la Constitution de 1982 marque l’arrivée de la Charte des droits canadienne. L’article 27 prévoit que « toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens ». Bien qu’il oriente la manière d’appliquer les autres articles, l’article 27 ne définit pas de cadre pour une politique multiculturelle et, conséquemment, n’indique pas quelles mesures le gouvernement doit prendre pour adopter et faire progresser le multiculturalisme. Toutefois, de nombreux Canadiens commencent à associer le multiculturalisme à d’autres droits et libertés fondamentaux prévus par la Charte, comme la liberté d’expression et la liberté de religion.
Le gouvernement du Québec refuse cependant de signer la Constitution de 1982. Ainsi, en 1987, le gouvernement conservateur du premier ministre Brian Mulroney demande l’approbation de toutes les provinces pour modifier la constitution et reconnaître le caractère distinct (« société distincte ») du Québec. Connue sous le nom d’Accord du lac Meech, la modification à la Constitution proposée prévoit aussi la reconnaissance des minorités des langues officielles et du fait « que l’existence de Canadiens d’expression française [...] constitue une caractéristique fondamentale du Canada ». L’Accord ne modifie aucune des dispositions de la constitution quant aux peuples autochtones du Canada et laisse intact l’article 27 de la Charte, qui porte sur le multiculturalisme (voir aussi Accord du lac Meech: document).
Le gouvernement fédéral ne réussit pas à faire approuver l’Accord par toutes les provinces. Malgré cela, il adopte en 1988 la Loi sur le multiculturalisme (projet de loi C-93), qui vise « à promouvoir la participation entière et équitable des individus
et des collectivités de toutes origines à l’évolution de la nation et au façonnement de tous les secteurs de la société ».
À la fin des années 1980, les inquiétudes quant à l’unité canadienne refont surface. Certains opposants au multiculturalisme craignent que l’attachement que portent les minorités ethniques à la culture de leur pays d’origine soit la plus grande menace à l’identité canadienne. Selon eux, le multiculturalisme encourage les identités doubles et multiples, qui créent des divisions, et empêche ainsi les citoyens de se considérer tout simplement comme des Canadiens.
Multiculturalisme s’opposant au racisme et à la discrimination (années 1990)
Pendant les années 1990, les politiques et programmes fédéraux sur le multiculturalisme se concentrent surtout sur l’élimination des barrières à la participation économique et sociale des immigrants et de certains groupes minoritaires. En 1995, le gouvernement fédéral adopte une loi sur l’équité en matière d’emploi qui exige entre autres que des renseignements soient recueillis pour évaluer la sous-représentation des membres de certains groupes, notamment des minorités visibles. Depuis 1996, le recensement recueille donc de l’information sur les minorités visibles du Canada, et le multiculturalisme vise l’élimination le racisme et la discrimination, contribuant ainsi à une meilleure réponse des institutions par rapport à la diversité canadienne.
Débat public sur le multiculturalisme canadien
Il existe de nombreux critiques et défenseurs du multiculturalisme au Canada. En voici deux:
Neil Bissoondath
Lorsqu’il publie Le marché aux illusions: la méprise du multiculturalisme en 1994, l’auteur Neil Bissoondath devient l’un des plus grands opposants du multiculturalisme canadien sur la place publique. Il avance que la politique nuit à la nature biculturelle du Canada et donc à l’identité canadienne (voir Langue et identité canadienne) et insiste sur le fait que la promotion des différences ethniques mène les immigrants à adopter une attitude de séparation qui forme des communautés distinctes et empêche les nouveaux arrivants de s’intégrer entièrement à la culture dominante. Il suggère ainsi que ce phénomène menace l’unité et la cohésion canadiennes.
Will Kymlicka
C’est grâce à son livre de 1995, Multicultural Citizenship: A Liberal Theory of Minority Rights (trad. La Citoyenneté multiculturelle: une théorie libérale du droit des minorités, 2001), que le philosophe Will Kymlicka devient l’un des plus grands défenseurs du multiculturalisme. Il y dresse une typologie des droits des minorités, qui comprennent les droits d’autonomie gouvernementale (pour le Québec), les droits de représentation particulière (pour les peuples autochtones) et les droits polyethniques (qu’il définit comme un soutien juridique et financier pour la protection de pratiques culturelles spécifiques). Dans une autre publication, Finding Our Way: Rethinking Ethnocultural Relations in Canada (1998; trad. La Voie canadienne: Repenser le multiculturalisme, 2003), l’auteur présente des données indiquant que le multiculturalisme ne cause aucun déclin du taux d’intégration des immigrants. À l’aide de données sur le taux de naturalisation des immigrants, le niveau de participation politique dans les groupes ethniques, la vitesse à laquelle les nouveaux Canadiens apprennent une nouvelle langue et le taux de mariages interculturels, il avance que la politique sur le multiculturalisme est efficace et qu’il n’existe aucune preuve indiquant qu’elle favorise le cloisonnement ethnique.
Multiculturalisme au Québec
Rejet initial du multiculturalisme au Québec
Comme mentionné précédemment, le multiculturalisme n’est pas bien accueilli par tous les Canadiens. L’opposition la plus forte à la politique se fait ressentir au Québec, soit la seule province où le français est la langue dominante. Par exemple, le premier ministre Robert Bourassa affirme que la politique fédérale est fondée sur une dissociation discutable de la culture et de la langue. Il avance aussi que la politique de multiculturalisme ne convient pas à la province majoritairement francophone. Claude Ryan, ancien éditeur du journal francophone québécois Le Devoir, affirme quant à lui que la politique du gouvernement fédéral entrave la reconnaissance des deux peuples fondateurs du Canada, soit les Anglais et les Français. Plusieurs Québécois affirment également être préoccupés par le fait que la culture française semble être mise au même niveau que les autres groupes ethnoculturels.
Charte de la langue française (1977)
En 1977, le gouvernement du Québec adopte la Charte de la langue française (projet de loi 101), qui déclare officiellement le français comme langue officielle de la province. Contrairement au modèle multiculturel et bilingue du fédéral, le projet de loi 101 est défini comme unilingue et pluriculturel. Dans un article intitulé Minorités ethniques au Nouveau-Québec publié en 1978, Camille Laurin, le père de la Loi 101, explique que pour vivre ensemble dans une même nation, différents groupes ethniques doivent pouvoir se parler et se comprendre en utilisant le français comme langue commune. « Ainsi, ajoute-t-il, une langue nationale et une culture commune sont utiles, mais n’empêchent pas le recours aux langues ethniques et le maintien des cultures individuelles. »
Le projet de loi 101 répond à une préoccupation partagée par de nombreux francophones, qui craignent que l’absence de loi linguistique incite les nouveaux arrivants à choisir inévitablement de s’intégrer à la communauté anglophone et de conserver leur identité ethnique. En 1978, en vertu de l’entente Cullen-Couture, le gouvernement du Canada confère au Québec la responsabilité de choisir ses immigrants économiques, augmentant ainsi l’autorité de la province quant aux programmes liés à l’intégration des nouveaux arrivants et à la protection de la culture (voir Politique d’immigration du Québec).
« Autant de façons d’être Québécois » (1981)
En 1981, avec à sa tête le premier ministre René Lévesque, le Parti Québécois rejette officiellement le multiculturalisme fédéral et suggère plutôt une politique de « convergence culturelle » intitulée « Autant de façons d’être Québécois ». Cette nouvelle politique a alors comme objectif principal d’« assurer le maintien et le développement des communautés culturelles et de leurs spécificités, sensibiliser les Québécois francophones à l’apport des communautés culturelles à notre patrimoine commun, et enfin favoriser l’intégration des communautés culturelles dans la société québécoise et spécialement dans les secteurs où elles ont été sous-représentées ».
Certains opposants avancent que les politiques et programmes du gouvernement du Québec sur les communautés ethnoculturelles de la province se rapprochent quelque peu d’un multiculturalisme en contexte francophone et s’apparentent donc à ce que le gouvernement fédéral a lui-même proposé dix ans plus tôt.
Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables (2007-2008)
Au Québec, le débat sur les accommodements raisonnables liés à la diversité religieuse prend beaucoup de place dans l’espace public. En 2007, le premier ministre Jean Charest annonce la création d’une commission provinciale pour enquêter sur l’enjeu de l’accommodement des différences culturelles et religieuses. Pendant plusieurs mois, les coprésidents de la commission, Gérard Bouchard et Charles Taylor, écoutent les témoignages des francophones du Québec qui critiquent le multiculturalisme.
Dans leur rapport, les commissaires écrivent que le multiculturalisme est présenté « comme s’il tenait compte seulement de la reconnaissance et de l’affirmation de la différence, sans se soucier d’éléments intégrateurs comme l’enseignement des langues nationales et les programmes d’échanges interculturels. C’est cette vision tronquée du multiculturalisme qui a souvent cours au Québec, comme si ce modèle n’avait pas évolué au Canada depuis son adoption il y a près de 40 ans ».
Ils tirent la conclusion que le modèle de multiculturalisme canadien n’est pas adapté à la réalité du Québec. Les commissaires proposent alors que le Québec opte pour un programme d’interculturalisme qui « s’efforce de concilier la diversité ethnoculturelle avec la continuité du noyau francophone ». Ce modèle, qui mène à l’adoption du français comme « langue publique commune » au Québec et à la promotion des interactions entre les cultures, est décrit comme assurant « une sécurité aux Québécois d’origine canadienne-française comme aux minorités ethnoculturelles, tout en protégeant les droits de tous suivant la tradition libérale ». Le rapport mentionne également le besoin de tracer une ligne claire entre la religion et le gouvernement. Les commissaires recommandent donc l’interdiction du port de symboles religieux pour les personnes dites en position d’autorité, comme les juges, les avocats de la Couronne, les gardiens de prison et les policiers. Neuf ans après la publication du rapport, le coprésident Charles Taylor réévalue sa position et soutient qu’une telle interdiction n’est plus nécessaire.
Multiculturalisme au début du 21esiècle
La plupart des Canadiens considèrent le multiculturalisme comme une réalité démographique qui reconnaît la diversité ethnique de la population canadienne. Un débat existe toujours, toutefois, quant au message que la politique sur le multiculturalisme envoie aux Canadiens, et surtout aux immigrants.
Pendant ses 30 premières années d’application, la politique de multiculturalisme est principalement confrontée à des défis liés au soutien de la diversité ethnique, à la conservation de la langue française et à la promotion de l’identité canadienne. Bien que de tels débats aient encore cours au 21e siècle, ils ont surtout cédé la place à l’opinion selon laquelle le multiculturalisme fait la promotion abusive de l’accommodement de la diversité culturelle et religieuse aux dépens de la promotion de la cohésion sociale et des valeurs partagées. Certains sont également d’avis que le multiculturalisme véhicule un message qui dissuade les nouveaux arrivants d’adopter les valeurs canadiennes, ce qui, conséquemment, les rend moins enclins à participer à la culture et à la société dominantes et encourage la création de ghettos ethniques.
Au cours des dernières années, la reconnaissance et l’acceptation des identités mixtes et multiples ont augmenté. Bien que la majorité des Canadiens semblent favorables à l’idéologie du multiculturalisme, la recherche montre que le soutien aux accommodements raisonnables liés à la diversité religieuse n’obtient pas le même niveau d’approbation.