La Loi sur les mesures de guerre est une loi fédérale adoptée par le Parlement le 22 août 1914, après le début de la Première Guerre mondiale. Elle confère au gouvernement canadien des compétences étendues pour le maintien de la sécurité et de l’ordre en temps de guerre, d’invasion ou d’insurrection. Pendant les deux guerres mondiales, la Loi suscite la controverse lorsqu’elle est utilisée pour suspendre les libertés civiles des personnes au Canada considérées comme « sujets d’un pays ennemi », ce qui mène à une arrestation de masse et à des incarcérations sans accusations ni procès. La Loi sur les mesures de guerre est également mise en application au Québec, lors de la Crise d’octobre de 1970. Cette loi a été abrogée et remplacée en 1988 par la Loi sur les mesures d’urgence, dont les pouvoirs sont plus limités.
Première Guerre mondiale
Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, le gouvernement du Canada adopte rapidement la Loi sur les mesures de guerre, qui octroie au Cabinet fédéral des compétences étendues en cas d’urgence. Appliquée du 4 août 1914 au 10 janvier 1920, soit la date officielle à laquelle la guerre prend fin avec l’Allemagne, la Loi permet au Cabinet de contourner la Chambre des Communes et le Sénat et de gouverner par décrets lorsqu’il constate l’existence « d’une guerre, d’une invasion ou d’une insurrection, réelle ou soupçonnée ».
La Loi donne au gouvernement une compétence totale en temps de guerre pour censurer et supprimer les communications ; pour arrêter, détenir et expulser des personnes sans accusations ni procès ; pour contrôler le transport, le commerce et la fabrication industrielle ; et pour saisir des propriétés privées. En conséquence, la Loi est utilisée pour bannir 253 publications. Parmi celles-ci, 222 proviennent des États-Unis, 164 sont rédigées en langue étrangère et 89 relèvent du gauchisme. Après la Révolution russe de 1917, les textes socialistes sont particulièrement visés par la censure. L’affiliation à une organisation pacifiste ou gauchiste est également interdite. De plus, certaines personnes sont arrêtées et internées en raison de leurs convictions politiques.
Internement des sujets d’un pays ennemi pendant la Première Guerre mondiale
Des milliers de civils sont internés en vertu de la Loi sur les mesures de guerre lorsqu’ils sont déclarés « sujets d’un pays ennemi » par le gouvernement. ( Voir aussi Camps de prisonniers de guerre au Canada.) La majorité des personnes internées ont récemment immigré des empires austro-hongrois, allemand et ottoman. D’autres sont canadiennes de naissance ou sont des sujets britanniques par naturalisation. (Voir Internement au Canada.) Environ 80 000 autres personnes, principalement des Canadiens d’origine ukrainienne, sont forcées de s’inscrire comme sujets d’un pays ennemi, de porter leurs papiers d’identité en tout temps et d’entrer régulièrement en contact avec la police.
Au cours de la guerre, le gouvernement fédéral interne 8 579 sujets d’un pays ennemi dans 24 centres de réception et camps d’internement répartis dans l’ensemble du pays. Parmi les personnes internées, on retrouve : 5 954 personnes d’origine austro-hongroise, ce qui inclut les Croates, les Ruthènes, les Slovaques, les Tchèques et les Ukrainiens ; 2 009 Allemands ; 205 Turcs et 99 Bulgares. Selon sir William Dillon Otter, responsable des opérations d’internement, 3 138 des personnes détenues sont de véritables prisonniers de guerre, c’est-à-dire des personnes capturées ou des réservistes ennemis. Les autres sont des civils.
Le saviez-vous?
Le terme sujet d’un pays ennemi fait référence aux personnes dont le pays d’origine ou d’attache est en guerre avec le Canada. Pendant la Première Guerre mondiale, les personnes concernées sont celles ayant immigré des empires allemand, austro-hongrois et ottoman, et de la Bulgarie, alors que pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce sont celles d’ascendance japonaise, allemande ou italienne qui sont visées.
Les personnes internées se font également confisquer leurs propriétés qui, dans bien des cas, ne leur sont pas restituées à la fin du conflit. Au cours de leur internement, elles sont souvent contraintes de travailler sur de grands projets de labourage – notamment la construction d’une partie du parcours de golf du parc national Banff –, de construction de routes, de débroussaillage, d’ouverture de sentiers et d’opérations forestières et minières. Les personnes internées reçoivent alors une rémunération équivalente à moins de la moitié du salaire des autres travailleurs.
Émeutes de 1918 contre la conscription
À la fin de la Première Guerre mondiale, le débat entourant la conscription (service militaire obligatoire) divise le pays. (Voir Loi du Service Militaire.) Avec le temps, des émeutes liées au conflit éclatent au Québec, où peu de personnes se positionnent en faveur de la guerre. Le gouvernement se sert de la Loi sur les mesures de guerre pour réprimer les émeutes de Pâques contre la conscription qui éclatent à Québec entre le 28 mars et le 1er avril 1918. Il décrète la loi martiale et fait déployer plus de 6 000 soldats. Les émeutiers attaquent alors les troupes avec des armes à feu, de la glace et des briques. Les émeutes de Pâques redoublent de violence et causent la mort de 150 personnes. Quatre civils sont tués lorsque les soldats répliquent en faisant feu.
Deuxième Guerre mondiale
La Loi sur les mesures de guerre est à nouveau invoquée pendant la Deuxième Guerre mondiale ; elle entre en vigueur le 25 août 1939 et est remplacée par une loi similaire le 31 décembre 1945. Une semaine avant que le Canada ne déclare la guerre, la Loi est utilisée pour mettre en place les Règlements concernant la défense du Canada et pour créer la Commission des prix et du commerce en temps de guerre. Les deux mesures auront plus tard un grand impact sur la vie des Canadiens.
Commission des prix et du commerce en temps de guerre
La Commission des prix et du commerce en temps de guerre est créée le 3 septembre 1939. Son but est d’éviter que le pays ne subisse à nouveau les hauts taux d’inflation et les troubles sociaux survenus pendant la Première Guerre mondiale. Par le biais de la Commission, le gouvernement prend le plein contrôle de l’économie canadienne en mettant en place un contrôle des salaires et des prix et en fixant des limites aux coûts de location et de logement. Des limites sont également imposées au prix de biens tels que l’acier, le bois d’œuvre, le charbon, le lait et le sucre.
Au départ, la Commission n’impose que des limites partielles. Toutefois, la situation change en 1941 en raison d’une hausse drastique du coût de la vie. Les coûts augmentent de 17,8 % entre 1939 et 1941, et ne montent que de 2,8 % entre 1941 et la fin de la guerre en 1945. Même si ces mesures connaissent un certain succès par rapport au contrôle de l’augmentation des salaires et des prix, elles provoquent également la pénurie de certains produits et exercent une pression énorme sur les agriculteurs et les propriétaires d’entreprises.
Règlements concernant la défense du Canada
Les Règlements concernant la défense du Canada entrent en vigueur le 3 septembre 1939. Ils confèrent aux autorités le pouvoir de faire la censure de 325 journaux et périodiques et de bannir plus de 30 organisations religieuses, culturelles et politiques, notamment les Témoins de Jéhovah et le Parti communiste du Canada.
Les Règlements concernant la défense du Canada permettent également au ministre de la Justice de détenir sans application régulière de la loi toute personne agissant « d’une quelconque manière préjudiciable à la sécurité publique ou à la sécurité de l’État ». Par conséquent, la liberté d’expression est restreinte. En outre, tous ceux qui critiquent les positions du gouvernement sont passibles d’internement sans accusations ni procès. Un exemple connu est le cas du maire de Montréal, Camilien Houde, arrêté à l’hôtel de ville en 1940 et interné en Ontario pendant quatre ans pour avoir dénoncé les politiques gouvernementales allant mener à la conscription.
Tout comme lors de la Première Guerre mondiale, des milliers de « sujets d’un pays ennemi » sont internés, soupçonnés d’être une menace à la sécurité de l’État. Environ 600 Italo-Canadiens et 800 Germano-Canadiens sont internés pendant la guerre. Des réfugiés juifs d’Europe et des Mennonites pacifistes sont également internés au Canada. (Voir aussi Le Canada et l’Holocauste.)
En 1942, sur la côte ouest, environ 22 000 Canadiens d’origine japonaise sont internés dans des régions éloignées du centre de la Colombie-Britannique et de l’est des Rocheuses. Le gouvernement leur confisque également leurs propriétés et les force à accepter une expulsion de masse à la fin de la guerre, ce qui est possible grâce aux pouvoirs accordés au Cabinet en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. (Voir aussi Internement des Canadiens d’origine japonaise.)
Bande de Kettle et Stony Point
En 1942, le gouvernement fédéral demande à la Bande de Kettle et Stony Point (aujourd’hui la Première nation de Kettle et Stony Point) en Ontario de céder sa terre de réserve pour la transformer en camp d’entraînement militaire. Devant le refus de la nation, le gouvernement s’approprie la terre en vertu de la Loi sur les mesures de guerre. Il offre une compensation d’environ 50 000 $ à la bande et la relocalisant sur la réserve de Kettle Point, tout près. Malgré la promesse d’une relocalisation temporaire, la réserve demeure un camp militaire jusque dans les années 1990. (Voir aussi Crise d’Ipperwash.)
Guerre de Corée
La Loi sur les mesures de guerre n’est pas utilisée pendant la guerre de Corée (1950-1953). Toutefois, des lois d’urgence et de pouvoir transitoire sont en vigueur entre la fin de la Deuxième Guerre mondiale et la fin de la guerre de Corée. De 1951 à 1954, par exemple, certaines compétences limitées sont accordées au Cabinet en vertu d’une ramification de la Loi sur les pouvoirs d’urgence.
Déclaration canadienne des droits
En 1960, la Loi sur les mesures de guerre est modifiée par la Déclaration canadienne des droits, la première loi fédérale du pays à protéger les droits de la personne et les libertés fondamentales. La Déclaration stipule que les libertés fondamentales d’expression, de religion, de rassemblement et de presse d’une personne sont garanties, quels que soient « sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe ». Elle protège également le « droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi ».
Cependant, l’article 2 de la Déclaration des droits indique que le Parlement peut supplanter les droits conférés par la Déclaration en ajoutant une disposition de dérogation dans une loi applicable adoptée par le parlement (par exemple, la Loi sur les mesures de guerre). Ce procédé ne sera utilisé qu’une seule fois, lors de la Crise d’octobre de 1970.
Crise d’octobre
Le 15 octobre 1970, un état d’« insurrection présumée » est déclaré officiellement au Québec. La Loi sur les mesures de guerre est alors appliquée aux mois d’octobre et de novembre 1970, ce qui représente la seule fois où le pays y a recours pour gérer une crise intérieure. Des règlements d’urgence sont déclarés en réaction à deux kidnappings perpétrés par le groupe terroriste du nom de Front de libération du Québec (FLQ) : celui du délégué commercial britannique James Cross et celui du ministre du Travail Pierre Laporte. Ce dernier est retrouvé mort le 17 octobre.
Alors que les autorités tentent de désamorcer la crise, le FLQ est déclaré hors-la-loi et l’appartenance au groupe devient un acte criminel. Au plus fort de la crise, la police fait plus de 3 000 recherches et met en détention 497 personnes ; 435 sont relâchées sans accusations ni audience et 62 sont accusées.
Les règlements d’urgence de la Loi sur les mesures de guerre sont remplacés en novembre 1970 par des règlements similaires de la Loi concernant l’ordre public (mesures provisoires), qui prennent fin le 30 avril 1971.
La suspension des libertés civiles au Québec soulève la controverse. À la fin de la crise, le premier ministre Pierre Trudeau promet de définir et limiter l’application de la Loi lors de crises intérieures. Toutefois, lorsque le gouvernement Trudeau est défait aux élections de 1984, la Loi n’est toujours pas modifiée.
Redressement
Pendant les décennies suivant les deux Guerres mondiales, les Canadiens ayant été internés et dont la propriété a été saisie exercent des pressions pour recevoir une compensation et pour que soit reconnu leur mauvais traitement pendant la guerre. Le mouvement de redressement des Canadiens d’origine japonaise aboutit à des excuses officielles du premier ministre Brian Mulroney à la Chambre des Communes en 1988. Le gouvernement offre également une compensation aux personnes touchées par l’utilisation de la Loi sur les mesures de guerre. Dans le cas de ceux qui ont été internés lors de la Première Guerre mondiale, un fonds de règlement collectif est établi en 2008 pour soutenir des projets commémoratifs et éducatifs à propos des premières opérations nationales d’internement au Canada.
Loi sur les mesures d’urgence
En 1988, la Loi sur les mesures de guerre est abrogée et remplacée par la Loi sur les mesures d’urgence. Celle-ci donne des compétences plus limitées et spécifiques au gouvernement pour la gestion des urgences liées à la sécurité. Certains points spécifiques distinguent la Loi sur les mesures d’urgence de la Loi sur les mesures de guerre. Avec la Loi sur les mesures d’urgence, les ordonnances et les règlements du Cabinet doivent être révisés par le Parlement, ce qui empêche le Cabinet d’agir seul. La Loi prévoit également une compensation pour les personnes touchées par les actions gouvernementales posées en situation d’urgence, en plus de spécifier que toute intervention du gouvernement est soumise à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Déclaration canadienne des droits.