Livre d'orgue de Montréal | l'Encyclopédie Canadienne

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Livre d'orgue de Montréal

Le Livre d’orgue de Montréal est le plus volumineux manuscrit de musique d’orgue française de l’époque de Louis XIV à avoir survécu dans le monde. Composé de 398 pièces écrites entre 1675 et 1724, il fut apporté à Montréal en 1724 par Jean Girard, clerc sulpicien et futur organiste à la paroisse Notre-Dame. Il appartient actuellement à la Fondation Lionel-Groulx de Montréal où il fut mis au jour en 1978 par Élisabeth Gallat-Morin. Renfermant des œuvres de grande valeur (dont les plus remarquables furent composées par Nicolas Lebègue, organiste du roi) et des pièces plus simples, mais pas nécessairement de qualité moindre, le manuscrit de Montréal constitue un ajout important au répertoire français pour orgue de la fin du 17e siècle.
L'orgue de la Casavant Fr\u00e8res \u00e0 la Basilique Notre-Dame \u00e0 Montréal.

Description matérielle

Relié en parchemin, en bon état malgré des signes d’usure évidente, le livre oblong de 21 cm x 26,5 cm porte sur le dos une étiquette intitulée Pièces d’orgue. (Son titre actuel, choisi par Élisabeth Gallat-Morin et Kenneth Gilbert, suit la tradition selon laquelle on donne à un manuscrit le nom de la ville dans laquelle il se trouve.) Sur le livre apparaissent les signatures de deux de ses anciens propriétaires : à l’extérieur, l’inscription J.-J. Girouard 1847 et, sur le méplat de la couverture avant, la mention Girard 1724. Composé de 540 pages de papier ligné, avec six ou huit portées par page, le volume constitue une collection d’une quarantaine de cahiers séparés, reliés après que la musique fut écrite.

Contexte et érudition

Au 19e siècle, le manuscrit s’est trouvé entre les mains de Jean-Joseph Girouard (1795-1855), notaire, mélomane et l’un des inspirateurs de la Rébellion de 1837. Il entretenait des liens d’affaires et d’amitié avec les Sulpiciens, dont il était le fondé de pouvoir sur leur seigneurie des Deux-Montagnes, qu’il habitait. En 1950, les papiers de Girouard furent confiés par son arrière-petite-fille, Mme Girouard Décarie, au chanoine Lionel Groulx, historien bien connu. Dès 1981, la Fondation Lionel-Groulx produisait une édition fac-similé du manuscrit, tandis que Kenneth Gilbert et Élisabeth Gallat-Morin en préparaient l’édition critique sous les auspices de l’Institut québécois de recherche sur la culture. La thèse de doctorat qu’y consacra Élisabeth Gallat-Morin fut publiée à Paris et à Montréal.

Contenu

Cinq scribes principaux, ainsi que quatre ou cinq autres, ont contribué à ce livre qui ne possède pas de table des matières et n’indique nulle part le nom du compositeur. Seize pièces (sur les 398) ont été identifiées comme étant de Nicolas Lebègue (1630-1702), organiste du roi. Quinze d’entre elles figurent, avec parfois des variantes, dans ses trois livres d’orgue : toutes les Tierces ou Cromhornes en taille (sauf un) du Premier livre de 1676, cinq versets sur huit du Magnificat du 2me ton tiré du Second livre de 1678, ainsi qu’un Offertoire et une Élévation du Troisième livre de 1685. Une seizième pièce, Offertoire en F ut fa, qui ne fut jamais publiée du vivant du compositeur, est presque identique, dans sa première moitié, à un Offertoire Dialogue de Monsieur Le Beigue du 8e ton qui se trouve dans un manuscrit contemporain conservé à la Bibliothèque nationale à Paris.

La musique du Livre d’orgue de Montréal était destinée au culte religieux (voir aussi Musique religieuse). Les versets d’orgue (qui sont relativement courts) doivent alterner avec les versets chantés. Le manuscrit renferme six Messes, onze Magnificat, qu’on chantait aux vêpres, neuf autres suites de pièces pouvant servir pour le Magnificat, trois Te Deum, un Pange lingua. En outre, il inclut trois séries de pièces de même type : 16 Tierces en Taille, 6 Dialogues de Récits avec section en Trio et 13 Fugues. Presque tous les genres de pièces d’orgue français de la fin du 17e siècle et du tout début du 18e siècle sont représentés : Pleins Jeux; Dialogues sur les Grands Jeux; pièces à deux, trois ou quatre voix; Duos; Trios; Fugues; pièces comportant une voix de Récit à la Basse, au Dessus ou en Taille. Ne manquent que les Quatuors et les Noëls.

On trouve dans le manuscrit quelques versets épars de plain-chant mais, parmi les pièces d’orgue, seuls le Pange lingua et certains versets de la Messe double font appel au thème du plain-chant. Les autres versets, bien que se tenant dans la limite du cadre imposé par les huit tons de l’église, s’inspirent des mouvements de danse et des formes vocales, comme d’ailleurs toute la musique d’orgue française de cette époque. De plus, les registrations sont souvent indiquées dans le titre même des pièces (Basse de Trompette, Récit de Cornet); les compositeurs ayant en tête une couleur sonore particulière complétaient ces titres par des Meslanges des jeux dans les livres d’orgue qu’ils imprimaient.

Style caractéristique

La parenté stylistique évidente d’un grand nombre des pièces anonymes du Livre d’orgue de Montréal avec la musique de Nicolas Lebègue est renforcée par le fait que les œuvres identifiables du manuscrit sont de ce seul compositeur, parfois dans une version qui paraît antérieure à leur publication. Certaines pièces, toutefois, renferment des traits caractéristiques du répertoire de la génération qui suit Lebègue. Ne sachant pas avec qui Jean Girard s’était préparé à tenir l’orgue à Montréal, ce qui aurait pu révéler les origines du manuscrit, on ne peut que constater que le livre se situe dans la mouvance de Lebègue, dont on trouve des pièces recopiées dans presque tous les manuscrits français ayant survécu – généralement en compagnie d’autres compositeurs. Un ou plusieurs des élèves de ce professeur très recherché ont sûrement contribué au Livre d’orgue de Montréal qui, en outre, recèle vraisemblablement des pièces inédites du maître.

On peut se demander si Jean Girard a pu jouer de cette musique sur l’orgue d’un clavier et de sept jeux dont il disposait à la basilique Notre-Dame de Montréal. En France, sur les petits orgues de paroisse ou de couvent, les jeux (tous ou en partie) étaient coupés, c’est-à-dire qu’on pouvait appeler une couleur sonore sur une moitié du clavier et jouer l’accompagnement, par exemple, sur l’autre moitié. Le petit orgue de Montréal aurait donc possédé les jeux de base permettant, avec certaines adaptations, de jouer la majeure partie de la musique du manuscrit, à l’exception des Tierces en Taille dont la voix de récit traverse continuellement la ligne de division des jeux. Les cérémoniaux et coutumiers relatent processions et Te Deum solennels, desquels le chant et l’orgue ne devaient pas être absents.

Représentations

Les organistes québécois ont pris l’habitude d’inscrire des extraits du Livre d’orgue de Montréal à leur programme. De nombreux organistes de la France et d’ailleurs en Europe, dont Michel Chapuis, en jouent à leurs concerts.

Au mois de mai 1981, Kenneth Gilbert a donné la première exécution publique au 20e siècle de la musique du Livre d’orgue de Montréal, lors de l’inauguration de l’orgue de style classique français de Hellmuth Wolff à la salle Redpath de l’Université McGill. La série de six émissions que Gilbert y a consacrée en 1983 sur les ondes de la CBC (émissions réalisées par André Clerk, avec commentaires d’Élisabeth Gallat-Morin) s’est vu décerner le prix du Conseil canadien de la musique pour la meilleure émission avec soliste.

En 1990, France-Musique a produit une série de quatre concerts publics incluant chacun des œuvres du manuscrit, jouées par trois organistes parisiens et par John Grew. Une représentation sur 13 heures du Livre entier – divisée en neuf programmes et rassemblant 50 organistes coordonnés par Hans-Ola Ericsson, chaire de musique d’orgue et de l’église à l’École de musique Schulich – aura lieu à la salle Redpath de McGill le 4 mars 2017 dans le cadre du 375e anniversaire de Montréal.

Enregistrements

Deux enregistrements existent, de Kenneth Gilbert et de Réjean Poirier, qui font entendre environ les deux tiers de la musique du manuscrit; un troisième enregistrement d’Antoine Bouchard, avec d’autres extraits, a été publié en 1991 sur l’étiquette REM. Des organistes de paroisse des deux côtés de l’Atlantique font également appel au Livre d’orgue de Montréal lors d’offices religieux.

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