La littérature acadienne est associée aux productions littéraires réalisées par les francophones des Maritimes. Cette appellation, « littérature acadienne », et d'autres d'ailleurs (« franco-ontarienne », « franco-manitobaine », etc.) commencent à circuler au moment, et à la suite, de l'affirmation de la littérature « québécoise » au cours des années 1960.
En Acadie, les années 1960 sont le témoin d’une effervescence culturelle et de transformations sociopolitiques importantes, mutations d'ailleurs comparables sur certains points à la Révolution tranquille. Dans la foulée de l’adoption de la Loi sur les langues officielles, la littérature acadienne va s'instituer à la fois en se dotant d'instances littéraires spécifiques (des revues, des maisons d'éditions et, plus tard, des prix littéraires), mais aussi en suscitant à partir des textes produits un discours critique sur cette littérature.
Le processus d'institutionnalisation est associé au passage, consacré par la critique, de la littérature acadienne dite « traditionnelle » à une littérature acadienne plus « moderne ». L'émergence de cette littérature s'accompagne de la publication de diverses anthologies, mais aussi d'une Histoire de la littérature acadienne, réalisée par Marguerite Maillet, et qui montre que cette littérature s'inscrit dans une lignée de textes, à la composante littéraire plus ou moins affirmée. L'entreprise de la chercheure débute aux premiers temps de la colonie française et s'étend jusqu'aux années 1980.
Du rêve à la réalité (1606–1866)
Stratégiquement située pour le commerce, l'Acadie a été longtemps convoitée par la France et l'Angleterre. Même si ses relations avec la culture et les institutions de la Nouvelle-France étaient distantes, c'est en Acadie que Marc Lescarbot écrit les premiers textes littéraires de l’Amérique du Nord – Les Muses de la Nouvelle France, Théâtre de Neptune (1606), Histoire de la Nouvelle France (1609).
Plus tard, des visiteurs – comme Pierre Biard, Chrestien Leclercq, Nicolas Denys, Dièreville, Pierre Maillard et Joseph-Mathurin Bourg – ont décrit sa géographie et ses sites habités, ainsi que sa flore et sa faune. À ces documents, qui sont souvent des relations, s'ajoutent des lettres venant de colonisateurs, de missionnaires ou d'hommes d'Église. C'est le cas notamment de Monseigneur de Saint-Vallier, qui a rendu visite à la population et témoigné de ses conditions religieuses et économiques.
L'histoire coloniale troublée de l'Acadie (marquée par les guerres et la déportation de 1755), la croissance lente de sa population et les menaces constantes pour son avenir expliquent pourquoi les Acadiens n'ont pas produit de textes du calibre de ceux écrits par Louis Jolliet, Marie Morin et Pierre Boucher en Nouvelle-France. La période postérieure à la déportation est ainsi surtout connue par le biais de correspondances.
À côté de cette tradition de textes, qui font parties de ce qu'on pourrait appeler les lettres acadiennes, il faut noter une tradition orale florissante conservée en histoires, légendes et chansons (voir Étude du folklore en Acadie). Vers la fin de cette période, la déportation devient le sujet et la thématique d'un poème et d'un roman importants dans l'imaginaire acadien. Il s'agit respectivement du poème Evangéline (1847) de Henry-Wadsworth Longfellow et du roman Jacques et Marie (1865–1866) de Napoléon Bourassa. Enfin, l'ouvrage de François-Edme Rameau de Saint-Père, La France aux colonies (1859), s'intéresse à l'histoire des Acadiens durant la période qui suit la déportation et a une certaine postérité au XXe siècle.
Sur les chemins de l'histoire (1867–1928)
Enraciné dans les œuvres de Rameau de Saint-Père et stimulé par le clergé québécois qui a adopté ses théories, le débat nationaliste, qui s'ancre dans les sermons, les groupes de discussion et les journaux de langue française, domine dans la pensée et la littérature acadienne. Cherchant à englober la politique, l'économie et la recherche sociographique, le débat domine l'activité culturelle, favorisant la guérison du traumatisme de la déportation et la redéfinition du caractère de la collectivité acadienne.
L'intérêt croissant pour l'histoire acadienne donne naissance à « la Renaissance acadienne », dont le début est marqué par la création d'un premier journal, Le Moniteur Acadien en 1867. Il s'agit là d'un repère parmi d'autres puisque déjà en 1864, le père Camille Lefebvre, membre de la congrégation des Pères de Sainte-Croix, fonde le Collège Saint-Joseph de Memramcook au Nouveau-Brunswick. Cette fondation est importante, car les diplômés tiennent rapidement des rôles actifs dans leur communauté et, avec l'aide du clergé, s'interrogent sur leur propre identité et affirment leurs aspirations en tant que francophones dans un environnement anglophone.
Ces éléments font partie du mouvement d'affirmation d'une idéologie nationale qui se repend dans le corps social, comme en témoigne d'ailleurs la Première convention nationale acadienne de 1881. Les journaux, comme Le Moniteur Acadien, L'Evangeline ou encore L'Impartial, jouent un grand rôle dans ce développement, et accueillent dans leurs pages des publications littéraires.
Par ailleurs, les discours des orateurs et idéologues de l'époque constituent également des textes dignes d'intérêt. Dans le champ intellectuel de cette période, une personnalité se dégage : Pascal Poirier. Ses conférences et ses essais – aussi bien historiques que linguistiques (Origine des Acadiens, 1874; Le parler franco-acadien et ses origines, 1929) – connaissent une certaine postérité au cours du XXe siècle.
Un regard sur l'histoire durant cette phase s'accompagne d'une première tentative de collation de récits, contes et légendes acadiens et de certains mythes qui sont véhiculés au sein du discours littéraire ou déconstruits par celui-ci dans les productions ultérieures.
Sous le signe du souvenir (1929–1957)
La redécouverte de leur histoire joue un rôle important chez les Acadiens et s'étend rapidement à l'histoire anecdotique, aux biographies, aux généalogies, aux monographies de paroisses ou d’établissements individuels. On observe l'apparition des genres littéraires traditionnels qui se conforment bien souvent au thème nationaliste. Parmi les exemples saillants, on retrouve la poésie de F. Moïse Lanteigne et de Napoléon-P. Landry, les romans d’Antoine-J. Léger, Hector Carbonneau et J.-Alphonse Deveau et le théâtre d’Alexandre Braud et de Jean-Baptiste Jégo. Ce dernier met l'accent sur les luttes périodiques pour la liberté de l'enseignement en français, au cœur des drames sociaux de James Branch qui propose d'ancrer son théâtre en se référant explicitement aux Acadiens (L'Émigrant acadien, 1929).
Au milieu du XXe siècle, le débat nationaliste entre dans une période de remise en question et une série de crises entraîne des mutations sociopolitiques importantes et des transformations culturelles. Les auteurs se tournent vers d'autres sujets : Donat Coste, un Acadien vivant à Montréal, écrit L'Enfant noir (1957) pour dénoncer l'hypocrisie de la société moderne. C'est l'aube d'une phase de transition pour la littérature acadienne associée aux premières publications d'Antonine Maillet, dont le premier roman, Pointe-aux-Coques (1958), traite de la vie dans un petit village acadien. Ronald Després, musicien, poète et traducteur, vivant aussi à l'extérieur du Nouveau-Brunswick, publie son premier recueil, Silences à nourrir de sang (1958), qui sera suivi de nombreux poèmes et d'un roman, Le Scalpel interrompu (1962), qui offre une vision tragicomique du monde moderne. En l'absence de système d'édition en Acadie, c'est au Québec que ces publications voient le jour.
Crises et redéfinitions identitaires (1958–1980)
L’énorme succès de La Sagouine (1971) et l'obtention du prix Goncourt pour Pélagie-la-Charrette (1979) font d'Antonine Maillet une écrivaine de premier plan. La poésie de Ronald Després suscite un intérêt au Québec, mais le tournant de la production se situe chez la jeune génération.
En 1966, le Rassemblement des Jeunes remet en question l'essence du débat nationaliste, ses emblèmes, ses symboles et ses conceptions de l'histoire, en bref le portrait traditionnel de l'Acadien. Les temps leurs sont favorables, car le gouvernement libéral de Louis J. Robichaud (premier ministre acadien du Nouveau-Brunswick, 1960–1970) réussit à mettre en application le Programme d'égalité d'accès à l'emploi ainsi qu'une Loi sur les langues officielles, au moment où la Révolution tranquille du Québec et l'envergure des mouvements radicaux de la décennie servent de modèle et de stimulation au changement.
Les années 1960 sont ainsi marquées par différents événements et par un renouvellement social qui contribuent à la création d’une nouvelle sensibilité artistique. Cette situation est due à une période de crises généralisée au niveau de l'élite, du pouvoir et de l'idéologie nationale traditionnelle en Acadie. Les grèves étudiantes à l'Université de Moncton et leurs conséquences juridiques et sociales sont importantes puisque les manifestations dépassent le cadre de l'Université et s'étendent à l’ensemble de la société. Les revendications, notamment celles en matière de droits linguistique, participent à la redéfinition des questions identitaires en Acadie et fondent les bases d'un « néonationalisme ». Les productions culturelles médiatisent singulièrement ces dynamiques. Dans le sillage de la nuit de la poésie, organisée au Québec le 27 mars 1970, des nuits de la poésie sont organisées et les textes poétiques présentés sont issus d'une recherche réalisée par des étudiants de l'Université de Moncton qui les ont collationnés.
C'est dans ce contexte qu'une poésie activiste, caractérisée par la recherche d’une identité et la rébellion contre le traditionalisme des valeurs acadiennes, s'insère et devient le lieu d'une prise de parole poétique, identitaire et plus largement politique pour la jeune génération. Le désir de créer son propre pays s'incarne ainsi dans les textes de Raymond LeBlanc (Cri de terre, 1972) alors qu'une dénonciation triste et violente d'une Acadie où l'horizon collectif reste précaire caractérise ceux d'Herménégilde Chiasson (Mourir à Scoudouc, 1974).
Les poèmes de ces auteurs sont aussi une recherche d'un quotidien et d'une langue d'écriture. On est jamais très loin du politique. Ainsi, chez Guy Arsenault (Acadie Rock, 1973), une naïveté étudiée explore en profondeur les voies par lesquelles l'Acadie continue à être dépréciée. D'une façon plus générale, Ulysse Landry dénonce l'envahissement de la vie individuelle et sa dévaluation par tant d'aspects de la société moderne. Les œuvres de ces poètes, publiées entre 1973 et 1976, combinent l’utilisation d’une langue du quotidien avec une écriture qui s'éloigne des canons institués au sein des grandes littératures.
Du côté de l'essai,Michel Roy avec L'Acadie perdue (1978) et Jean-Paul Hautecoeur avec L'Acadie du discours (1975) livrent une réflexion très différente sur l'Acadie. S'il s'agit respectivement d'essais historique et sociologique ou la composante littéraire n'est pas l'objectif premier, ces textes offrent et montrent le questionnement critique sur l'Acadie qui a lieu à l'époque et qu'on retrouve, travaillé différemment, dans la production littéraire.
Cela devient possible en effet, car la littérature acadienne se dote de maisons d’édition et s'institutionnalise. En 1972, trois professeurs du Département d’études françaises de l’Université de Moncton, Melvin Gallant, Gérard Leblanc et Laurent Savoie, fondent les Éditions d’Acadie qui vont contribuer de manière significative à la création littéraire. Jusqu’à sa fermeture en 2000, cette maison d’édition a publié plus de 400 ouvrages, fruit du travail de 200 auteurs.
De nombreuses anthologies sont produites et l'enseignement de la littérature acadienne à l'Université de Moncton permet de mieux faire connaitre certains auteurs. Cet enseignement universitaire s'accompagne surtout de recherches et de la mise en place d'un discours critique portant sur les caractéristiques de cette littérature marginalisée et qui crée des rapprochements avec d'autres littératures francophones du Canada (voir Littérature de langue française).
Diversification des pratiques d'écriture (1980 à nos jours)
Cette institution, bien que fragile, permet à toute une série d'auteurs de publier au cours des années 1970 et par la suite. Les tendances se diversifient et, bien que certains thèmes conservent leur importance, la poésie continue à expérimenter et à évoluer en matière de format et de thème. Roméo Savoie se dirige vers la philosophie, alors que Gérald LeBlanc introduit une nouvelle inspiration cosmopolite dans la littérature acadienne. Léonard Forest partage ce désir d'atteindre d'autres cultures grâce à sa poésie, créant une musicalité particulière par l'emploi de vocabulaire archaïque et de rythmes ritualistes contraignants. D'autres, comme Huguette Legaré, Clarence Comeau, Daniel Dugas, Huguette Bourgeois, Robert Pichette et Melvin Gallant, explorent les registres des sentiments et des émotions. Le roman acadien est dominé par les œuvres d'Antonine Maillet, dont l'énergie sans limite combine l'épopée aux évènements du quotidien, faisant appel à toutes les ressources de la tradition de la légende populaire et du conte oral.
Les publications s'orientent aussi vers l'histoire comme chez Louis Haché qui utilise sa connaissance des archives pour retracer l'histoire de la vie acadienne du Nord-Est du Nouveau-Brunswick. Régis Brun adopte, quant à lui, une perspective historique en axant son propos sur la population acadienne démontrant sa soif de liberté et sa joie de vivre. Claude Lebouthillier réécrit l'histoire au moyen de textes, à la composante parfois utopique, qui redonnent aux Acadiens leur patrie perdue. Quant à Jeannine Landry Thériault et Laurier Melanson, ils décrivent la vie de village, souvent de façon satirique, dans ses drames personnels, sa paillardise, ses espoirs et ses désillusions. La production est donc hétérogène.
Dans la foulée des femmes-poètes des années 1980 (Hélène Harbec, Rose Després et Dyane Léger), la poésie s'oriente selon les mots de Raoul Boudreau « dans une tendance opposée, peut-être tout aussi révélatrice de cette obsession par son refoulement, c'est-à-dire la fuite dans le fantastique et le rêve, la dénonciation et la déconstruction de la pensée patriotarde, la revendication de destins individuels où l'écriture occupe la première place et ne saurait être asservie à d'autres causes qu'elle-même ».
Les textes de Serge Patrice Thibodeau (La septième chute, 1990; Le cycle de Prague, 1992; Le quatuor de l'errance, 1995) témoignent à la fois d’une quête formelle (empreinte de spiritualité) tournée vers l'ailleurs et d’une volonté de se détacher des thématiques acadiennes. Parallèlement à ce travail d'écriture, celui-ci reprend les rênes des éditions Perce-Neige (Moncton) en 2007. On trouve également à côté de cette figure importante, les textes de Fredric Gary Comeau (Stratagèmes de mon impatience, 1991; Naufrages, 2005), de Mario Thériault (Echographie du Nord, 1992; Terre sur mer, 1998), de Marc Arseneau (Avec l'idée de l'écho, 2003; À l'Antenne des oracles, 1992) et de Maurice Raymond (Implorable désert, 1988; la Soif des ombres, 1994).
Au fil des recueils, les trajectoires, assez différentes quant au ton employé par Herménégilde Chiasson et par Gérald Leblanc, sont également déterminantes. En plus d'explorer la poésie, le théâtre, les arts visuels et le cinéma, l'œuvre de Chiasson se compose aussi de brefs textes qu'on peut considérer comme des essais développant une réflexion intéressante et originale sur la création dans le contexte acadien.
La poésie continue de régner sur la production, mais le genre du roman est exploité dans des styles très différents. Porté à l'écran, Les Portes tournantes (1984) sont l'une des réalisations notables du genre et côtoie nombre d'autres romans de Jacques Savoie (aussi connu pour son œuvre cinématographique). L'œuvre de France Daigle est incontournable. Le renouvèlement de celle-ci au fil des romans et sa cohérence sont à découvrir dans ses romans Sans jamais parler du vent (1983) à Pour sûr (2011).Les questions relatives aux langues d'écriture et particulièrement l'exploitation de l'anglais ou du chiac, voire d'une langue « standardisée » traverse la production littéraire contemporaine et en montre la diversité interne. C'est le cas notamment avec l'essor de la littérature jeunesse qui s'organise autour de la maison d'édition Bouton d'or Acadie, fondée par Marguerite Maillet. Melvin Gallant, en parallèle de son travail de critique, d'éditeur, et de son travail d'écriture, a contribué à l'essor de ce secteur singulier avec la publication notamment de Ti-Jean (1973).
Il est possible d'établir l'historicité de la littérature acadienne, d'en observer l'évolution au niveau des thèmes, des formes et des genres pratiqués et de constater sa progression sur le plan institutionnel. Ce bilan se veut surtout une invitation à découvrir une histoire, un imaginaire singulier et un contexte spécifique qui se trouve au centre des textes tant dans leurs manques que leurs accomplissements. De plus, ce parcours exceptionnel est loin d’être freiné par la fermeture des éditions d'Acadie en 2000, puisque de nouveaux auteurs se lancent dans l'écriture, investissent dans les possibilités offertes par le milieu et trouvent des relais en dehors de celui-ci, notamment en Ontario français.