Les « Van Doos » et la Grande Guerre | l'Encyclopédie Canadienne

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Les « Van Doos » et la Grande Guerre

À titre de seule unité combattante dans le Corps expéditionnaire canadien (CEC) dont la langue officielle est le français, le 22e bataillon d’infanterie (canadien français), communément appelé les « Van Doos » (de la prononciation à l’anglaise de « vingt-deux »), fait l’objet d’une surveillance plus étroite que la plupart des unités canadiennes lors de la Première Guerre mondiale.

À titre de seule unité combattante dans le Corps expéditionnaire canadien (CEC) dont la langue officielle est le français, le 22e bataillon d’infanterie (canadien français), communément appelé les « Van Doos » (de la prononciation à l’anglaise de « vingt-deux »), fait l’objet d’une surveillance plus étroite que la plupart des unités canadiennes lors de la Première Guerre mondiale. Reconnu pour son comportement turbulent etson indiscipline occasionnelle, le bataillon est aussi l’une des unités de combat les plus courageuses du CEC. Pour son commandant, le lieutenant-colonel Thomas-Louis Tremblay, le 22e est plus qu’un simple bataillon : il représente tout le Canada français. La réputation du Canada français est donc en jeu, et le commandant Tremblay veille pendant toute la guerre à ce que le 22e agisse avec sang-froid et bravoure.

« De sacrés combattants »

En 1962 et 1963, la CBC mène une série d’entretiens avec d'anciens combattants de la Première Guerre mondiale. Les hommesparlent de leurs expériences au front, de ce qui les a motivés à s’enrôler et des amitiés durables qu’ils y ont forgées. Certains offrent également des observations sur le caractère du 22e bataillon. Les anciens combattants le décrivent comme turbulent, mais courageux. Le major Mitchell, du 24e bataillon (Victoria Rifles), mentionne que les Van Doos « n’étaient pas aussi portés à la discipline que nous l’étions ».

Le major Mitchell relate également une histoire particulière : « [Les Van Doos] faisaient vraiment peur au quartier-maître dans le camp de Sandling;je me souviens qu’à une occasion ils l’ont pourchassé. Il y avait des problèmes concernant l’approvisionnement en nourriture. Nous sommes allés voir ce qui se passait et on a vu le quartier-maître s’enfuir avec toute la bande derrière lui ». Selon un confrère du major, l’officier F. Portwine, « [ils]étaient de bons combattants, il faut leur donner crédit ». Dans la même veine, un vétéran du 25ebataillon (Nouvelle-Écosse) ajoute : « […] ces Français sont de sacrés combattants [et] le 22e était une bonne unité. »

Saint-Éloi

Officiellement créé le 15 octobre 1914, le 22e bataillon est conçu pour répondre à un besoin spécifique dans le CEC: augmenter la participation du Canada français à l’effort de guerre. Tout au long de la guerre, il demeure la seule unité de combat dont la langue officielle est le français. Au bout de longs mois de formation au Canada et en Angleterre, le 15 septembre 1915, le bataillon arrive finalementen France. Il est intégré à la 5e brigade d’infanterie canadienne aux côtésdes 24e, 25e et 26e bataillons. Durant leurs premiers mois au front, les hommes du 22e bataillon apprennent à vivre et à survivre dans des conditions moins qu’idéales. Ils apprennent à se défendre en présence de bombardements, de tireurs d’élite et de raids, à survivre à des pénuries de nourriture et d’eau et à composer avec les effets physiques et psychologiques des hivers pluvieux, humides et boueux.

En avril 1916, les Van Doos participent à l’une de leurs missions les plus dangereuses de la guerre : la bataille des cratères de Saint-Éloi. Celle-ci est menée en Belgique sur un champ de bataille très étroit au sol décimé par les obus et la pluie. L’unité doit constamment faire face à des bombardements et contre-attaques de l’ennemi. Les six cratères sont le résultat de mines que les Britanniques ont fait exploser sous une section de la ligne de front allemande. Au cours de violents combats, les Canadiens subissent de lourdes pertes et les Allemands prennent le contrôle du champ de bataille, marquant la défaite du Canada.

Courcelette

Après Saint-Éloi, le bataillon se prépare à sa première offensive de grande envergure, ayant pour objectif la prise du village français de Courcelette dans la région française de la Somme. Cette attaque est particulièrement importante pour le chef de bataillon, le lieutenant-colonel Thomas-Louis Tremblay. Il ne s’agit pas que d’une question de victoireou de défaite. L’honneur du Canada français est en jeu, sa réputation ayant été ternie par ceux qui accusent les Canadiens français d’être « fainéants » en raison de leur faible taux d’enrôlement. Tremblay est déterminé à prouver que « les Canayens » ne sont pas des « paresseux ». Il écrit dans son journal : « C’est notre première grande attaque, il faut qu’elle soit un succès pour l’honneur de tous les Canadiens français que nous représentons en France. »

bataille de la Somme

Dans la soirée du 15 septembre 1916, les soldats sortent de leurs tranchées pour mener l’attaque. Cette nuit-là, ils parviennent à prendre le village, puis le défendent pendant deux jours face aux contre-attaques incessantes de l’ennemi. La conduite et le courage du bataillon ne passent pas inaperçus aux yeux de plusieurs de ses officiers. Le capitaine Georges Vanier (futur gouverneur général), alors en congé pour cause de blessure, raconte avoir eu les larmes aux yeux en apprenant comment s’était comporté le bataillon. Thomas-Louis Tremblay est d’avis que ses hommes ont été tout simplement irréprochables. La victoire est cependant acquise chèrement, l’offensive faisant des centaines de victimes au sein du bataillon.

La plus grande perte, cependant,est celle de Thomas-Louis Tremblay lui-même. S’il sort indemne des débris de trois explosions d’obus, un problème médical remontant à l’avant-guerre le force à retourner en Angleterre. Son second, le major Arthur-Édouard Dubuc, prend le relais.

Indiscipline et désertion

Bien que la bataille de Courcelette soit aujourd’hui considérée comme une victoire éclatante, la violence, les victimes et la perte du commandant Tremblay écorchent le bataillon. Pour plusieurs, Courcelette montre à quel point la guerre peut être sans merci.Dans une remarque mémorable, Thomas-Louis Tremblaydéclare que si l’enfer est aussi atroce que ce qu’il a vu à Courcelette, il ne le souhaite pas à son pire ennemi. En outre,dans les mois suivant les opérations dans la Somme, le bataillon commence à connaître de graves problèmes de discipline, souvent liés à des absences illégales (désertion et absence sans permission).

Ce n’est pas la première fois que l’unité se démarque par ses problèmes d’indiscipline. Le passage de la vie en Angleterre à celle sur le front étant ardu, plusieurs s’absentent illégalement en octobre 1915. Le bataillon connaît également des problèmes de discipline à la suite de la bataille de Saint-Éloi. L’ordre semble pourtant toujours se rétablir. En revanche, après Courcelette, ces problèmes perdurent pendant des mois. Les infractions sont si répandues que même le brigadier général H.D.B. Ketchen, commandant de la 6e brigade, déclare au sujet des Van Doos que « le crime de désertion […] est très répandu au sein de ce bataillon ».

Selon Thomas-Louis Tremblay et d’autres officiers du bataillon, on assiste à un effondrement complet du moral des troupes dans les mois suivant la bataille de Courcelette. Universitaires comme spécialistes s’entendent pour dire quele moral et la discipline sont intimement liés. Lorsque le moral tombe à plat, les soldats ne sont plus prêts à faire de leur mieux. Bien que l’arrivée de plus de 600 recrues de bataillons « secondaires » (incompétents et indisciplinés, selon l’historien Desmond Morton) contribue au problème, c’est la perte de Thomas-Louis Tremblay qui entraîne les conséquences les plus négatives sur le moral et la discipline de l’unité.

Les psychologues militaires conviennent que le maintien du moral des troupes dépend largement de l’officier de commandement. Thomas-Louis Tremblay est un chef de file particulier. Il a la confiance de ses hommes, car il a risqué sa vie avec eux – menant souvent des attaques – et fait preuve d’un courage à toute épreuve. Sa perte a un profond effet sur ses hommes. À son départ de l’unité, « une crainte naquit; la confiance s’envola », écrit Claudius Corneloup, un membre du bataillon. Le remplaçant de Thomas-Louis Tremblay, Arthur Dubuc, ne parvient pas à combler le vide. De nombreuxofficiers supérieurs du CEC espèrent le retour au front du commandant Tremblay afin de rétablir la réputation de l’unité.

1917

À son retour en février 1917, Thomas-Louis Tremblay retrouve un bataillon bien différent de celui qu’il a laissé, un bataillon qui n’est plus à la hauteur des attentes qu’il a créées à Courcelette. Les problèmes de discipline ont nui àla réputation de l’unité. Plus qu’une simple unité d’infanterie, Thomas-Louis Tremblay estime que le bataille représente tout un peuple. Il se promet dès lors impérativement de corriger la conduite du bataillon et d’en rétablir la réputation.

Thomas-Louis Tremblay exerce des pressions afin d’établir une discipline plus stricte, soutenant même que ses hommes ne le prendraient au sérieux que si ses paroles étaient accompagnées d’exécutions. C’est ainsi qu’au cours des dix mois qui suivent, 70 soldats sont jugés en cour martiale (48 pour absences illégales) et plusieurs trouvent la mort au peloton d’exécution. La tactique fonctionne, si bien qu’à l’été 1917, la situation s’est considérablement améliorée. Lors de la comparution du soldat Alexandre Dumesnil en cour martiale en septembre 1917, Arthur Dubuc note que la discipline du bataillon est très bonne et que les absences illégales sont rares. Le moral s’en porte également mieux.

La cr\u00eate de Vimy

Cette restauration de la discipline s’effectue juste à temps pour la troisième année des Van Doos sur le front occidental, celle qui sera la plus occupée.Le bataillonjoue un grand rôle dans trois descampagnes les plus importantes du CEC. Les deux premières, la bataille de la crête de Vimy (9 avril) et la bataille de la côte 70 (15 août), connaissent un succès retentissant. Le bataillon aide le CEC à atteindre tous ses objectifs et subit beaucoup moins de pertes humaines que dans la Somme. Le commandant Tremblay est fier de ses hommes.

Deuxi\u00e8me bataille d
22 avril au 25 mai 1915. \u00c0 la deuxi\u00e8me bataille d'Ypres, les Allemands attaquent, utilisant du gaz au chlore pour la premi\u00e8re fois. La division fran\u00e7aise d'Algérie est la plus durement touchée par l'attaque au gaz, qui ouvre de sérieuses br\u00e8ches dans les lignes alliées. Les Canadiens repoussent néanmoins de nombreux assauts. Quatre Canadiens seront décorés de la Croix de Victoria. Peinture réalisée par Richard Jack (avec la permission du Musée canadien de la guerre/8179).

En novembre 1917, le bataillon pénètre dans le secteur d’Ypres en Belgique. L’objectif consiste à prendre la crête de Passchendaele. Malgré leur réussite, les hommes du 22e bataillon se souviennent de l’opération non pas comme une victoire, mais plutôt comme l’une des épreuves les plus terrifiantes qu’ils aient vécues. Même les soldats les plus expérimentés sont profondément touchés parles horreurs de Passchendaele. Pour Thomas-Louis Tremblay, la batailleestun cauchemar. L’image de cadavres en décomposition dans la bouereste gravée dans la mémoire de nombreux hommes.

Poussée finale

Au début de la dernière année du bataillon sur le front, en 1918, la Russie met fin à sa participation à la guerre, ce qui libère les troupes allemandes déployées à l’est, lesquelles viennent appuyer les soldats déployés sur le front occidental. À partir du 21 mars, les Allemands ne mettent que quelques semaines à pénétrer environ 60 kilomètres à l’intérieur du territoire allié et menacent de diviser les forces britanniques et françaises. Cependant,dès juin, les Allemands doivent stopper leur avance en raison de la résistance britannique, d’un approvisionnement défaillant et de lourdes pertes. Les Van Doos ne prennent pas part à cette résistance, étant stationnés à distance de l’offensive allemande.

Après l’avancée allemande, les Van Doos rejoignent l’attaque alliée dans la ville française d’Amiens. L’attaque, échelonnée sur huit kilomètres, provoque la stupéfaction des soldats du 22e bataillon. Plusieurs croientque le général Arthur Currie est fou de croire en la réussite d’un tel plan, compte tenu de son envergure. Ceux-ci ont toutefois tort, et le 8 août, lebataillon contribue à une avancée de 13 kilomètresà l’intérieur des lignes allemandes. Le lendemain,il avance encore de 6 kilomètres. Ces percées ont un impact énorme sur le moral des troupes. Pour des officiers comme Georges Vanier, pour la toute première fois, la fin de la guerre semble possible.

La guerre de tranchées fait place au mouvement, et le cœur des soldats alliés se remplit d’espoir et d’optimisme; durant les trois mois suivants, le bataillon mène la progression vers l’Allemagne. En route,l’unité repousse les lignes allemandes à Arras et Cambrai et libère plusieurs villes françaises telles que Valenciennes et plusieurs villes belges dont Mons, la dernière libérée par le bataillon.

La guerre prend fin le 11 novembre avec la signature de l’Armistice. Après quelquesmois passés en Allemagne et en Angleterre, les Van Doossont prêts à rentrer chez eux. Le 10mai 1919, à bord de l’Olympic, ils disent adieu à l’Europe et mettent les voiles en direction du Canada.

Comme la plupart des unités du CEC, le bataillon est démantelé après la guerre. En 1920, il est remis en service sous le nom de 22e Régiment, le seul régiment permanent de langue française dans lesForces canadiennes. Un an plus tard, il reçoit la désignation « royale » en l’honneur de son service au cours de la Première Guerre mondiale, l’unité devenant officiellement « The Royal 22nd Regiment », un nom plus tard francisé sous le titre « Royal 22e Régiment ».

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