Rapatriement : La canadianisation de la Constitution | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Rapatriement : La canadianisation de la Constitution

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

En avril 1982, alors qu'à Ottawa l'hiver cède tranquillement la place au printemps, la reine Élisabeth II effectue sa onzième visite au Canada. Elle vient officialiser le fait qu'après plus d'un demi-siècle de tentatives, le Canada va enfin avoir sa propre constitution.

L'élaboration d'une constitution typiquement canadienne demeure une question en suspens héritée du passé colonial du pays. L'Acte de l'Amérique du Nord britannique, qui établit les compétences respectives des gouvernements fédéral et provinciaux et qui entre en vigueur au moment de la création du Canada en 1867, a été adopté par le Parlement de Londres et, en tant que loi adoptée par ce dernier, il ne peut être amendé que par les Britanniques.

La reine Elizabeth II signe le document de la Constitution sous le regard du premier ministre Pierre Trudeau et de ses collaborateurs, Ottawa (avec la permission de la Société statistique du Canada).

Depuis l'entre-deux-guerres, moment où le Canada commence à sortir du cocon de l'Empire britannique, les gouvernements s'efforcent de « ramener » l'Acte de l'Amérique du Nord britannique au pays. Selon le premier ministre Pierre Trudeau, le Canada ne peut continuer d'accepter de devoir « aller quémander la permission d'un gouvernement étranger » chaque fois qu'il veut modifier son document fondateur.

Il est d'abord prévu que la cérémonie de signature de la nouvelle Constitution se déroule dans la salle guindée du Sénat, dans les édifices du Parlement. À la dernière minute, elle est déplacée à l'extérieur, sur la colline du Parlement, ce qui a l'avantage de permettre l'utilisation du « plus grand studio de télévision du monde », selon les termes du journaliste John Gray. À 11 h 37 précisément, ce samedi 17 avril, au son des trompettes, c'est un Pierre Trudeau en smoking qui invite la reine vêtue de turquoise à quitter son trône improvisé pour inscrire « Elizabeth R » sur la proclamation royale de la Constitution, qui a été recopiée d'une écriture élégante sur un fin papier de fibres de lin fabriqué au Manitoba.

Les organisateurs attendent 100 000 spectateurs, mais les prévisions de mauvais temps font chuter ce nombre. Juste au moment où la reine se prépare à parler à la foule, estimée à 32 000 personnes, la pluie et la grêle se mettent de la partie, provoquant la valse des parapluies et la débandade des invités de marque. L'essentiel de ce que la reine avait à dire se perd dans le brouhaha ambiant.

Pour les médias canadiens anglais, cela semble n'avoir aucune importance. La Constitution est un triomphe et sa signature un grand moment de grâce. « Trois hourras pour le Canada! », s'exclame le Toronto Star.

Le premier ministre du Québec, René Lévesque, souligne cependant l'événement d'une autre façon; il est en tête d'une marche de protestation contre la Constitution, qui a lieu à Montréal. Il insiste sur le fait que la reine n'a été « importée » que pour donner une image d'apparat à la médiocrité.

Pendant dix-huit mois, Trudeau et Lévesque ont été les protagonistes de la bataille qui a mené à ce 17 avril. Le fédéraliste et le séparatiste sont des adversaires classiques : deux politiciens éloquents, charismatiques, avec des convictions coulées dans le béton, une mentalité de croisés, et possédant une cour de nombreux et fidèles partisans.

En 1980, au Québec, Trudeau a remporté le référendum sur la souveraineté en promettant de renouveler la Constitution et en jurant que « nous ne nous arrêterons pas avant que ce soit fait ». Il propose immédiatement de canadianiser l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (c'est-à-dire de procéder à son « rapatriement », dit patriation en anglais, mot inventé pour l'occasion) et de le doter d'un mode de révision, ainsi que d'une charte énumérant les droits et libertés dont jouissent les Canadiens.

En septembre 1980, lors d'une conférence réunissant les premiers ministres, un Trudeau belliqueux part en guerre contre Lévesque et la majorité des premiers ministres, et la rencontre s'achève dans la confusion. Trudeau réagit en disant : « Ce que je vous annonce maintenant, c'est que nous allons procéder de façon unilatérale. » Et il brandit la menace de faire voter par le Parlement canadien une résolution demandant aux Britanniques d'adopter la loi nécessaire sans le consentement des provinces.

La Cour suprême du Canada statue que Trudeau a le pouvoir légal de procéder unilatéralement, mais que, ce faisant, il irait contre le sens de l'histoire et des coutumes canadiennes. Dans le contexte des sentiments exacerbés qui s'expriment de part et d'autre sur la Constitution, cette opinion met subtilement en balance ce qui serait possible et ce qui serait « bien ».

Trudeau décide d'essayer une dernière fois d'obtenir un consensus et appelle les premiers ministres à se réunir à Ottawa pendant quatre jours, en novembre 1981. Il parvient à isoler Lévesque - ou peut-être est-ce Lévesque qui s'isole lui-même; toujours est-il que la coalition anti-Trudeau s'effrite.

Pendant que le chef du Québec dort, ses anciens alliés négocient un compromis avec le ministre de la Justice d'alors, Jean Chrétien. L'arrangement est présenté comme un fait accompli à Lévesque le lendemain matin, au petit déjeuner. Ce dernier quittera Ottawa, humilié et amer.

La Constitution du Canada est maintenant au pays, mais ce pays ne sera plus jamais le même. Le Québec se sent trahi, et cette blessure a bien du mal à cicatriser. La Charte des droits et libertés révolutionne le système judiciaire canadien, renforçant de façon spectaculaire les pouvoirs des tribunaux dans le domaine des droits individuels et des valeurs sociales.

Lecture supplémentaire