Bataille de Normandie
Le 6 juin 1944, après des mois de minutieuse planification, les Forces alliées, sous l’autorité du général américain Dwight D. Eisenhower lance l’opération Overlord, qui vise à envahir l’Europe de l’Ouest souffrant de l’occupation nazie depuis déjà quatre ans (voir Le jour J et la bataille de Normandie). Les armées alliées se battent déjà en Italie, et l’on espère qu’un nouveau front ouest-européen soulagera les troupes soviétiques, qui combattent les armées hitlériennes en Russie, d’une part, et que cela accélérera la défaite de l’Allemagne, de l’autre.
La bataille de Normandie, qui s’est effectuée sur plus de 100 km sur la côte française de La Manche, est la plus grande invasion navale de l’histoire. Au jour J, qui sonne le début de l’intervention militaire, une vaste flotte navale, soutenue par des escadrons aériens, bombarde les défenses allemandes le long de la côte normande, avant de débarquer 156 000 troupes américaines, britanniques et canadiennes sur cinq plages baptisées Utah, Omaha, Gold, Juno et Sword. Parmi la Force d’invasion, on compte trois divisions de parachutistes largués derrière les lignes ennemies. Sur les plages, l’objectif des soldats est de prendre d’assaut les territoires ennemis, de poursuivre leur avancée vers les terres et d’assurer une tête de pont côtière à partir de laquelle les renforts seront délivrés pour libérer la France. Au jour J, la 3e Division d’infanterie a trois objectifs : barrer la route Caen-Bayeux, s’emparer de l’aéroport Carpiquet situé à 18 km de la côte, et former une tête de pont liant les plages Gold et Sword.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Lorsque l’on planifie une opération militaire, la date exacte à laquelle l’attaque sera lancée n’est pas toujours connue d’avance. Pour cette raison, le terme « jour J » est utilisé pour désigner la date de commencement d’une attaque. Bien qu’il a été utilisé dans la planification de nombreuses autres opérations, le terme est désormais surtout associé à l’invasion de la Normandie, en France, par les Alliés le 6 juin 1944.
Le Canada joue un rôle de premier ordre au jour J. Alors que les escadrons de l’Aviation royale du Canada patrouillent dans les airs et attaquent des cibles terrestres, plus de 10 000 marins, répartis sur 110 navires de la Marine royale du Canada, soutiennent l’invasion. Ce sont à plus de 14 000 soldats volontaires, sous les ordres du commandant de la 3e Division d’infanterie, le major général Rod Keller, qu’incombe la mission d’envahir Juno Beach.
Juno Beach est un tronçon de 10 km de long situé sur la côte entre Saint-Aubin-sur-Mer, Bernières-sur-Mer, Courseulles-sur-Mer et Grave-sur-Mer; les plages répondant aux noms de codes Gold et Sword se trouvent respectivement à l’ouest et à l’est de Juno.
Bataille de Juno Beach
Desmond Piers, le capitaine trentenaire du contre-torpilleur HMCS Almonquin, observe à partir du pont le déroulement de l’invasion. « C’était un matin morne, se rappelle-t-il. Avant l’aube, on pouvait entendre les avions britanniques transporter les parachutistes au-delà de la Manche. Quand le jour est arrivé, le ciel s’est couvert de bombardiers et de chasseurs. Devant nous, on voyait la France et une foule de navires de débarquement sur ses rives. C’est incroyable. » (Voir aussi Juno Beach : Jour du courage)
PIERRE GAUTHIER, Régiment de la Chaudière
Pierre Gauthier a servi avec le Régiment de la Chaudière, débarquant sur Juno Beach au sein des opérations du Jour J et prenant part aux combats à travers l’Europe qui ont constitué la campagne du nord-ouest de l'Europe. Dans une interview avec le Projet Mémoire, Pierre Gauthier a raconté le débarquement du jour J. « Ça a pris beaucoup de courage pour débarquer des bateaux et marcher dans l’eau - l’eau, ça allait jusqu’ici, hein? Débarquer avec 50 ou 60 autres soldats que tu connais avec qui tu as entraînés, les voir blessés, puis les voir mourir proche de toi, c’est très stressant, ça. Puis je n’ai pas été capable de les aider, pas capable de rien faire. Notre rôle primaire c’est d’avancer, oubliez ces gars-là. Il faut vivre ça pour savoir comment ce que c’est. Si tu n’as jamais vécu ça, tu ne peux pas t’imaginer comment ce que c’est, de faire des bons chums puis de les voir blesser puis mourir proche de toi. » Regardez l'interview ci-dessous. Il est également inclus dans le DVD États de service, une ressource audiovisuelle du Projet Mémoire.
Courseulles-sur-Mer
Sur l’un des navires de débarquement se trouve Lockie Fulton, fils de fermier de Birtle, au Manitoba, et commandant pour les Royal Winnipeg Rifles. Ses hommes sont de la première vague de Canadiens à prendre d’assaut le côté ouest de Juno Beach, devant la ville lourdement défendue de Courseulles-sur-Mer. La traversée de La Manche « n’était pas de tout repos, dit-il. Beaucoup souffraient du mal de mer. En nous approchant des rives, des tirs d’armes légères ricochaient sur la proue de notre navire. Ensuite, nous avons touché le fond, la rampe est descendue, et j’ai sauté dans un mètre d’eau, avec mes 45 kilos d’équipement sur les épaules. »
« Nous avions encore au moins 50 verges à parcourir avant d’arriver sur la terre ferme. C’était loin d’être agréable, mais nous avons continué sans broncher. Parfois, un homme tombait à côté de nous. Nous savions bien que nous ne pouvions pas l’aider, mais nous tentions quand même de le traîner derrière nous jusqu’à la plage. C’était incroyable de voir les balles ricocher comme des pierres sur l’eau. Je me disais que si je sautais assez haut, elles ne m’atteindraient pas. »
Parce qu’ils arrivent trois heures après la fin des conditions optimales de marée, les obstacles déposés sur la plage par les Allemands sont partiellement submergés, ce qui complique le dégagement d’une voie directe et force les péniches de débarquement à zigzaguer vers la côte. Sur le chemin, ces mêmes péniches accrochent des mines, et environ 30 % d’entre elles sont détruites ou endommagées.
Lors de ces premières vagues d’assaut, presque un soldat sur deux est blessé ou tué. Lockie Fulton perd 15 de ses hommes durant la montée vers la plage. Les deux autres régiments d’infanterie à l’ouest de Juno, les Canadian Scottish et les Regina Rifles, ont aussi perdu des hommes à cause des mines dans le sable, et des obus de mortiers et des balles lancées par les Allemands dans les bunkers en béton surplombant la plage, restés intacts malgré les bombardements aériens et navals. L’infanterie compte aussi sur le soutien des chars amphibies Duplex Drive (DD), équipés d’hélices et de pneumatiques leur permettant de naviguer jusqu’à la plage devant l’infanterie. Malheureusement, à Courseulles-sur-Mer et partout ailleurs, beaucoup de chars Duplex Drive sont lancés derrière l’infanterie et laissés à leur compte. Beaucoup seront envahis par les flots et couleront, parfois avec leur équipage encore à bord (voir Armements).
Le journaliste de guerre des Royal Winnipeg Rifles exagère à peine lorsqu’il écrit que parce que « les bombardements n’ont pas réussi à tuer un seul Allemand ou à faire taire une seule arme, les entreprises ont dû sonner l’assaut “à froid”, ce qu’elles ont fait, sans hésitation ».
Bernières-sur-Mer
Plus à l’est de Juno Beach, c’est le régiment d’infanterie torontois Queen’s Own Rifles qui s’occupe de capturer le village de Bernières-sur-Mer, sous les tirs de mitrailleuses et de mortiers des Allemands, cachés dans des bunkers derrière la digue de briques. « Dépêchez-vous! N’arrêtez sous aucun prétexte! », hurle le major général Charlie Martin à ses hommes alors qu’ils quittent les navires et se dirigent vers les tirs ennemis. Rolf Jackson est le 11e à descendre la rampe de l’embarcation. Huit hommes sont tués devant ses yeux durant l’assaut, alors qu’il est lui-même blessé à la main par une balle et à l’épaule par un éclat d’obus.
LE SAVIEZ-VOUS ?
Les mémoires de Charlie Martins, publiées sous le titre Battle Diaries en 1994, dressent un des portraits les plus marquants de la vie quotidienne des soldats canadiens ordinaires au cours de la Deuxième Guerre mondiale.
Là aussi, les chars DD sont envoyés derrière les soldats d’infanterie. La victoire repose donc sur les soldats, qui doivent non seulement survivre à leur course sur la plage, mais aussi détruire les nids de mitrailleuses, armés seulement de fusils, de baïonnettes et de grenades. Après plus d’une heure de combat intense, les Queen’s Own Rifles, soutenus par une deuxième vague de troupes québécoises du Régiment de la Chaudière, traversent la digue jusqu’aux rues du village. Plus de 60 Canadiens sont abattus, et l’on compte par douzaines les blessés lors de l’assaut de la digue de Bernières-sur-Mer, la plus sanglante bataille de Juno Beach (voir aussi La Maison des Canadiens).
Saint-Aubin-sur-Mer
À l’extrémité la plus à l’est de Juno Beach, le Régiment North Shore du Nouveau-Brunswick prend d’assaut la plage du village de Saint-Aubin-sur-Mer. « Je pouvais entendre les balles siffler et se loger dans notre navire d’assaut à mesure que nous approchions de la rive », se remémore Fred Moar, un lieutenant de peloton de Chatham, au Nouveau-Brunswick, âgé de 21 ans. Lorsque la porte du navire s’ouvre, Fred Moar et ses hommes entreprennent la course de leur vie.
« Nous courrions aussi vite que nous le pouvions dans le sable et dans la fumée environnante, entre les mortiers qui tombaient et les balles et les projectiles qui explosaient. D’une manière ou d’une autre, je suis arrivé à la digue indemne, dit-il. J’avais perdu plusieurs hommes déjà. »
Lors d’un court moment de répit sous la digue, Fred Moar et les survivants de son peloton découvrent un passage creusé par une bombe qui mène dans les rues de Saint-Aubin-sur-Mer. Là, aidés par d’autres hommes du Régiment North Shore du Nouveau-Brunswick et d’un lieutenant britannique, ils passent la journée à sécuriser le village et, plus tard, prennent le contrôle des positions de mitrailleuses allemandes dans les champs aux alentours.
À un moment, une vieille femme s’approche du peloton de Fred Moar et demande aux soldats combien de temps ils comptent rester dans les parages. « Toujours », répondent-ils.
« Je suis Canadien »
À mesure que le jour J continue et que les défenses côtières de l’ennemi sont détruites, Juno Beach passe d’un champ de bataille à une zone d’embouteillage chaotique, alors que des vagues de soldats, de ravitaillements, de chars et de camions y débarquent depuis leurs péniches. Parmi tous ces gens se trouvent des groupes de prisonniers allemands et des Canadiens blessés en direction de l’Angleterre.
Entre-temps, les Forces canadiennes avancent avec prudence vers le continent, attaquant les positions ennemies et les stations radars allemandes, regroupant les prisonniers et creusant des tranchées en prévision des contre-attaques anticipées pendant la nuit et le jour suivant. Bien qu’aucune des Forces alliées n’ait réussi à accomplir tous ses objectifs du jour J, ce sont les Canadiens qui ont gagné le plus de terrain ennemi.
À la fin de la journée à Courseulles-sur-Mer, Jean Houel sort de son abri sous sa maison en ruine pour souhaiter la bienvenue à ses libérateurs. « Voilà les Anglais », s’exclame-t-il en voyant les soldats approcher avec leurs casques distinctifs. Il se rappelle encore la réponse d’un des soldats qui, en français, le corrige : « Je suis Canadien. »
Joseph Adélard Thibault était un soldat du Régiment de la Chaudière pendant la Deuxième Guerre mondiale. Cette photo a été prise à Lévis, Québec, le 5 juin 2010.
JOSEPH ADÉLARD THIBAULT, Régiment de la Chaudière
Joseph Adélard Thibault, un soldat du Régiment de la Chaudière, a passé la nuit du Débarquement près de la plage : « Le lendemain je ramassais des chapeaux avec des têtes dedans, des jambes. À qui appartient ceci? On ne le savait pas. On a mis ça dans un coin pour que ce soit enterré. » Dans son témoignage, il décrit une blessure qu’il a subie, qui lui a envoyé à l’hôpital, et les mesures qu’il a prises pour rejoindre son unité. « Je suis allé le long de la route et il y avait des fossés. J’ai pris mon bain là-dedans. Je ne sais pas où j’étais, mais j’ai réussi à entrer dans les lignes comme ça. On a commencé à parler français. Ils ont compris que nous n’étions pas des Allemands. J’ai étendu ça, « Hey ce n’est pas des Allemands, ne tirez pas ». Un coup qu’on s’est rencontré ça a été les gros becs et les embrassades. » Écoutez son histoire sur l’archive en ligne du Projet Mémoire.
Commémoration
Quelque 359 Canadiens sont tués lors du jour J, sur un total de 1 074 victimes. Leur corps et celui des Canadiens tombés au combat dans les semaines qui ont suivi reposent désormais dans le magnifique cimetière de guerre canadien à Bény-sur-Mer, directement derrière Juno Beach. Il rappelle, avec les nombreux autres monuments installés de part et d’autre de Courseulles-sur-Mer, Bernières-sur-Mer et Saint-Aubin-sur-Mer, le sacrifice du Canada lors du jour J. Un musée privé surplombant la plage de Courseulles-sur-Mer, le Centre Juno Beach, raconte aussi le rôle joué par le Canada lors de la bataille de Normandie.
Tous les 6 juin, une parade commémorative est organisée par les villages avoisinants Juno Beach. Les rues sont décorées de drapeaux canadiens, des messes sont données, et des veillées sont organisées sur la digue, en l’honneur des libérateurs canadiens tombés au combat.