Grève de l'amiante de 1949 | l'Encyclopédie Canadienne

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Grève de l'amiante de 1949

La grève de l’amiante a commencé le 14 février 1949 et a paralysé les principales mines d’amiante du Québec pendant près de cinq mois. Le gouvernement du Québec s’est rangé du côté du principal employeur, une entreprise américaine, contre les 5000 mineurs syndiqués. Dès le début, la grève a créé des conflits entre le gouvernement provincial et l’Église catholique romaine, qui prenait habituellement parti pour le gouvernement (voir Catholicisme au Canada). Ce conflit de travail, l’un des plus longs et des plus violents de l’histoire du Québec, a contribué à jeter les bases de la Révolution tranquille.

Grève de l'amiante

Termes clés

Syndicat : Une association de travailleurs créée pour protéger les droits de ses membres et obtenir un meilleur salaire, des avantages et conditions. (Voir Syndicats ouvriers.)

Contexte

En 1949, le Québec fournit 85 % de l’amiante dans le monde. La ville minière d’Asbestos (renommée Val-des-Sources en 2020), dans les Cantons de l’Est au Québec, est le premier producteur mondial du minerai. Ses mineurs recherchent de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail auprès du principal employeur, la société américaine Johns-Manville Company.

Dès le début de 19e siècle, l’inhalation des fibres d’amiante est liée à l’apparition de maladies pulmonaires. Cependant, le minerai sert pour l’isolation, l’insonorisation et l’ignifugation des bâtiments, en plus d’être utilisé dans différents produits, allant des fours aux plaquettes de frein. Or, l’inhalation de fibres d’amiante peut également causer des maladies comme l’amiantose, le mésothéliome et d’autres cancers.

La mine Jeffrey en 1944

Grève des mineurs

Le 14 février 1949, environ 5000 travailleurs quittent leur emploi dans quatre mines d’amiante à Asbestos et à Thetford Mines, au Québec. Ils rejettent également les offres d’arbitrage parce qu’ils estiment que les arbitres de travail prennent habituellement le parti des entreprises. Parmi leurs revendications, on compte la hausse du salaire horaire à 1 $ l’heure, neuf jours fériés payés, la participation syndicale à la gestion des mines, une pension ainsi que des mesures pour limiter la poussière d’amiante qui cause des maladies.

La Confédération catholique canadienne du travail, traditionnellement conservatrice, représente les mineurs. Il s’agit d’un groupe de coordination de nombreux syndicats mis sur pied par l’Église catholique pour contrer l’influence anticléricale et socialiste des syndicats internationaux sur les travailleurs québécois (voir Confédération des syndicats nationaux.)

Le premier ministre du Québec, Maurice Duplessis, appuie les employeurs contre les travailleurs en grève. Maurice Duplessis, surnommé « le Cheuf », est premier ministre de la province de 1936 à 1939, puis de 1944 à 1959. Chef du parti conservateur qu’est l’Union nationale, il gouverne la province d’une main de fer, si bien qu’on surnomme aujourd’hui cette époque « La Grande Noirceur ». Maurice Duplessis récompense en effet ses partisans en leur accordant des faveurs et punit ses opposants par la répression. Il utilise aussi régulièrement des tactiques d’intimidation pour miner les syndicats qui, selon lui, compromettent les investissements américains dans la province. Quelques jours après le début de la grève, son gouvernement la déclare illégale et envoie un contingent de la police provinciale à Asbestos.

Soutien de l’Église catholique

L’Église catholique romaine du Québec, quant à elle, appuie les grévistes. Pour la première fois, il se range du côté des travailleurs dans un conflit industriel, mettant par le fait même le bureau de l’évêque en conflit direct avec Maurice Duplessis.

Dans un sermon prononcé à la basilique Notre-Dame, l’archevêque de Montréal Joseph Charbonneau déclare aux paroissiens : « La classe ouvrière est victime d’une conspiration visant à les écraser, et quand il y a une conspiration pour écraser la classe ouvrière, c’est le devoir de l’Église d’intervenir. Nous valorisons les gens plus que le capital. »

Joseph Charbonneau

Joseph Charbonneau demande également que les prêtres lisent en chaire un appel pour aider les familles des grévistes. Il leur demande de recueillir des fonds en faisant une collecte dans les églises chaque dimanche pendant la grève. En réponse à son appui à la grève, Maurice Duplessis convainc l’Église catholique d’ordonner la démission de l’archevêque Charbonneau, ainsi que son transfert en Colombie-Britannique. Joseph Charbonneau finit aumônier chez les Sœurs de Sainte-Anne, un ordre de moniales à Victoria. Maurice Duplessis appelle également les dirigeants syndicaux catholiques de « saboteurs » et d’« agents subversifs » et ordonne l’arrestation de 20 chefs de grève pour conspiration.

Éruption de la violence

Peu après le début de la grève, la Johns-Manville Company embauche des travailleurs de remplacement, qui sont appuyés par la police. Pour empêcher les travailleurs de remplacement d’atteindre les mines, les grévistes dressent des barrages routiers. Le 14 mars 1949, quelqu’un déclenche une explosion sur une voie ferrée menant à l’usine. Quelques jours plus tard, des travailleurs battent un représentant de l’entreprise. Le syndicat dresse une ligne de piquetage pour empêcher les travailleurs de remplacement et les représentants de l’entreprise d’entrer dans l’usine. La Johns-Manville Company prend donc une ordonnance du tribunal pour mettre fin au piquetage, qui est instauré par la police. Pendant l’opération, les grévistes lancent des pierres sur les travailleurs de remplacement, tandis que les policiers sur la ligne de piquetage rétorquent avec des gaz lacrymogènes et des tirs de semonce.

Le 5 mai, des grévistes battent et désarment une douzaine de policiers en civil qui se trouvent aux barrages routiers érigés pour bloquer les travailleurs de remplacement. Le lendemain, la police adopte des mesures de répression, envoyant 400 agents à Asbestos. Ces derniers arrêtent environ 180 mineurs en grève qui assistent à une réunion syndicale stratégique. Armée de fusils, de gaz lacrymogènes et de matraques, la police attaque plusieurs grévistes. Les arrestations et passages à tabac qui s’ensuivent attirent l’attention des médias du monde entier.

Le saviez-vous?
Pierre Elliott Trudeau, alors un avocat de 29 ans, fait partie d’un important groupe de militants syndicaux venus de Montréal pour appuyer le syndicat. Il raconte avoir trouvé à Asbestos « un Québec que je ne connaissais pas, celui des travailleurs exploités par la direction, dénoncés par le gouvernement, assommés par la police, et pourtant animés par un militantisme fervent ». Plus tard, il décrit la grève comme « un tournant dans toute l’histoire religieuse, politique, sociale et économique de la province de Québec ».


Répercussions de la grève d’Asbestos

La grève prend fin le 1er juillet 1949, les deux parties ayant négocié un règlement. À l’époque, il s’agit du plus long conflit de travail de l’histoire du Québec.

La grève n’est pas très fructueuse pour les travailleurs. En effet, ils reçoivent une augmentation de salaire de 5 cents de l’heure au lieu des 15 cents demandés, et la question de l’exposition à la poussière d’amiante n’est pas abordée. Cependant, la Johns-Manville Company augmente les salaires des mineurs une deuxième fois en moins d’un an, si bien que les mineurs du Québec sont désormais payés de façon concurrentielle au Canada.

En outre, certains paient très cher leur participation au conflit. Beaucoup de mineurs ne sont pas réembauchés. Joseph Charbonneau passe le reste de sa vie dans une relative obscurité à Victoria.

Tout comme Pierre Trudeau, Jean Marchand, alors porte-parole des grévistes, et le journaliste Gérard Pelletier, qui couvre la grève pour le journal montréalaisLe Devoir, font carrière en politique fédérale dans les années 1960 et 1970. Ils sont surnommés « Les trois colombes » pour leur travail politique.

La grève de l’amiante de 1949 représente la première fissure dans le pouvoir du premier ministre Maurice Duplessis. La résistance acharnée des mineurs, le soutien de la population et des médias et le clivage entre l’Église et l’État marquent un tournant politique et culturel majeur au Québec. C’est en effet le début d’une nouvelle ère de nationalisme québécois qui ouvre la voie à la Révolution tranquille.

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