Félix
Eugène Leclerc, O. C.,
G.O.Q.,
auteur-compositeur-interprète, poète, romancier, dramaturge, acteur, et homme
de radio et de télévision (né le 2 août 1914 à La Tuque, au Québec; mort
le 8 août 1988 à l’Ȋle d’Orléans, au Québec). Félix Leclerc est un artiste
militant, dont l’activité dans plusieurs domaines marque un tournant majeur
dans la culture québécoise.
Poète et
dramaturge, il est l’un des géants de la littérature québécoise. Il est
également une immense vedette de la chanson au Canada et en Europe, en
particulier en France. Influençant fortement l’évolution de la chanson
québécoise, il ouvre la voie au mouvement des chansonniers
populaires au Québec et en France. Ardent défenseur du nationalisme québécois,
il exacerbe le sentiment collectif identitaire du peuple québécois. Parmi ses
chansons les plus populaires, figurent entre autres « Notre sentier »,
« Moi, mes souliers », « Bozo » et « Le tour de l’île ».
Il se voit décerner par l’Académie Charles-Cros à Paris le Grand prix du disque
à trois reprises, le Prix de musique Calixa-Lavallée, le Prix Denise-Pelletier
et le Diplôme d’honneur. Il est nommé officier de l’Ordre
du Canada, grand officier de l’Ordre
national du Québec et chevalier de la Légion d’honneur en France.
Jeunesse
Félix
Leclerc est le 6e des 11 enfants d’un négociant en bois
d’œuvre et en grains. Tous les membres de la famille chantent et jouent de
divers instruments. À l’âge de huit ans, Félix Leclerc découvre la musique de Mozart
et de Schubert que sa sœur aînée apprend à jouer au piano. Il entame son
parcours académique à 18 ans à l’Université d’Ottawa, où il écrit sa première
chanson, « Notre sentier ». Contraint d’abandonner ses études en
1933 en raison de la Grande Dépression, il part travailler comme ouvrier
agricole à Sainte-Marthe-du-Cap, près de
Trois-Rivières, cette expérience lui inspirant
plusieurs de ses chansons.
Après avoir
occupé divers emplois, dont celui d’embaumeur
adjoint, il devient présentateur et scénariste à la radio CHRC, à Québec (1934–1937) et à CHLN, à Trois-Rivières
(1937). Durant ses trois années passées à Québec, il suit quelques cours de
guitare qui lui sont dispensés par Victor Angelillo et Bill Harris, deux
collègues de CHRC. Il semble qu’il aurait aussi reçu des conseils de la part de
Thomas-Wilfrid Gagnon, un musicien qui lui vend, à Québec, vers l’année 1934,
sa première guitare (aujourd’hui conservée au Musée régional de Vaudreuil-Soulanges).
John Harry Ormsby, un professeur d’anglais particulier qui encourage l’amour de
Félix Leclerc pour le Québec et le pousse à créer des œuvres originales,
marquera également le jeune artiste.
Radio, télévision, rôles
et écriture
En 1939,
Félix Leclerc entre à Radio-Canada à
Montréal comme scénariste. Plusieurs des
feuilletons radiophoniques qu’il écrit sont très populaires, notamment « Le
Restaurant d’en face » (dans lequel on entend sa chanson « Notre
sentier »), « Je me souviens » (pour lequel Hector Gratton compose la musique de
scène), « L’Encan des rêves » et « Théâtre dans
ma guitare ». À la même époque, Félix Leclerc joue dans les séries
dramatiques de Radio-Canada Un Homme et son péché de
Claude-Henri Grignon et Vie de famille de Henry Deyglun. Il
monte également sur scène avec la troupe d’Émile Legault, les Compagnons de Saint-Laurent (1942–1945).
Les transcriptions radiophoniques de Félix Leclerc retiennent l’attention de l’écrivain et cinéaste Albert Tessier, qui encourage leur publication. Celles-ci paraissent sous forme de recueils intitulés Adagio (histoires), Allegro (fables) et Andante (poèmes) et se vendent bien. En 1948, les pièces Le P’tit Bonheur et La P’tite Misère, écrites par Félix Leclerc, sont présentées à Montréal et à travers le Québec par la troupe de théâtre VLM, que ce dernier vient de fonder avec ses amis Guy Mauffette et Yves Vien. La même année, la pièce intitulée La Caverne des splendeurs vaut à Félix Leclerc, son auteur, le premier prix lors d’un concours de pièces de théâtre à un acte organisé par la société Les Amis de l’art. Certaines des chansons de ses chansons dont « Le P’tit Bonheur », servent d’interludes entre les scènes. Plusieurs autres chansons de Félix Leclerc, telles « Hymne au printemps », « Le Train du Nord » et « Bozo », deviennent populaires au Québec à la fin des années 1940, notamment grâce à l’émission qu’il anime à Radio-Canada, Félix Leclerc et ses chansons.
Succès à Paris
En 1950, la
carrière de Félix Leclerc en tant que chansonnier devient internationale.
Jacques Canetti, un impresario influent de Paris, directeur artistique de la
maison de disques Philips, entend Félix Leclerc chanter sur scène à Montréal et
lui propose immédiatement un contrat à Paris. Ce dernier y fait ses débuts en
décembre 1950 à l’ABC, un grand cabaret parisien. Il y partage l’affiche avec
les Compagnons de la chanson et Édith Piaf.
Après le
succès de ses débuts à Paris, il enregistre ses premiers disques et part en
tournée à travers la France, la Belgique et la Suisse. Vêtu d’une chemise de bûcheron
à carreaux et s’accompagnant lui-même à la guitare, il interprète ses chansons
truculentes avec une solide voix de baryton. Il devient vite une grande
vedette. En février 1951, il est récompensé du Grand prix du disque de l’Académie
Charles-Cros à Paris pour sa chanson « Moi, mes souliers ». Sur
les affiches, apparaît sous son nom en gros caractères la mention « le Canadien ».
Carrière au Canada
Félix
Leclerc partage ensuite son temps entre l’Europe et le Canada. En France, ses
performances à de grandes émissions de radio, ses apparitions dans les théâtres
de variétés et les boîtes à chansons les plus réputés (p. ex. les
Trois-Baudets et Bobino) et ses nombreuses tournées font de lui une super
vedette.
De retour à
Montréal en 1953 pour participer aux Festivals de Montréal, Félix Leclerc est accueilli en
héros. Plus tard, sa carrière l’oblige à rester durant de longues périodes en
Europe. Au Canada, on peut citer parmi ses principales apparitions sur scène :
sa tournée dans l’Ouest en 1965, ses concerts à la Place des Arts de Montréal, en 1967, au
théâtre Le Patriote à Montréal, en 1966, 1970,
1972, 1975 et 1976, et ses spectacles au Centre national des Arts à
Ottawa, en 1971. Il effectue des tournées en France,
en Belgique et en Suisse, en 1973, et à nouveau en France, en 1975 et en 1977.
Il reçoit un autre Grand Prix du disque en 1958 pour son album Félix
Leclerc et sa guitare, puis encore un autre en 1973 pour l’ensemble de son
œuvre. Son plus grand triomphe au Québec demeure sans doute son apparition sur
scène avec Gilles Vigneault et
Robert Charlebois lors de la Superfrancofête, à
Québec, en 1974.
Félix Leclerc joue également dans des films, tels Les Brûlés (1959), Félix Leclerc, troubadour (1959), de Claude Jutra, La Vie (1967), C’est la première fois que j’la chante (1988) et Pieds nus dans l’aube (1994).
Nationalisme
Même s’il
n’est directement associé à aucun parti politique, Félix Leclerc est
enthousiaste à l’idée de se dévouer pour la cause émergente de l’indépendance
du Québec. Il transparaît clairement dans la préface de sa pièce L’Auberge
des morts subites, écrite en 1962, qu’il adhère aux idéaux du nationalisme
canadien-français avant même que n’éclate la Révolution tranquille. Du milieu des années 1950 à
la fin des années 1960, plusieurs de ses chansons (« Tirelou », « Tu
te lèveras tôt », « Les Rogations », « Le père », « Richesses »)
laissent entrevoir une radicalisation de ses opinions politiques.
En 1970,
cet éternel « fruste paysan » commence à user de sa franchise
naturelle en public. Il proteste en utilisant l’humour caustique comme arme
principale. Dans la chanson « L’Alouette en colère », qu’il
écrit après la Crise d’octobre 1970, Félix Leclerc expose sa
vision d’un Québec qui a été pillé et spolié. Ce point de vue est également
exprimé dans ses trois derniers albums, L’Alouette en colère (1972), Le
Tour de l’Île (1975), et Mon fils (1978).
Félix
Leclerc donne son dernier concert en public en 1979. Il fait de rares
apparitions et continue à publier à partir de sa retraite située sur l’Ȋle d’Orléans. Il participe au premier gala de l’
ADISQ (1979) qui nomme les prix récompensant
chaque année les meilleurs artistes du disque et de la scène du Québec en son
honneur. (Voir prix Félix.) En 1983, Félix Leclerc est invité
à l’émission Station soleil sur la chaîne de télévision Radio-Québec.
L’émission de télévision Rêves à vendre (1984) sur Radio-Canada, animée
par Jean-Pierre Ferland, lui est dédiée. L’album
qu’enregistre Johanne Blouin quelques mois avant la mort de
l’artiste, contenant dix de ses chansons et intitulé « Merci
Félix », est un véritable succès. Félix Leclerc est également l’auteur de
deux livres : Rêves à vendre (1984) et Derniers
calepins (1988), publiés après sa mort.
La mort de Félix Leclerc fait l’effet d’un choc au Québec. Des funérailles discrètes sont organisées sur l’île d’Orléans. Des milliers de gens se rassemblent à Québec et à Montréal, et des messages parviennent du monde entier, y compris du gouvernement français. Félix Leclerc a montré le chemin à toute une génération de chanteurs-poètes et il continue à avoir du succès.
Œuvre de Félix Leclerc et
principaux thèmes évoqués
L’œuvre et
les chansons de Félix Leclerc ont été analysées par de nombreux écrivains et
critiques. Dans La Chanson québécoise, Benoît L’Herbier écrit :
« Dès le début, la poésie de Félix Leclerc s’est située sur un plan
philosophique, rappelant les œuvres de La Fontaine les plus belles et les plus
inspirantes. Car Félix Leclerc, l’écrivain ou le compositeur, est un moraliste. »
Dans son ouvrage intitulé Félix Leclerc, Luc Bérimont écrit :
« La personnalité de Félix Leclerc est riche, complexe, insaisissable. Il
est certes chanteur, et compositeur et interprète, mais il appartient à une
catégorie qui ne peut obéir aux critères du music-hall. Félix Leclerc est une
exception dans un monde où la chanson, produite à grande échelle, et un bien
purement commercial ».
Les paroles
des chansons de Félix Leclerc, qu’elles soient narratives ou qu’elles portent à
réflexion, forment des couplets qui rappellent la structure des chansons
folkloriques. Il a puisé son inspiration dans les éléments (l’eau, la terre, le
soleil, le feu et le vent) et dans les thèmes choisis transparaît un amour des
animaux et de la nature. Ses chansons revêtent un caractère tantôt joyeux,
tantôt triste, selon qu’il quitte ou non son enfance. Les références à des
rois, à des châteaux et à des bals renvoient aux misères et aux splendeurs de
l’existence humaine.
Sa poésie, simple et directe, véhicule une vision tragique de l’existence. Pour Félix Leclerc, le caractère tragique de l’humanité est enraciné dans la nature. Le travail humain conduit parfois à la mort sous le joug, mais il apporte en même temps un lien avec l’au-delà et donne une dimension spirituelle aux gestes quotidiens et à la vie en général. La nature est omniprésente dans les chansons de Félix Leclerc. Le cycle des saisons constitue une toile de fond pour les thèmes récurrents de l’évasion, de la mort, de Dieu, de la femme et du pays.
Traits caractéristiques
À travers
ses 160 chansons (146 originales et 14 reprises), Félix Leclerc se
différencie de ses prédécesseurs chansonniers francophones européens et
québécois, par le fait qu’il associe des vers soigneusement écrits à une ligne
mélodique au style unique composée pour la guitare acoustique. Son jeu musical
se caractérise notamment par une tonalité d’accordage de la guitare diminuée
(toutes les cordes sont réglées à un ton ou un demi-ton en dessous de
l’accordage standard) et par la position de la main droite en haut de la
touche. Il enrichit également la technique de sa main droite en y intégrant
notamment des harmoniques artificielles (comme dans « Hymne au
printemps »), le grattage rapide des cordes avec le pouce (« La Drave »),
les arpèges rapides exécutés avec le pouce et l’index comme avec un médiator (« Les
100 000 façons de tuer un homme ») et la combinaison d’arpèges et de
trémolo classique (« Le tour de l’Île »). De la main gauche, il
exécute parfois des accords barrés avec le pouce dans les basses, des accords
de septième diminuée et des accords majeurs en y ajoutant des sixtes.
Influences
Dans
l’ensemble, on peut distinguer six principaux types d’influences dans la
musique de Félix Leclerc. Ce dernier semble tout d’abord avoir été légèrement
influencé par le répertoire classique, en raison de sa sœur pianiste et
possiblement de l’enseignement qu’il a reçu de Thomas-Wilfrid Gagnon. La
seconde influence comprend le registre standard et traditionnel québécois, en
particulier les chansons d’Ovila Légaré, de
Madame Bolduc, et La Bonne chanson de l’abbé Gadbois
, les chansons du folklore français traditionnel, la musique instrumentale et folklorique celtique (les reels écossais et irlandais).
Félix
Leclerc subit l’influence encore plus marquée des chansons populaires de la
France du début du 20e siècle (en particulier celles de Maurice
Chevalier, de Lucienne Boyer et de Tino Rossi). Cela transparaît dans le
recours au style musette (« Les Dimanches ») et les très nombreux
airs de ballade à trois temps et au tempo irrégulier que l’on trouve dans ses
chansons (« Demain si la mer », « La fille de l’Île »).
En outre, on perçoit un soupçon de musique tzigane et russe folklorique dans la
voix grave de l’artiste et dans sa manière de gratter rapidement les cordes de
sa guitare avec son pouce droit.
L’influence
du blues afro-américain (p. ex. Blind Lemon Jefferson et Blind Blake) sur la
musique de Félix Leclerc transparaît dans le fait que le musicien accorde sa
guitare dans une tonalité diminuée et dans ses choix de doigtés lorsqu’il joue
certains accords issus de guitares pour gauchers. Les accompagnements jazz swing au rythme de croches (p. ex. Glenn
Miller et Tommy Dorsey) révèlent eux aussi une influence afro-américaine sur sa
musique (comme dans « Bozo » et « Le P’tit
Bonheur »).
Enfin,
Félix Leclerc reprend le style de la musique country « old-time » de
Jimmie Rodgers, le bluegrass de Bill Monroe et le western
swing de Bob Wills et de Gene Autry en transposant les accords (Dm/F ; D/ F#)
et en jouant occasionnellement l’accompagnement au rythme rapide d’une croche
suivie de deux doubles croches (comme dans « Attends-moi, Ti-Gars »).
Impact
Le style
musical caractéristique de Félix Leclerc a revitalisé la chanson en France. Sa
musique aurait permis de lancer, entre autres, les carrières de Georges
Brassens, Guy Béart et Jacques Brel. Dans son livre, Chansonniers du
Québec, Christian Larsen écrit : « Félix Leclerc est à la chanson
canadienne ce que Trenet est à la chanson française : un militant, un
révolutionnaire et un guide. À cause de lui, les coureurs de dot, les poètes et
les commerçants se lancent à la recherche d’un nouveau Klondike […] Bien qu’il
n’ait pas inventé la chanson canadienne, Félix Leclerc a créé son public et son
marché et a généré, dans une certaine mesure, la génération actuelle des jeunes
chansonniers. »
Récompenses et héritage
En 1965, le Festival du disque de Montréal attribue un prix Félix-Leclerc à Gilles Vigneault pour sa chanson Mon pays. Un char est dédié à Félix Leclerc lors du défilé organisé en 1966 par la Société Saint-Jean-Baptiste, à Montréal. En 1977, il est le premier à recevoir du gouvernement du Québec le prix Denise-Pelletier des arts de la scène. En 1978, l’Orchestre symphonique de Montréal interprète un pot-pourri de ses œuvres à l’occasion des festivités de la Saint-Jean-Baptiste. En 1990, une sculpture est créée en l’honneur de Félix Leclerc au parc Lafontaine à Montréal. Une anthologie de 2000 pages de ses poèmes et autres œuvres littéraires paraît à Montréal en 1994. En 2003, le panthéon des auteurs et compositeurs Canadiens accueille Félix Leclerc parmi les premières personnalités qu’il intronise.
Après la
mort de Félix Leclerc, ses héritiers créent la Fondation Félix-Leclerc afin de
promouvoir la chanson
québécoise. Nombre des chansons de l’artiste sont publiées dans les
recueils suivants : Les Chansons de Félix Leclerc – le Canadien (1950), Félix
Leclerc, 12 chansons nouvelles (1958), Les Chansons de
Félix Leclerc (1969) et 24 Chansons de Félix Leclerc (non
daté). Ses chansons sont interprétées par les Séguins, par
Monique Leyrac, André Gagnon
,
Fabienne Thibeault, Groovy Aardvark, Daniel Boucher,
Marie-Hélène Thibert et bien d’autres.
Selon la
Commission de toponymie du Québec, Félix Leclerc atteint le cinquième rang
(après Samuel de Champlain,
Jacques Cartier, le Frère Marie-Victorin
et
Jean Talon) au classement des personnages
historiques dont le nom est le plus souvent attribué à des rues, à des places
ou à des édifices au Québec. Trois bâtisses sont entièrement ou en partie dédiées
à son œuvre : le Musée régional de Vaudreuil-Soulanges, le Complexe
culturel Félix-Leclerc à La Tuque et l’Espace Félix-Leclerc, sur l’île d’Orléans.
Voir
aussi Chansonniers;
Les Bozos;
Chœur
V’là l’bon vent.
Une
version de cet article figurait dans Encyclopédie de la musique au Canada.
Récompenses
- Grand prix du disque, Académie
Charles-Cros (1951, 1958, 1973)
- Officier, Ordre du Canada (1968)
- Prix de musique
Calixa-Lavallée, Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal (1975)
- Diplôme d’honneur, Conférence
canadienne des Arts (1976)
- Prix Denise-Pelletier,
gouvernement du Québec (1977)
- Grand officier, Ordre national
du Québec (1985)
- Chevalier, Légion d’honneur, France (1986)