Ethnomusicologie
Dans les années 1950, un groupe de musicologues adopte le terme « ethnomusicologie » pour remplacer « musicologie comparée ». Au début et au milieu du XXe siècle, cette discipline porte généralement sur les traditions musicales autres que l'art musical européen (dont l'étude est parfois appelée « musicologie historique »). À la fin du XXe siècle, les ethnomusicologues élargissent cette discipline pour y inclure non seulement ce qui est vendu sous le nom de « musique du monde », mais encore toutes les pratiques musicales, les idées dont elles sont issues et les contextes sociaux où elles évoluent. Autrement dit, les ethnomusicologues se demandent comment les attitudes et les valeurs sociales façonnent la production et la réception des sons musicaux. De plus, ils étudient comment la production du son lui-même et les moyens par lesquels celui-ci circule (p. ex. lors d'un spectacle, dans les médias ou en tant que produit de consommation) modèlent les valeurs et les attitudes sociales et structurent ainsi des facteurs tels que la classe, l'appartenance ethnique et le sexe.
Historique
Les pionniers de l'ethnomusicologie au Canada sont les explorateurs, les voyageurs et les missionnaires qui décrivent la musique et la danse des peuples autochtones. Marc LESCARBOT dans Histoire de la Nouvelle France (1606) et le père Gabriel Sagard-Théodat dans Histoire du Canada (1636) publient les premières transcriptions de chansons. Dans les RELATIONS DES JÉSUITES (1632-1672), on décrit des cérémonies ou fêtes traditionnelles ainsi que la participation des Premières nations aux musiques européennes chrétienne et profane. Parmi les premiers enregistrements sur cylindre, on compte ceux des chanteurs salish de la rivière Thompson faits par James TEIT (1897) et ceux des IROQUOIS du sud de l'Ontario faits par Alexander Cringan (1897-1902). Des études réalisées à la fin du XIXe siècle sur la musique autochtone canadienne par des musicologues tels que Carl Stumpf et des anthropologues tels que Franz BOAS font date dans l'histoire de ces disciplines. Les premières études séparent la description du son de la description des utilisations du son. Jusqu'à la fin du XXe siècle, on considère généralement les cultures comme des entités discrètes, différentes les unes des autres. À partir des années 1970, on s'intéresse davantage aux musiques empruntées et adaptées, notamment les hymnodies autochtones, les violoneux, la musique d'orchestre ou la musique populaire en langues autochtones.
Vers la fin du XIXe siècle, pendant que s'établit la nation canadienne, les folkloristes et les collectionneurs de musique folklorique sont actifs autant dans les communautés immigrantes francophones qu'anglophones. Au Canada français, Ernest GAGNON, dans Chansons populaires du Canada (1e édition, 1865), présente la transcription d'un répertoire de base et quelques indications sur les pratiques d'exécution. Cet ouvrage fait encore autorité en 1913, lorsque Marius BARBEAU entreprend une collection de musiques du Québec, qu'il poursuivra pendant plusieurs dizaine d'années. Parmi les collectionneuses et les collectionneurs largement publiés de musique folklorique des traditions angloceltique et francophone du XXe siècle, on compte Helen CREIGHTON, McEdward Leach, Maud Karpeles, Edward Ives et Kenneth Peacock, dans l'est du Canada; Anselme Chiasson, Charlotte Cormier, Ronald Labelle, George Arsenault, et Donald Deschênes, dans les milieux acadiens; Barbeau et ultérieurement Carmen Roi, Luc Lacoursière, Roger MATTON, au Québec; Edith FOWKE et Germaine Lemieux, en Ontario; Barbara Cass-Beggs et Philip Thomas, dans l'ouest du Canada. On trouve encore les enregistrements de terrain de beaucoup d'entre eux dans le catalogue des enregistrements de Smithsonian Folkways.
Au début du XXe siècle, des institutions aussi différentes que le CANADIEN PACIFIQUE et les MUSÉES NATIONAUX DU CANADA stimulent l'intérêt de la nation pour la littérature, la musique et la danse de diverses ethnocultures canadiennes. Dès 1927, John Murray GIBBON, directeur de la publicité du Canadien Pacifique, le folkloriste Barbeau et le compositeur Ernest MACMILLAN organisent, dans la ville de Québec et ultérieurement dans diverses villes de l'ouest du pays, une série de festivals multiculturels qui feront date. Le MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS favorise également l'étude des cultures musicales traditionnelles, plus particulièrement par le biais de sa division d'anthropologie crée en 1910 par le linguiste Edward SAPIR et plus récemment par le Service canadien d'ethnologie/Canadian Ethnology Service et le Centre canadien d'études sur la culture traditionnelle/Canadian Centre for folk culture Studies. Depuis les années 1960, le Musée canadien des civilisations joue un rôle particulièrement actif dans ce domaine en commandant des travaux de recherche sur la culture musicale de communautés culturelles particulières, notamment les communautés métisse, ukrainienne, doukhobor et chinoise ainsi que les Inuits, les Indiens du Sang et de nombreuses autres communautés.
L'évolution de l'ethnomusicologie en tant que discipline commence lorsque le savant d'origine polonaise Miceczyslaw Kolinski donne les premiers cours dans ce domaine à l'UNIVERSITÉ DE TORONTO à la fin des années 1960. Dès les années 1990, plusieurs établissements d'enseignement supérieur offrent des programmes de troisième cycle dans ce domaine, entre autres l'UNIVERSITÉ DE LA COLOMBIE-BRITANNIQUE, l'UNIVERSITÉ DE L'ALBERTA, l'UNIVERSITÉ YORK, l'Université de Toronto, l'UNIVERSITÉ D'OTTAWA, l'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL ainsi que les départements de folklore de l'UNIVERSITÉ LAVAL et de la MEMORIAL UNIVERSITY. Puisque la musique fait généralement partie d'autres pratiques culturelles (festivals, contes et autres), les anthropologues, les historiens, les sociologues et autres chercheurs apportent en permanence une contribution importante à l'étude de la musique en tant que culture.
Que font les ethnomusicologues?
Le travail des ethnomusicologues est caractérisé par une profusion de buts et d'approches différents. Ces objectifs et ces méthodes sont souvent façonnés par des facteurs historiques. Les premiers collectionneurs s'intéressent généralement moins à l'environnement social des chanteuses et des chanteurs avec qui ils travaillent qu'au style et à la structure des chansons elles-mêmes. Ils répertorient les variantes mélodiques, tentent la reconstitution historique des textes et élaborent parfois des systèmes de classification des types de chansons. À la fin du XXe siècle, on valorise généralement davantage les points de vue et le discours des musiciens et autres porteurs de culture, et les études sont effectuées autant par les initiés que par les non-initiés de nombreuses traditions. Des études sur certains porteurs de tradition examinent leur vision du monde et leurs processus d'apprentissage. Ces études reconnaissent que les artistes populaires sont des porte-parole essentiels de l'importance de l'expression culturelle pour leur communauté et remettent en question la conception erronée voulant que les traditions orales soient généralement anonymes. On entreprend des études historiques, notamment sur les groupes ethnoculturels tels que les Ukrainiens ou les Doukhobors dont la présence au Canada remonte à plus d'un siècle. On entreprend aussi des études sur des communautés et des endroits particuliers en même temps que des études de "scènes" musicales qui touchent les communautés locales. Les ethnomusicologues explorent le processus d'apprentissage de la musique dans diverses communautés culturelles, la façon dont la musique est transmise par les réseaux sociaux et médiatiques, l'importance de la résurgence des musiques et l'impact de nouveaux contextes sur le style et la signification de la musique. Les questions identitaires sont également fondamentales : comment utilise-t-on la musique pour représenter l'ethnoculture, l'âge ou le sexe d'un groupe social et comment l'interprétation devient-elle un lieu de négociation de l'identité? La complexité des cultures musicales urbaines hybrides est particulièrement étudiée à Toronto et à Montréal où des thèmes tels que les festivals Caribana ou chinois retiennent l'attention des musicologues. Dans les années 1980, les musicologues commencent à considérer l'impact des stratégies internationales de marché, particulièrement le créneau commercial de l'industrie généralement appelée « musique du monde », l'effet de la concurrence sur les traditions musicales, les changements apportés par les nouvelles technologies à la création et à la réception de la musique ainsi que la continuité entre ce qu'on appelle « musique traditionnelle » et « culture populaire ». Au Canada comme ailleurs, un nombre croissant d'ethnomusicologues travaillent également dans le secteur public, par exemple en tant que conseillers sur les politiques culturelles ou l'élaboration des programmes d'étude, ainsi que dans les industries du cinéma et du disque.
Voir aussi MUSIQUE FOLKLORIQUE CANADIENNE-ANGLAISE; MUSIQUE FOLKLORIQUE CANADIENNE-FRANÇAISE; MUSIQUE, HISTOIRE DE LA et MUSIQUE DU MONDE.