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Le concept d'État est large.

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Le concept d'État est large. Il comprend le gouvernement en tant que détenteur de l'autorité légitime sur un territoire, mais aussi la bureaucratie, le pouvoir judiciaire, les FORCES ARMÉES et la POLICE intérieure, les structures des assemblées législatives et de l'administration, les sociétés publiques, les organismes de réglementation ainsi que les organes d'influence idéologique comme les hautes structures de l'éducation et les médias de propriété publique. Le monopole de l'usage de la force sur un territoire donné constitue la caractéristique distinctive de l'État.

Le concept d'État a longtemps été jugé peu pertinent par les politicologues occidentaux (voir SCIENCES SOCIALES). Ce phénomène est attribuable en grande partie à la conception du « pluralisme libéral », qui a été prédominante pendant une vingtaine d'années après la Deuxième Guerre mondiale. D'après cette conception, les questions clés traditionnelles, surtout celles qui concernent l'État en tant que structure de pouvoir sur la société, ont été résolues dans les démocraties occidentales. Il était admis que le pouvoir dans la société était désormais concurrentiel, fragmenté et divisé entre presque tous les groupes sociaux, et que le « système politique » constituait un mécanisme neutre et impartial permettant de satisfaire ou d'harmoniser les demandes antagonistes.

Dans les années 70, l'État est devenu un concept fondamental des sciences sociales au Canada et ailleurs. Cette tendance s'explique par l'incapacité des conceptions « pluralistes » à justifier la croissance de la taille et du champ d'activité de l'État dans les sociétés capitalistes avancées entre la Deuxième Guerre mondiale et les années 60 ainsi qu'à expliquer la persistance de la domination de l'État sur la société dans les pays communistes. Un autre facteur tient au désir de comprendre le paradoxe de la dépendance dans les États du Tiers-Monde qui ont remplacé les anciens empires et leurs colonies. Ces États avaient tous les attributs officiels de la souveraineté et le pouvoir était fortement concentré aux mains de nouvelles élites politiques, mais ils restaient économiquement (et souvent politiquement) dépendants, surtout face au capitalisme américain et au pouvoir mondial des États-Unis. Ce problème s'avérait particulièrement pertinent au Canada, qui pouvait être considéré à ce titre comme une « riche colonie ».

Dans l'Europe médiévale, le concept d'État se rattachait au rang et au statut de la royauté et de la noblesse. L'État était considéré comme l'incarnation du pouvoir et de la souveraineté, mais pas d'une manière qui l'aurait distingué de l'organisation hiérarchique de la société féodale. Avec l'émergence du capitalisme, le concept d'État a pris un sens plus spécifiquement politique. Les relations sociales entre la classe des propriétaires et celle des non-propriétaires ont cessé d'être codifiées officiellement par l'État, qui s'est plutôt présenté comme l'unique classe politique et le garant de l'égalité juridique des personnes. La souveraineté et le pouvoir sont devenus des concepts strictement politiques, et les domaines du public et du privé se sont séparés de façon généralisée et officielle.

Les sciences sociales modernes se sont fondées sur une conscience grandissante de cette séparation qui s'est produite du XVIIe au XIXe siècle. Alors que la philosophie politique d'autrefois s'interrogeait sur ce qui constitue l'art de la politique, on a plutôt tenté de définir le rôle de l'État face à la société. Des traditions philosophiques diverses ont continué de fournir des réponses diverses. La tradition conservatrice, particulièrement forte au Canada, a gardé la conception médiévale de l'État comme incarnation des droits et obligations mutuelles de segments sociaux hiérarchisés. La tradition libérale a fluctué, décrivant l'État tantôt comme un mal nécessaire qui sert à la défense contre les ennemis extérieurs, à la protection des biens et à l'exécution des contrats dans une société de marché, mais contre lequel les libertés individuelles et la « société civile » autonome doivent être protégées, tantôt comme l'organisation sociale primordiale qui sert à favoriser l'épanouissement des personnes dans une société de marché. Selon la tradition socialiste, et surtout le MARXISME qui en constitue le ferment intellectuel, l'État est perçu comme le fruit de la division entre les classes sociales, qui a pour rôle de perpétuer les relations de classe et de modérer ou de réprimer les conflits entre les classes (voir CLASSES SOCIALES). Selon les anarchistes, l'État est la cause première de l'inégalité entre les hommes et de l'aliénation.

Une nouvelle théorie marxiste de l'État, élaborée pendant les années 70, a tenté d'expliquer le développement et la dynamique de certains genres d'États au milieu de certains genres de sociétés. Ses travaux les plus fructueux ont porté sur les États démocratiques libéraux des sociétés capitalistes avancées : la croissance de la taille de ces États et l'élargissement de leurs activités au XXe siècle n'y sont pas considérés comme un « socialisme occulte » plus ou moins défini, mais comme une partie intégrante du développement du capitalisme contemporain. L'État a réagi aux transformations sociales et aux crises économiques causées par le capitalisme en assumant une large part des risques d'entreprise et des coûts sociaux de la production au moyen de politiques et d'organismes qui réglementent et facilitent encore davantage l'accumulation du capital et qui institutionnalise la lutte des classes de façon à en garder la maîtrise.

La démocratie des États capitalistes n'a pas abouti au socialisme comme l'avaient craint ceux qui refusaient aux travailleurs le droit de voter et celui de former des syndicats. Elle n'a même pas mené au « pluralisme ». Cependant, elle a changé le rôle de l'État. La nouvelle théorie de l'État a examiné les relations entre État et structure des classes pour tenter de comprendre le lien entre la façade d'égalité politique de la démocratie libérale et l'inégalité socioéconomique persistante dans la société capitaliste. À cet égard, le concept de l' « autonomie relative de l'État » a été formulé pour nuancer la notion marxiste classique qui présente l'État comme le « conseil de direction de la bourgeoisie » et pour encourager la recherche sur la gamme complète des forces sociales représentées au sein de l'État et sur les compromis de toutes sortes que les classes dominantes imaginent afin de maintenir leur position dominante.

L'un des mérites des sciences sociales au Canada est d'avoir reconnu depuis longtemps que l'ampleur du rôle de l'État n'est pas contraire au développement de l'économie capitaliste au Canada. La tradition de l'ÉCONOMIE POLITIQUE souligne que, dans une économie dépendante et orientée sur les produits générateurs (ou staples) comme celle du Canada, l'État, à la fois par nécessité économique et en raison de ses liens étroits avec la classe capitaliste, met en place une grande partie de l'infrastructure technique et de la réglementation économique nécessaires pour assurer la viabilité du capitalisme. L'État tente de créer des conditions fiscales et monétaires favorables à la croissance économique. Il prend en charge les risques de production du secteur privé aux frais des contribuables par voie de subventions, de crédits et de fonds d'amortissement. Il joue un rôle vital dans le développement du marché du travail grâce à des politiques d'aménagement du territoire et d'immigration. Plus récemment, il s'est mis à assumer les coûts sociaux de la production au moyen notamment des services d'hygiène publique, de l'assurance-maladie, de l'assurance-emploi, des établissements d'enseignement. Très souvent, il a construit directement les infrastructures de développement économique (canaux, chemins de fer, aéroports, services publics) qui étaient trop coûteuses ou trop risquées pour l'entreprise privée.

L'élaboration de la nouvelle théorie de l'État au Canada a montré que les liens étroits entre les fonctionnaires et les capitalistes du secteur privé, bien qu'ils aient empêché qu'un ÉTAT PROVIDENCE soit organisé de façon aussi innovatrice et à aussi grande échelle que dans la Suède de l'après-guerre, sont loin d'entraver ce genre d'activités aussi fortement qu'aux États-Unis. La différence de l'État canadien à cet égard tient à une conscience de classe plus vive dans le mouvement syndical ainsi qu'à une tension créatrice pendant la période d'après-guerre entre les ordres provincial et fédéral de gouvernement, un fait qui peut s'expliquer par la vigueur des orientations sociales-démocrates des gouvernements formés par la Co-operative Commonwealth Federation en Saskatchewan et par les libéraux fédéraux et, plus tard, par les gouvernements libéraux et péquistes du Québec dans les années 60 et 70.

Cette tension exprime le caractère binational de la société canadienne, sa diversité géographique et culturelle ainsi que les disparités régionales sur le plan du développement économique. Toutefois, les mêmes facteurs contribuent aussi à maintenir l'autonomie relative de l'État par rapport à la classe capitaliste, car des segments régionaux de cette classe peuvent se servir de l'État provincial pour représenter leurs intérêts devant le gouvernement fédéral et d'autres capitalistes régionaux (voir GROUPE DE PRESSION).

Si on dit qu'un État démocrate libéral comme celui du Canada est en même temps un État capitaliste, il ne s'ensuit pas que les institutions du gouvernement parlementaire, la tenue régulière d'élections entre partis politiques opposés et la liberté d'association, de parole, de réunion et de presse ne représentent que de façon éphémère une très grande variété de forces sociales. Le degré d'autonomie relative de l'État par rapport aux pressions capitalistes immédiates, qu'elles soient intérieures ou internationales, ne peut être jugé de façon abstraite. On ne peut l'évaluer qu'au moyen d'analyses concrètes de l'équilibre des forces dans chaque circonstance. À cet égard, une restructuration majeure des activités de l'État a été de plus en plus apparente après les années 70. Au début, les idéologies du marché libre n'ont pas été aussi marquées au Canada qu'aux États-Unis ou en Grande-Bretagne dans le contexte de la résurgence des crises économiques et de la restructuration mondiale du capital et du travail qui en a résulté. Pourtant, l'élaboration des politiques de l'État canadien a quelque peu délaissé les principes de l'État providence et de la réglementation pour se rapprocher davantage des principes explicites du marché libre. Le LIBRE-ÉCHANGE avec les États-Unis est un aspect important de cette évolution, supprimant en partie la justification historique et matérielle d'une vaste intervention de l'État dans la mise en place de l'infrastructure et la coordination d'un espace économique spécifiquement canadien, quoique dépendant, au nord du 49e parallèle.

Ces faits nouveaux ne signifient pas forcément que la taille de l'État sera susceptible de diminuer au lieu d'augmenter, comme le laisse souvent entendre le langage politique à la mode. En réaction à la théorie de l'État formulée dans les années 70, un courant « institutionnaliste » insistait sur la capacité de certains États à résister aux tendances du marché mondial et aux pressions de la classe capitaliste. Cette tendance ne s'est pas concrétisée dans les faits. Les événements ont plutôt démontré que la théorie des années 70 avait raison de souligner à quel point l'État n'est que relativement autonome.

Cependant, la mondialisation du capitalisme n'a pas fait des États des intervenants négligeables. Elle a seulement provoqué une restructuration de leur rôle. La chute des régimes communistes, la transition de certains régimes capitalistes autoritaires vers la démocratie et la montée de nouveaux mouvements sociaux ont fait naître un discours qui souligne l'importance de l'autonomie de la « société civile » par rapport à l'État. Toutefois, la promotion très active des marchés libres par l'État a réduit l'autonomie de la société civile sous plusieurs aspects importants. C'est ainsi que l'État canadien a aboli les libertés syndicales dans le secteur public depuis une vingtaine d'années, ce qui a ravivé l'inquiétude de voir un État fort limiter les libertés démocratiques libérales en même temps qu'il favorise les libertés du marché.

Ces activités de contrainte ouverte de l'État canadien constituent en vérité l'un de ses aspects traditionnels. À ce chapitre, on a souvent mentionné le rôle historique de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) en vue d'étouffer les grèves et les protestations politiques radicales; la violation des droits de la personne et des libertés fondamentales en temps de guerre (p. ex. l'internement des Canadiens d'origine japonaise pendant la Deuxième Guerre mondiale); la discrimination à l'endroit des communistes pendant la guerre froide; et la suppression des libertés civiles pendant la crise felquiste de 1970. À cela s'ajoute, dans les années 70 et 80, la révélation des activités illégales menées par la GRC et, plus récemment, par le SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ, au cours d'opérations routinières de surveillance ou d'infiltration de partis politiques radicaux, de groupes pacifistes et de syndicats, opérations commandées par l'État.

Qui plus est, certaines de ces activités découlent des impératifs de la collaboration militaire étroite du Canada avec les États-Unis et de l'échange de renseignements de sécurité pour maintenir l'ordre politique mondial. Malgré l'inscription de la CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS dans la Loi constitutionnelle de 1982, il est loin d'être clair, d'après les dispositions de la charte elle-même ou d'après les tendances de la jurisprudence, que la nouvelle Constitution prévienne efficacement la croissance d'un État fort dans le contexte des pressions intérieures et internationales en faveur de la liberté du marché.

En cette fin du XXe siècle, la pertinence des questions classiques posées sur la nature de l'État depuis l'époque de la montée du capitalisme augmente au lieu de diminuer. Plus que jamais, il incombe aux Canadiens de déterminer le sens et la portée non seulement de la souveraineté de l'État, mais aussi des libertés individuelles et sociales au sein du capitalisme mondial.

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