Emily Murphy | l'Encyclopédie Canadienne

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Emily Murphy

Emily Murphy (nom de naissance Ferguson, nom de plume Janey Canuck), écrivaine, journaliste, juge, politicienne et réformatrice (née le 14 mars 1868 à Cookstown, en Ontario ; décédée le 27 octobre 1933 à Edmonton, en Alberta). Emily Murphy a été la première femme magistrate de l’Empire britannique. Elle a également été l’une des « Cinq femmes célèbres » à l’origine de l’affaire des femmes non reconnues civilement, campagne à l’origine de la reconnaissance des femmes en tant que « personnes » aux yeux de la loi britannique. Emily Murphy, féministe et suffragette passionnée souvent au cœur de la controverse, se décrivait elle-même comme une rebelle. Ses opinions sur l’immigration et l’eugénisme ont été critiquées comme étant racistes et élitistes. Elle a été nommée Personnalité d’importance historique nationale en 1958 et sénatrice honoraire en 2009.

Emily Murphy

En 1916, Emily Murphy est nommée magistrate de police à Edmonton, et devient ainsi la première femme magistrat de l'Empire britannique.

Famille

Emily Murphy est née dans une famille ontarienne bien en vue qui comptait plusieurs entrepreneurs, politiciens et juristes, dont deux juges de la Cour suprême. En 1830, son grand-père maternel, le politicien et propriétaire de journaux Ogle R. Gowan, fonde la première loge de l’ordre d’Orange au Canada. Emily Murphy grandit donc entourée de personnes d’influence dans les milieux juridique et politique.

Emily Murphy fréquente Bishop Strachan, une prestigieuse école privée anglicane pour filles à Toronto. C’est à cette époque qu’elle fait la connaissance de son futur époux, Arthur Murphy, alors étudiant en théologie. En 1903, Emily Murphy déménage dans l’Ouest canadien (à Swan River au Manitoba), avec son mari, désormais pasteur anglican et entrepreneur, et leurs deux filles. En 1907, la famille déménage à Edmonton, en Alberta.

Carrière d’écrivaine et militantisme

Emily Murphy collabore régulièrement à de nombreuses publications canadiennes en leur soumettant des critiques de livres et des articles, sous le nom de plume Janey Canuck. Elle publie quatre recueils de récits personnels qui connaîtront un succès fulgurant : The Impressions of Janey Canuck Abroad (1901), Janey Canuck in the West (1910), Open Trails (1912) et Seeds of Pine (1914).

Emily Murphy concilie avec brio vie familiale, écriture et activités de réforme touchant les droits des femmes et des enfants, y compris le droit des femmes à la propriété. Alors qu’elle voyage dans les zones rurales de l’Alberta, Emily Murphy rencontre une femme abandonnée par son mari ; en effet celui-ci a décidé de vendre la ferme familiale et de partir en ne lui laissant ni argent ni foyer. Légalement, la femme n’a aucun droit sur la propriété. Indignée, Emily Murphy lance sa campagne pour la protection des droits à la propriété des femmes. En 1915, l’Assemblée albertaine vote la Married Woman’s Home Protection Act (la « Loi sur la protection du domicile des femmes mariées »). Cette loi permet aux femmes de déposer une opposition pour empêcher la cession, l’hypothèque ou la location de leur domicile sans leur consentement. En 1917, cette loi est remplacée par la loi du douaire. (Voir aussi Douaire.) Cette mesure donne aux veuves le droit à un tiers des biens de leur époux.

Emily Murphy, en plus de son rôle de premier plan dans le mouvement des suffragettes, s’implique plusieurs années durant dans la direction du Canadian Women’s Press Club (assumant la présidence de 1913 à 1920), du Conseil national des femmes du Canada, de la Fédération des instituts féminins du Canada (assumant la première présidence à l’échelon national) et d’une vingtaine d’autres organismes professionnels et caritatifs.

Première femme juge au pays

La carrière d’Emily Murphy prend un tournant inattendu en mars 1916 lorsque les membres de l’Edmonton Local Council of Women, après avoir tenté d’assister au procès de femmes accusées de prostitution, se voient exclues de l’audience en raison de la nature des témoignages, jugée « inappropriée pour un auditoire mixte ». Outrée, Emily Murphy proteste auprès du procureur général de la province.

« Si les preuves ne peuvent être présentées devant un auditoire mixte, dit-elle, le gouvernement... [devra] former une cour spéciale présidée par des femmes pour la comparution d’autres femmes. » À sa grande surprise, le ministre accepte sa requête. Il lui propose même de présider la cour en question.

Emily Murphy accepte la proposition. En 1916, elle est nommée magistrate de police pour la Ville d’Edmonton, puis pour la province d’Alberta. Elle devient ainsi la première femme magistrate de l’Empire britannique. Appelée à rendre des décisions dans une série d’affaires de prostitution et d’infractions commises par des mineurs, elle livre un combat sans merci aux stupéfiants. En effet, elle les juge responsables d’une grande partie du crime organisé et de la victimisation des personnes sans défense.

The Black Candle (1922)

The Black Candle, un ouvrage tiré d’une série d’articles publiés par « Judge Murphy » en 1922 dans la revue Maclean’s, décrit de façon très détaillée le trafic de drogue et ses effets néfastes. Les propos contenus dans The Black Candle ont mené à l’adoption de nombreuses lois régissant le contrôle des stupéfiants, lois qui ne seront modifiées qu’à la fin des années 1960.

Dans son livre, Emily Murphy décrit l’implication des Chinois, des Assyriens, des Grecs et des « Nègres » dans le trafic de drogue. (Voir aussi Canadiens iraniens; Canadiens noirs.) À l’époque, les commentaires d’Emily Murphy ont probablement contribué à alimenter les inquiétudes croissantes entourant l’immigration dans l’Ouest du Canada, plus particulièrement celle en provenance de Chine. (Voir Taxe d’entrée imposée aux immigrants chinois au Canada.)

Dans les milieux universitaires, les opinions demeurent partagées quant à la position d’Emily Murphy en matière de race et d’immigration. En effet, à ceux qui la jugent raciste et impérialiste, d’autres rétorquent que son unique préoccupation était le trafic de drogue et que ses croyances, aussi discriminatoires puissent-elles nous sembler aujourd’hui, correspondaient au racisme généralisé de l’époque.


Affaire « personne »

Emily Murphy est surtout connue pour son implication dans le mouvement des suffragettes, plus particulièrement dans la célèbre affaire « personne ». Dès son entrée en fonction en tant que magistrate, elle se heurte à un milieu hostile, en raison de la Constitution de l’époque qui ne considère pas les femmes comme des personnes. Emily Murphy entreprend alors une lutte d’une décennie pour faire reconnaître les femmes civilement.

En août 1927, elle invite Henrietta Muir Edwards, Irene Parlby, Louise McKinney et Nellie McClung à une réunion chez elle à Edmonton. Emily Murphy a soigneusement rédigé une pétition à soumettre à la Cour suprême du Canada concernant l’interprétation du mot « personnes » dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (aujourd’hui appelé Loi constitutionnelle de 1867).

Emily Murphy et les autres signent la pétition. Comme la signature d’Edwards apparaît en premier, l’affaire est appelée Edwards c. le procureur général du Canada. La pétition demande à la Cour suprême si le mot « personnes » dans la section 24 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867 incluait les femmes. Si elle considérait les femmes comme des personnes, la Constitution permettrait alors la nomination d’une femme au Sénat.

Le 24 avril 1928, la Cour suprême a rendu son jugement et a rejeté la requête. Les femmes, d’abord appelées les « Cinq Albertaines », puis les « Cinq femmes célèbres », portent leur requête devant le Comité judiciaire du Conseil privé en Angleterre (la plus haute cour d’appel du Canada jusqu’en 1949).

Le 18 octobre 1929, après de longues délibérations, le Conseil privé annule la décision de la Cour suprême. Il conclut que « le mot “personnes” de l’article 24 inclut les femmes, et que les femmes peuvent être convoquées et devenir membres du Sénat du Canada ». Lord Sankey, qui rend le jugement au nom du Conseil privé dans ce qui est devenu l’affaire « personne », fait également remarquer que « l’exclusion des femmes de toutes les fonctions publiques est un vestige d’une époque plus barbare que la nôtre [...] et à ceux qui demandent pourquoi le mot [personnes] devrait inclure les femmes, la réponse évidente est pourquoi il ne le devrait pas ».

Suite à la décision du Conseil privé, les femmes ont pu être nommées au Sénat. Emily Murphy ne réalisera toutefois jamais son rêve de siéger au Sénat. Elle est emportée par le diabète à Edmonton en 1933. (Voir aussi Le triomphe célèbre d’Emily Murphy.)

Eugénisme

Comme d’autres membres du groupe « Cinq femmes célèbres », Emily Murphy est accusée d’élitisme et de racisme. Très impliquée dans les questions d’immigration, elle défend aussi ardemment le mouvement eugénique. L’eugénisme est un principe pseudoscientifique selon lequel la population humaine peut être améliorée grâce à un meilleur contrôle de la reproduction. Au tournant du 20e siècle, les idées eugéniques ne manquent pas d’appui au sein de l’élite canadienne. En effet, des hommes d’influence tels que J. S. Woodsworth, Tommy Douglas et le Dr Clarence Hincks font la promotion de l’eugénisme au début des années 1900. (Voir aussi Tommy Douglas et l’eugénisme.) Ils défendent l’eugénisme « positif », qui encourage la reproduction des membres « sains » de la société, et de l’eugénisme « négatif », qui décourage la procréation parmi les membres de la société considérés comme « malsains ». Selon les eugénistes, les « déficients mentaux » et les « faibles d’esprit », de par leur prédisposition à l’alcoolisme, à la promiscuité, à la maladie mentale, à la délinquance et aux comportements criminels, menacent l’équilibre moral du reste de la société. La propagation de telles idées engendre le soutien croissant de lois fondées sur l’eugénisme, notamment celles portant sur la stérilisation des « déficients ».

Comme de nombreuses autres pionnières du mouvement féministe, dont Nellie McClung, Emily Murphy exprime publiquement son appui à l’eugénisme négatif. Selon Jana Grekul, sociologue, elle voulait que tous sachent que les membres malsains de la population « dépasseront bientôt en nombre ceux que nous surnommons “élite”. Il y a donc raison de s’inquiéter que l’élite, vivant dans l’abondance et le luxe, devienne un jour une cible de choix pour tous les affamés, les anormaux, les criminels et les miséreux forcenés des générations à venir. »

Durant son mandat de juge, Emily Murphy a exercé une influence considérable en Alberta. En appuyant publiquement les politiques eugéniques, elle a vraisemblablement contribué à l’adoption de la Sexual Sterilization Act (loi sur la stérilisation sexuelle) de 1928 dans cette province. Encadrant la stérilisation involontaire des personnes considérées « déficientes mentales ». En pratique, un nombre disproportionné d’entre elles sont des femmes autochtones. (Voir aussi Stérilisation des femmes autochtones au Canada.) Cette loi est abrogée seulement en 1972. Tant que la loi est en vigueur, de milliers de personnes considérées « psychotiques » ou « déficientes mentales » ont subi une stérilisation forcée.

Patrimoine

Emily Murphy a été nommée personne d’importance historique nationale par le gouvernement du Canada en 1958. En octobre 2009, 80 ans après l’affaire « personne », le Sénat a voté pour reconnaître les Cinq femmes célèbres comme sénatrices honoraires. C’était la première fois que le Sénat leur accordait une telle distinction.

Voir aussi Mouvements de femmes au Canada; Condition féminine; Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada; Conseil du statut de la femme; Femmes et loi; Organisations féminines.

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