Danse classique indienne | l'Encyclopédie Canadienne

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Danse classique indienne

Il existe en Inde deux formes traditionnelles de danse : la danse solo, habituellement associée aux femmes, qui était souvent consacrée par un rituel ou présentée dans les cours royales ou devant les mécènes, et la danse théâtrale, interprétée par des groupes, souvent des hommes, et presque toujours axées sur la représentation de récits religieux.

Technique

Les traditions de la danse solo et de la danse théâtrale, utilisent deux formes d'expression artistique de base : le mime narratif, où les mouvements de danse reproduisent l’histoire qui est racontée, et le mouvement abstrait. Presque toutes les formes d'expression artistique traditionnelle en Inde tournent autour du récit. Dans le domaine de la performance, la transmission du sens et l'interprétation du texte (sâhitya) sont extrêmement importantes. Dans le cas de la danse théâtrale, les textes sont habituellement des adaptations populaires de récits religieux, alors que dans le cas de la danse traditionnelle solo, il s'agit d'œuvres érotiques pieuses, chargées d'émotion et consacrées aux divinités mâles. Les textes de ce type sont généralement réservés aux artistes de sexe féminin, et traitent des émotions et des désirs féminins. La représentation de ces textes par la danse et l'art dramatique, connue sous le nom de abhinaya (reporter), utilisent les expressions faciales (mukhaja bhava), que viennent appuyer les gestes mimétiques de la main (hasta-mudra).

Un contexte narratif accompagne presque toujours le mouvement abstrait (nritta). En tant qu'élément secondaire dans la plupart des genres de la danse théâtrale traditionnelle, le mouvement abstrait peut comporter des mouvements infimes des sourcils aussi bien que des mouvements impliquant tout le corps. Le nritta se caractérise habituellement par une utilisation du rythme (qui comporte souvent des jeux de percussions que recrée le danseur avec ses pieds) et le recours aux gestes de la main, qui ont une fonction purement esthétique.

Histoire des formes de danse classique indienne

Le kûtiyattam est probablement la seule forme de performance actuelle qui a lien direct avec les anciens styles théâtraux mentionnés à la fois dans les textes sanskrits et tamouls. On peut considérer le kûtiyattam, pratiqué dans l'État du Kerala, comme la danse théâtrale indienne par excellence. Cette forme décrit divers mythes présents dans les poèmes et les textes épiques traitant des mythes et de la cosmologie et appelés pûrana en sanskrit. Tous les acteurs appartiennent à la communauté de chakyar, et les prestations commencent tôt en soirée et durent plusieurs heures. Plus tard, la tradition kûtiyattam a donné le jour à d'autres formes jouées dans la langue locale malayâlam. Le kathâkali est peut-être la plus connue d'entre elles. Unissant l'abhinaya hautement stylisé du kûtiyattam à l'athlétisme de la gymnastique (kalari), cette forme sert aussi à interpréter des récits mythologiques sur le dieu Vishnu sous ses formes de Rama et de Krishna.

Bharatanatyam est le nom moderne que l'on donne à la forme d'art originaire du sud de l'Inde appelée anciennement sadir, chinnamelam ou dasiyattam. Ses origines remontent à la culture tamoule ancienne, dans laquelle les bardes féminins connus sous le nom de virali chantaient et dansaient en l'honneur du souverain de ce pays. Plus tard, les danseuses du temple appelées devadâsi venaient servir dans les temples, les cours royales et les maisons des riches propriétaires terriens. Les devadâsi avaient un statut élevé dans la société, car elles étaient considérées comme mariées à la divinité du temple dans lequel elles servaient. Leurs divers répertoires avaient une fonction religieuse, artistique et sociale, au temple, à la cour, et dans les maisons des propriétaires terriens, respectivement. Quatre frères vivant au dix-neuvième siècle (connus sous le nom de Quartet Tajanur) ont codifié le répertoire de la cour, et ont fait connaître la ville de Tanjanur dans l'État du Tamilnâdu pour ses activités dans les domaines de la danse et de la musique. Au cours de la période coloniale, le statut social quelque peu ambigu des devadâsi, célibataires, a jeté le discrédit sur cette forme d'art, à la fois aux yeux de l'élite victorienne régnante et de la classe moyenne indienne qui émergeait. Dans les années 1930, les membres de la caste des brahmanes, la plus haute caste en Inde, ont renouvelé le répertoire de cour des devadâsi auquel a été attribué le nom sanskrit de bharatanatyam. Des personnes qui n'appartenaient pas à la collectivité héréditaire ont pu accéder à ce répertoire.

Les traditions rituelles de la danse de la côte est de l'Inde trouvent leur pleine expression dans le rituel quotidien des devadâsi (danseuses du temple) de la ville de Purî, dans l'État d'Orissâ. Le mot mahari désigne localement les devadâsi en oriya. Les mahâri interprètent des danses dans le temple de Purî lors du rituel du midi dédié au dieu Jagannâtha (Vishnu). Aux alentours du 17e siècle, de jeunes garçons appelés les gotipua interprètent des danses, ce qui limite les mahâri aux gymnases et aux maisons des riches mécènes. Les mahâri et les gotipua échangent leurs techniques et leurs répertoires. La forme moderne connue sous le nom d'odissi est un mélange né de ces deux courants.

Les formes théâtrales populaires du nord de l'Inde, qui portent les divers noms de râma-lîlâ, râsa-lîlâ et nautanki, font leur apparition avec la montée de la piété (bhakti) dans la culture religieuse indienne, vers le 14e siècle. Des danseurs appelés kathâla racontent des histoires du dieu Vishnu sous ses formes de Rama et de Krishna. Plus tard, cette forme d'art se sécularise et développe un répertoire destiné à être interprété par des femmes dans les cours islamiques mogholes, afin de divertir de riches mécènes. La forme moderne, connue sous le nom de katthak, réunit le répertoire des traditions hindoue et islamique appelées respectivement bhakti et darbari.

Le manipurî, vient de l'État du Manipurî au nord-est de l'Inde, et est créé par le maharaja Bhagyachadra (1764-1789). Auparavant, les danses rituelles narratives appelées haraoba sont interprétées par des femmes, et les danses rythmées, ou cholom, par des hommes. La codification de la tradition par Bhagyachandra est basée sur des danses exécutées en l'honneur du dieu Krishna appelées râsa-lîlâ, et sur la technique complexe du bhangi parengs. Le manipurî moderne, renouvelé par l’écrivain bengali lauréat d’un prix Nobel, Rabindranath Tagore, combine ces trois types d'interprétation.

Kuchipudi est le nom d'un petit hameau situé à environ 20 kilomètres de la ville de Vijayawada dans l'État de l'Andra Pradesh, au sud-est. Les devadâsi (danseuses du temple) de l'Andra Pradesh sont appelées sani dans les documents écrits, un terme probablement dérivé du sanskrit svâmîni (servante de son seigneur). Dans l'Andra Pradesh médiéval, il existait à la fois un répertoire rituel interprété par ces femmes, et un répertoire de danse théâtrale exclusivement réservé aux hommes et interprété par les brahmanes (la plus haute caste), qui jouaient les rôles des deux sexes. La plus célèbre de cette dernière tradition a commencé au cours du 15e siècle, dans le village de Kuchipudi, où l'on accordait une importance particulière à la description du rôle prisé de la femme du dieu Krishna, Satyabhâmâ, qui devint à la fois le point central de la réflexion artistique et celui de la réflexion religieuse. Plus tard, dans leurs interprétations à l'extérieur du temple, les devadâsi ont appris cette forme d'art des brahmanes, et l'ont intégrée à leur répertoire de kacheri (exécuté en public ou devant la cour). La technique de Kuchipudi est similaire à celle du bhâratanatyam et de l'odissî, et elle a manifestement été influencée à la fois par la culture tamoule et par la culture oriyâ.

La danse indienne au Canada

L'un des grands problèmes soulevés par la transplantation de la danse indienne à l'étranger réside dans le fait que l'on perçoit cette dernière comme une danse folklorique ethnique. Les danseuses et danseurs indiens qui arrivent au Canada à la fin des années 1960 et au début des années 1970, parmi lesquels la danseuse de katthak, Rina Singha, et la danseuse de bharatanatyam/ odissî, Menaka Thakkar, toutes deux installées à Toronto, sont confrontés à ce problème dès leur arrivée. Elles soutiennent que la danse indienne ne peut être présentée dans le même programme que la danse folklorique irlandaise ou la danse folklorique ukrainienne (par exemple) pour des raisons esthétiques. Elles veulent que l'on reconnaisse le bharatanatyam et le katthak comme un grand art faisant partie de la même catégorie que le ballet et la danse moderne. Après des efforts soutenus et acharnés de leur part, la danse indienne est finalement reconnue comme un art classique par les conseils des arts et le public canadien en général. Depuis lors, plusieurs artistes qui se spécialisent dans des formes de danse comme la danse odissî (notamment Chitralekha, Ellora et Devraj Patnaik) et le manipurî (entre autres Sukalyan Bhattacharjee) ont fait du Canada leur foyer, et le nombre de danseuses de bharatanatyam et de katthak ne cesse d'augmenter au pays. Les compagnies de danse indienne, telles Sampradaya Dance Creations, compagnie de Lata Pada basée à Mississauga, et Kala Bharati, compagnie de Mamata Nakra, à Montréal, produisent des créations originales avec leurs étudiants. Également vers la fin des années 1960, la danseuse canadienne formée en Inde et professeure Anne-Marie Gaston, dont le nom de scène est Anjali, commence à donner des représentations de danse classique indienne dans tout le Canada, y compris au Centre national des arts.

En tant qu'artiste soliste, Menaka Thakkar reçoit une première aide financière du Conseil des arts du Canada en 1993, aide qui s'étend ensuite à sa compagnie. Cela marque clairement l'ascension de la danse indienne au Canada. La reconnaissance de la danse indienne comme un art authentique et l'augmentation du soutien du public pour cette forme artistique, tous deux attribuables aux efforts de Thakkar, attestent de la contribution inestimable de cette personne unique. La progression énergique de Thakkar vers le métissage culturel se reflète dans les efforts de sa sœur, Sudha Thakkar-Khandwani, qui crée l'organisme Kala Nidhi Fine Arts of Canada dans le but d'intégrer la danse traditionnelle et la danse moderne indiennes au courant artistique canadien. En 1993, Kala Nidhi Fine Arts présente un imposant festival international de danse, New Directions in Indian Dance, qui met l'accent sur l'exploration créative, non traditionnelle, dans la danse indienne.

L'ère de l'expression contemporaine des genres appartenant à la danse traditionnelle fait son apparition dans le travail de Thakkar à la fin des années 1980 et dans les années 1990. Depuis lors, des formes radicalement métissées sont créées grâce à la collaboration d'artistes de danse indienne et de danseurs canadiens appartenant au mouvement de la danse moderne. Par exemple, Hari Krishnan, de Toronto, un chef de file respecté du bharatanatyam traditionnel, est aussi un artiste reconnu sur la scène canadienne pour ses interprétations de danse moderne. Formé intensivement en danse moderne, son travail reflète un surréalisme cérébral, postmoderne. En même temps, ses interprétations de bharatanatyam traditionnel conservent les dernières réminiscences du temple et de la cour qui sont propres à ce style, et elles sont marquées par l'interprétation des compositions classiques qu'il continue à revivifier et à documenter intensivement. Cette tendance à rester proche des formes traditionnelles tout en créant des compositions de danse contemporaine est caractéristique de beaucoup d'artistes de danse indienne au Canada. D'un côté, ils sont perçus comme des représentants de formes d'art traditionnelles, et l'on s'attend à ce qu'ils transmettent la culture, mais d'un autre côté ils investissent leur énergie créatrice dans la formulation d'un vocabulaire de danse composite, transculturel. D'autres danseurs qui ont d'abord été formés en danse khattak, comme Deepti Gupta, installé à Ottawa, explorent le vocabulaire du mouvement indien alternatif tel le cho qui vient du nord-est de l'Inde. (Voir aussi Danse fusion.)