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Cour suprême du Canada

La Cour suprême du Canada est le plus haut tribunal du système judiciaire canadien. Elle a l’autorité sur les lois fédérales et provinciales. Fondée en 1875, la Cour a d’abord été soumise à la décision du comité judiciaire du Conseil privé en Grande-Bretagne. La Cour suprême a maintenant le dernier mot judiciaire sur les questions juridiques et sociales au Canada depuis 1949. La Cour suprême est composée de neuf juges, dont le juge en chef actuel du Canada, Richard Wagner. Au moins trois juges doivent être du Québec. Tous les juges sont nommés par le premier ministre et par le gouverneur en conseil (le gouverneur général et le Cabinet).

Cour suprême du Canada

Juges actuels de la Cour suprême du Canada

Juge

Date de nomination

Région

Richard Wagner (juge en chef)

5 octobre 2012

Québec

Andromache Karakatsanis

14 novembre 2011

Ontario

Suzanne Côté

1er décembre 2014

Québec

Malcolm Rowe

28 octobre 2016

Terre-Neuve-et-Labrador

Sheilah L. Martin

18 décembre 2017

Ouest canadien

Nicholas Kasirer

16 septembre 2019

Québec

Mahmud Jamal

1er juillet 2021

Ontario

Michelle O’Bonsawin

1er septembre 2022

Ontario

Mary T. Moreau

6 novembre 2023

Alberta


Système de précédents et d’appels

La Cour suprême du Canada est l’arbitre final du droit dans un système judiciaire basé principalement sur la common law (recourant aux précédents jurisprudentiels) et sur le respect de la règle du stare decisis. Il s’agit de l’idée voulant que les cours d’appel puissent modifier ou annuler les décisions des tribunaux inférieurs afin d’assurer l’application uniforme de la loi. Les jugements de la Cour suprême sont appelés décisions d’appels. Ils fixent l’avenir pour les tribunaux inférieurs. Ce principe du maintien des jugements antérieurs est au cœur du système de la magistrature.

1867-1875 : création de la Cour

La Cour suprême est établie à peine une décennie après la Confédération. L’Acte de l’Amérique du Nord britannique (maintenant appelé Loi constitutionnelle de 1867) comprend une disposition qui permet au Parlement d’établir une « Cour générale d’appel pour le Canada ». Cependant, l’idée suscite de vifs débats chez les politiciens canadiens.

En 1869 et 1870, les tentatives du gouvernement conservateur du premier ministre John A. Macdonald de créer une cour d’appel générale se heurtent à l’opposition de nombreux députés libéraux et conservateurs. Certains d’entre eux redoutent que le nouveau tribunal ne puisse porter atteinte aux droits des provinces. De nombreuses personnes croient que le gouvernement de John A. Macdonald pourrait compromettre l’impartialité de la cour en nommant des juges qui pencheraient en faveur des droits fédéraux plus forts.

Finalement, le 8 avril 1875, le gouvernement libéral du premier ministre Alexander Mackenzie persuade le Parlement d’adopter un projet de loi établissant la Cour suprême. Alexander Mackenzie soutient qu’elle est nécessaire pour uniformiser le droit canadien et fournir des interprétations constitutionnelles sur des questions qui auraient un impact sur l’évolution du nouveau pays. Après sa création, les décisions de la Cour suprême peuvent encore faire l’objet d’un appel pour une interprétation finale devant le comité judiciaire du Conseil privé en Grande-Bretagne.

Alexander Mackenzie

Emplacement de la Cour

Initialement, la Cour se trouve dans la Salle du comité des chemins de fer des bâtiments du Parlement. Elle occupe ensuite une série d’autres locaux d’Ottawa. Elle déménage éventuellement dans son édifice permanent sur la rue Wellington, à deux pâtés de maisons de la Colline du Parlement, en 1946.

1875-1949 : Comité judiciaire du Conseil privé

L’histoire de la Cour suprême peut être divisée en trois périodes. Durant la première d’entre elles, la majorité des cas constitutionnels importants étudiés par la Cour sont liés aux questions de répartition des pouvoirs entre Ottawa et les provinces. De nombreuses décisions sont portées en appel à Londres, où le comité judiciaire du Conseil privé établit un certain équilibre entre les responsabilités fédérales et provinciales. Cependant, le travail du comité judiciaire est compliqué par son inexpérience à traiter des questions concernant un État fédéré comme le Canada, plutôt que l’État unitaire britannique. (Voir aussi Le fédéralisme au Canada.)

Les critiques du comité judiciaire font valoir que ses jugements favorisent les provinces et constituent des manipulations juridiques. La Cour suprême a également tendance à interpréter la Loi constitutionnelle de 1867 de manière très littérale. Le comité judiciaire a tendance, au contraire, à tenir compte des considérations sociopolitiques.

comite-judiciaire-du-conseil-prive

1949-1982 : Déclaration des droits et rapatriement

Les appels au comité judiciaire du Conseil privé pour les affaires pénales sont supprimés en 1933, et pour les affaires civiles en 1949. Pendant ce temps, la Cour suprême fait face à des questions de plus en plus controversées au sujet des libertés religieuses, des procédures policières et de la censure. Cependant, elle ne dispose que de peu d’outils, comme la jurisprudence ou les statuts législatifs, pour guider ses décisions.

En 1960, le gouvernement de John Diefenbaker tente de remédier à cette lacune en adoptant la Déclaration canadienne des droits. Celle-ci encourage la magistrature à examiner la législation à la lumière de diverses garanties en matière de droits de la personne. La Cour suprême donne à la Déclaration canadienne des droits une interprétation large dans certaines des premières affaires. Toutefois, les juges abandonnent rapidement la promesse de la Déclaration. Bien que cette loi est adoptée par le Parlement, elle n’a pas l’autorité suprême d’être inscrite dans la Constitution.

Les juristes, y compris Pierre Elliot Trudeau qui est ministre de la Justice à l’époque, reconnaissent que la Cour ne peut modifier ou abroger des lois qu’en vertu de droits de la personne qui sont de nature constitutionnelle. Par conséquent, en 1981, le gouvernement du premier ministre Pierre Elliot Trudeau demande à la Cour suprême de se prononcer sur une affaire de référence capitale, à savoir si Ottawa peut agir seul pour amender la Constitution et la rapatrier de la Grande-Bretagne. Sept des neuf juges soutiennent que le Parlement a le droit légal d’agir unilatéralement. Mais sur une deuxième question, une majorité de six juges sur trois estime qu’une action fédérale unilatérale, sans soutien provincial substantiel pour un changement constitutionnel, irait néanmoins à l’encontre d’une convention de longue date.

À la suite d’une série de négociations et de machinations avec les provinces, la Constitution est rapatriée. La Charte canadienne des droits et libertés est ajoutée, inscrivant certains droits de la personne dans la Constitution. Elle change à jamais le visage des décisions des tribunaux canadiens, ou de la jurisprudence.

Rapatriement de la Constitution

De 1982 à aujourd’hui : Charte des droits et libertés

La Charte des droits et libertés entre en vigueur le 17 avril 1982. Dès lors, tous les yeux se tournent vers les affaires jugées devant les tribunaux inférieurs, puisqu’elles sont de plus en plus portées en appel devant la Cour suprême.

Les juges de la Cour suprême se mettent tout de suite à l’œuvre pour utiliser la Charte, un nouvel outil judiciaire puissant, afin de moderniser le droit pénal et de donner de larges interprétations des droits de la personne. Les garanties de la Charte en matière de droits démocratiques, de libertés fondamentales et de garanties contre la discrimination confèrent à la Cour suprême de nouveaux pouvoirs considérables. Ceci change à la fois le rôle de la Cour dans le processus politique et la perception qu’en a le public.

Charte canadienne des droits et libertés

Composition et fonction de la Cour

La Cour suprême est composée d’un juge en chef et de huit autres juges. Ils sont tous nommés par le gouverneur en conseil (le gouverneur général, conseillé par le cabinet fédéral). Les membres peuvent être choisis parmi les juges des cours provinciales supérieures ou parmi les avocats qui sont membres d’un barreau provincial depuis au moins dix ans.

La Loi sur la Cour suprême stipule qu’au moins trois des juges doivent venir du Québec. Cette disposition est justifiée en grande partie par la spécificité du Code civil distinct de cette province. Les juges d’autres provinces n’ont généralement pas d’expérience avec ce Code civil et ils sont donc mal placés pour entendre les appels sur des jugements du Québec. Traditionnellement, l’un des juges du Québec provient du Barreau de Montréal et un autre est membre de celui de la ville de Québec.

Trois des neuf juges proviennent invariablement de l’Ontario, un de la région de l’Atlantique et deux des provinces de l’ouest. Ces considérations géographiques sont respectées depuis si longtemps qu’elles sont considérées comme étant quasiment inébranlables. Il existe également une attente moins rigide selon laquelle le Canada atlantique et les Prairies verront, dans la mesure du possible, leur « siège » à la Cour réparti entre les provinces de ces régions.

La plupart des juges de la Cour suprême proviennent d’une cour d’appel provinciale. Ils sont censés avoir siégé en appel, avoir appris l’art de travailler dans un environnement collégial et avoir pris des décisions par groupes de trois.

L’éventail des années d’expérience des juges en cour est un critère important dans leur sélection. Il est nécessaire d’avoir un mélange de juges qui possèdent une expertise en droit pénal, en droit civil et en droit des sociétés. Il est fréquent qu’un ou plusieurs juges aient été professeurs de droit avant leur nomination. De plus, il y a généralement un juge qui est directement issu des rangs des avocats en exercice. On estime ainsi que les préoccupations quotidiennes et les connaissances juridiques de base des avocats en exercice sont représentées. On considère également qu’il est important de compter au moins un juge ayant déjà exercé les fonctions d’avocat en droit criminel, étant donné qu’une proportion importante des appels entendus par la Cour sont de nature criminelle.

Les gouvernements essaient généralement de s’assurer que les juges nommés sont bilingues. Toutefois, il s’agit d’une aspiration plutôt que d’une obligation. Dans certaines régions, l’exigence du bilinguisme réduirait considérablement le nombre de candidats qualifiés. La question du bilinguisme fait l’objet d’un débat vigoureux en 2011, après la nomination du juge Michael Moldaver, un juriste anglophone de l’Ontario très qualifié. Bien des observateurs estiment que le bilinguisme est en passe de devenir une condition indispensable à une nomination à la Cour suprême.

Les juges ne peuvent occuper aucun autre poste salarié lorsqu’ils siègent à la Cour suprême. Ils doivent également vivre dans un rayon de 40 km d’Ottawa. Ils peuvent rester en fonction jusqu’à l’âge de retraite obligatoire, qui est de 75 ans. Malgré cela, il est devenu courant pour des juges de prendre leur retraite plus tôt et de retourner travailler en cabinet privé.

La Cour suprême est créée en 1875 en vertu de la Loi sur la Cour suprême, une loi fédérale. Cependant, la Loi constitutionnelle de 1982 constitutionnalise essentiellement la Cour en prévoyant que toute modification ne peut être apportée que par un amendement constitutionnel formel. À partir de 1982, toute modification de la composition de la Cour exige le consentement du Sénat, de la Chambre des communes et de l’Assemblée législative de chaque province. Les autres modifications apportées à la Cour exigent le consentement du Sénat et de la Chambre des communes ainsi que des assemblées législatives des deux tiers des provinces (sept provinces), avec au moins 50 % de la population du Canada.

La Cour se réunit en janvier, en avril et en octobre pour des séances qui durent trois mois. Cinq juges constituent un quorum (le nombre minimum requis pour délibérer et prononcer un jugement). Mais la plupart des appels, en particulier les affaires constitutionnelles, sont entendus par les neuf juges.

Cour suprême du Canada

Rôle de la Cour

En vertu de la Loi sur la Cour suprême, la Cour ne fait pas que prononcer des jugements. Elle conseille également les gouvernements fédéral et provinciaux sur des questions importantes de droit ou de fait concernant l’interprétation de la Constitution. Elle rend également des jugements et des avis sur la constitutionnalité ou l’interprétation de la législation fédérale ou provinciale, ou sur les pouvoirs du Parlement et des assemblées législatives provinciales. La plus célèbre et probablement la plus importante de ces opinions concernent la décision du rapatriement constitutionnel en 1981. En 1998, la Cour rend également une décision importante sur le droit d’une province de se séparer du Canada (Renvoi relatif à la sécession du Québec).

La Cour suprême fonctionne comme une cour générale d’appel pour les affaires criminelles. En théorie, tout citoyen peut comparaître devant la Cour suprême pour plaider sa propre cause, mais ces cas sont rares. Dans les affaires criminelles, la Cour entend les appels si un acquittement (un verdict de non-culpabilité) est annulé ou si une cour d’appel provinciale a rendu un jugement dissident sur une question de droit. Un verdict de culpabilité dans une affaire de meurtre au premier degré peut être automatiquement porté devant la Cour suprême. Dans le cas d’autres affaires criminelles, si la Cour autorise initialement à interjeter appel, elle peut également entendre des appels en matière de condamnations sommaires ou d’actes criminels.

Dans les affaires civiles, les appels ne peuvent être présentés qu’avec l’autorisation préalable de la Cour, que l’on appelle l’autorisation à interjeter appel. L’autorisation est accordée lorsque la Cour estime que l’affaire comporte une question d’importance pour le public, une question importante de droit, ou une question mixte de droit et de fait qui doit être tranchée par le tribunal dans l’intérêt national.

Le tribunal entend de 70 à 90 appels par année. Ils sont sélectionnés parmi des centaines de demandes. Les demandes sont examinées par des groupes de trois juges dans le cadre d’un processus complexe. Ceci permet à des juges individuels de plaider en faveur d’un appel s’ils décident de manifester leur intérêt.

Décisions orales et écrites

Dans environ une cause sur quatre, la Cour suprême rend sa décision oralement dès la fin des plaidoiries. Le plus souvent, la Cour réserve sa décision et la rend par écrit, en moyenne six mois plus tard. Les décisions écrites fournissent des indications essentielles aux juridictions inférieures et aux avocats en expliquant le raisonnement de la Cour. Ce raisonnement peut élargir ou restreindre l’interprétation des lois existantes, ce qui crée des précédents que les juridictions inférieures sont obligées de respecter.

Dans les cas où la Cour suprême choisit de rendre une décision écrite, les juges se réunissent après avoir entendu les arguments des parties afin de comparer leurs opinions initiales. Un juge est alors choisi par le juge en chef pour rédiger les motifs de la majorité. Si un ou plusieurs juges expriment une opinion dissidente lors de la réunion, les motifs de dissidence de la minorité sont rédigés et publiés parallèlement à l’opinion de la majorité. La possibilité d’exprimer sa dissidence est un aspect important du système puisqu’elle permet de révéler les tendances au sein de la Cour. Les opinions de la minorité peuvent également servir de modèle pour les décisions futures si la Cour est appelée à examiner des arguments ou des principes semblables.

Les règles de procédure garantissent que les parties (les parties opposées dans une affaire donnée) fournissent à la Cour un dossier, ou un compte rendu écrit, présentant les détails de tout ce qui s’est passé dans les tribunaux de première instance et en appel (dans une cour d’appel provinciale ou fédérale), y compris tous les principaux documents de procédures et les transcriptions. De plus, les parties doivent présenter un mémoire présentant un résumé des faits relatifs à l’affaire, les points en litige, les raisons pour lesquelles l’affaire est débattue, et leurs conclusions.

La Cour et la Constitution

La question controversée de savoir si les tribunaux doivent interpréter la loi et la Constitution au sens littéral ou s’ils doivent également tenir compte du contexte social, politique et économique, devient d’une importance capitale après l’entrée en vigueur de la Charte des droits et libertés en 1982. La Charte devient en grande partie ce que la Cour suprême choisit d’en faire. Ce faisant, le nouveau rôle de la Cour suprême, avec ses dimensions sociales et politiques, modifie considérablement la manière dont les Canadiens la perçoivent.

En conséquence, la réforme de la méthode de nomination des juges ainsi que la composition et la méthodologie de la Cour est un sujet d’importance constante. On s’attend à ce que la Cour s’efforce de refléter les traits dominants de la société canadienne, comme le régionalisme, le dualisme et le multiculturalisme.

Afin d’apaiser les inquiétudes concernant de possibles abus de pouvoir des tribunaux (par le biais de l’interprétation de la Charte), les rédacteurs de la Charte incluent une clause nonobstant dans cette dernière. Ceci permet à une législature provinciale ou au Parlement de rejeter une décision de tribunal et de rétablir une loi ou un règlement contesté et considéré comme contraire à certains des articles de la Charte.

En pratique, la clause nonobstant (article 33 de la Charte) est utilisée avec parcimonie. L’exemple le plus marquant de son utilisation est l’application générale qu’en fait le Québec dans les années 1980 afin de soustraire ses lois à l’examen de la Charte. La province conteste la manière dont la Constitution a été rapatriée, sans le consentement du gouvernement du Québec. (Voir aussi Rapatriement : La canadianisation de la Constitution.) Toute utilisation de la clause nonobstant exige qu’elle soit renouvelée après cinq ans. Le Québec cesse de renouveler la clause après plusieurs années, s’alignant ainsi sur le reste du pays.

La statue Justitia

Débat sur l’activisme judiciaire

Les limites du pouvoir judiciaire font l’objet de débats féroces aux États-Unis depuis des générations. Au Canada, il n’y a que peu de traces de ce débat avant l’ère de la Charte des droits et libertés. Le profil bas de la magistrature canadienne signifie qu’elle n’est généralement pas soumise à un examen minutieux et à la critique. Les juges sont perçus comme des arbitres impartiaux qui laissent derrière eux leurs opinions personnelles dès leur nomination et qui se contentent d’interpréter la loi sur la base des précédents.

Cependant, à partir du moment où les juges commencent à invalider des lois au motif qu’elles violent les droits garantis par la Charte, une lutte commence contre le prétendu « activisme judiciaire ». L’attaque est menée par le Parti réformiste du Canada, le journal National Post et d’autres organes de presse aux valeurs conservatrices, des groupes de défenses des droits comme le Fraser Institute et une cohorte d’universitaires spécialisés dans le droit venant principalement de l’Université de Calgary.

Le conflit sur l’activisme se prolonge tout au long des années 1990, alors que la Cour suprême rend un après l’autre des jugements qui modifient ou abrogent des lois inconstitutionnelles. Au sein même de la Cour, les juges dits activistes, comme le juge en chef Antonio Lamer et les juges Bertha Wilson et Louise Arbour, ont des différends avec les juges conservateurs, dont William McIntyre et Gérard La Forest. Parallèlement, une faction connue sous le nom de « Gang of Five » (les juges Antonio Lamer, John Sopinka, Jack Major, Peter Cory et Frank Iacobucci) émerge. Elle utilise la Charte pour réformer des domaines clés du droit pénal.

Selon certains critiques, les juges n’ont pas à annuler ou modifier les lois adoptées par des représentants élus. Les tensions tournent autour de la question à savoir si les tribunaux peuvent obliger les gouvernements à verser des indemnités et payer les frais de justice aux victimes apparentes d’une violation de la Charte, et si les juges peuvent ordonner aux gouvernements de prendre des mesures proactives et potentiellement coûteuses pour remédier à une violation de la Charte. L’opposition aux juges activistes atteint son paroxysme pendant les neuf années du gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper.

Les opposants à l’activisme judiciaire exhortent les gouvernements à utiliser la clause nonobstant (article 33 de la Charte) pour rétablir les législations qui ont été invalidées. Ces tentatives sont cependant infructueuses, peut-être en raison de sondages révélant la popularité de la Charte. Par exemple, une étude menée en 1999 par l’Institut de recherche en politiques publiques révèle qu’environ 60 % des Canadiens préfèrent que les tribunaux aient le dernier mot dans les cas où une loi viole la Charte. Seulement 30 % déclarent préférer que les assemblées législatives aient le dernier mot. En 2015, le Angus Reid Institute constate que 84 % des Canadiens sont d’accord pour dire que « la Charte a été bénéfique pour le Canada depuis son adoption en 1982 » et que 74 % des Canadiens ont une opinion favorable de la Cour.

Suite à la nomination de Beverley McLachlin comme juge en chef en 2000, la prise de décision activiste semble avoir diminué et avoir laissé place à un tribunal plus prudent et déférent. Cette approche est consolidée lorsque le premier ministre Stephen Harper nomme huit membres de la Cour suprême, dont la plupart ne sont pas enclins à l’activisme.

Comment les juges sont-ils nommés?

Pendant la majeure partie de l’existence de la Cour suprême, le processus de nomination de ses juges est enveloppé de mystère. Lorsqu’un juge de la Cour suprême est nommé ou prend sa retraite, l’événement est à peine mentionné dans les médias. De nouveaux juges sont discrètement sélectionnés par le gouvernement fédéral en fonction des considérations privées du premier ministre, du ministre de la Justice et du Cabinet fédéral. Les seuls critères qui semblent jouer un rôle constant dans les nominations sont les considérations géographiques et la question de savoir, comme le croient de nombreux juristes, si les candidats penchent en faveur de la primauté des intérêts fédéraux sur les intérêts provinciaux dans les différends relatifs à la répartition des pouvoirs.

À partir de 1982, la Charte des droits et libertés engendre un changement radical dans la couverture médiatique et l’intérêt politique. Le processus de nomination fait l’objet d’un examen beaucoup plus approfondi et il est donc plus controversé. Au 21e siècle, le processus est ajusté et réajusté à plusieurs reprises en réponse aux demandes visant à le rendre plus transparent et à soumettre les candidats à une certaine forme d’examen public.

Les antécédents, les tendances idéologiques et le sexe des candidats font désormais l’objet de débats intenses. Des groupes de lobbyistes se prononcent publiquement dans le but de tenter d’influencer le processus de nomination. Cette flambée d’intérêt est généralement perçue comme un développement sain, compte tenu de l’immense importance des affaires qui parviennent à la Cour. En même temps, certains observateurs craignent qu’à mesure que les nominations deviennent plus politisées, les gouvernements se plient aux exigences de leurs partisans politiques en nommant des juges qui partagent leur point de vue idéologique à l’égard des enjeux de l’heure.

Nominations notables

En 1970, Bora Laskin devient le premier juge juif nommé à la Cour suprême. Il est nommé juge en chef en 1973. Bertha Wilson, nommée en 1982, est la première femme de la Cour suprême. Plusieurs autres femmes suivent, y compris Beverley McLachlin, qui en 2000 devient la première femme juge en chef du Canada. Mahmud Jamal, qui commence à siéger à la Cour le 1er juillet 2021, est la première personne racialisée et le premier Canadien d’origine sud-asiatique à être nommé. Michelle O’Bonsawin, la première juge autochtone à siéger à la Cour, prend ses fonctions le 1er septembre 2022.

Réformes du processus de nomination

Dans les années 1990, à mesure qu’augmente la pression en faveur d’un processus de nomination plus transparent et intégrant une certaine forme d’examen public des candidats, les dirigeants politiques réalisent qu’un changement au statu quo s’impose. En 2005, sous le premier ministre de l’époque Paul Martin, un comité est mis sur pied pour compiler une courte liste de candidats solides pour pourvoir un poste vacant à la Cour suprême. Le comité comprend des députés des principaux partis politiques et un juge à la retraite, entre autres. Le premier ministre et le ministre de la Justice acceptent de sélectionner un nom à partir de cette liste et d’annoncer la candidature.

En 2006, le premier ministre Stephen Harper introduit ce qui est en fait des séances pour « briser la glace » entre une personne candidate à la Cour suprême et un comité parlementaire. Ces séances comportent à présent des questions respectueuses de la part des députés, et des réponses généralement sans intérêt de la part des candidats. L’établissement de ces séances vise à apaiser les critiques des deux extrêmes : ceux qui souhaitent que le Canada adopte un processus de confirmation à l’américaine qui expose les candidats à un examen partisan, et ceux qui craignent qu’une séance partisane ne dérape et ne mette les candidats dans l’embarras sur le plan personnel.

Le processus de nomination demeure un travail en cours. Il est souvent marqué par de longs retards et des modifications mineures. À une occasion, le processus de sélection public d’un candidat a été complètement ignoré. Dans ce cas, le juge Thomas Cromwell est nommé par Stephen Harper en décembre 2008. Il n’y a pas de séance de questions-réponses au Parlement, parce que Stephen Harper estime que la Cour doit retrouver son effectif complet de juges le plus rapidement possible.

Juges en chef à l’ère de la Charte

L’humeur, l’apparence extérieure et la dynamique interne de la Cour suprême dépendent dans une large mesure de la personnalité et des priorités de son juge en chef. Les quatre juges en chef de l’époque de la Charte des droits et libertés ont chacun exercé une influence omniprésente et tout à fait distincte sur la jurisprudence et les juges qu’ils ont dirigés.

Brian Dickson

Le juge en chef Brian Dickson, un ancien combattant qui a perdu une jambe lors de la Deuxième Guerre mondiale, est un juriste flegmatique des Prairies. Il est nommé juge à la Cour le 26 mars1973. Il devient juge en chef le 18 avril 1984. Brian Dickson est ouvert à une interprétation étendue et libérale de la Charte. Il ressent le besoin de développer des éléments d’interprétation de la Charte qui pourraient être utilisés par les générations futures.

Austère et digne, Brian Dickson est un écrivain naturel. Il rédige certains des premiers arrêts fondamentaux de la Cour dans les années suivant l’adoption de la Charte. Ses écrits juridiques sont marqués par la compassion. Il est particulièrement sensible à la discrimination fondée sur le sexe et à l’égalité des femmes. Alors qu’il fait un discours lors d’une cérémonie de remise des diplômes à l’Université de Toronto en 1986, il résume ainsi sa conviction : « Pour qu’un juge parvienne à des décisions qui se conforment à la justice et à l’équité, il ou elle doit être guidé·e par une conscience et un souci permanents du sort des autres et de la condition humaine. » Brian Dickson quitte ses fonctions de juge en chef le 30 juin 1990.

Antonio Lamer

Le successeur de Brian Dickson, Antonio Lamer, devient juge en chef le 1er juillet 1990. Antonio Lamer a une formation en droit criminel et une orientation non dissimulée pour la défense et l’affirmation des droits des accusés criminels. Membre de longue date du Barreau de Montréal, Antonio Lamer dirige plus tard la Commission de réforme du droit du Canada. Cette commission recommande régulièrement des changements importants dans de vastes domaines du droit. Nommé à la Cour suprême le 28 mars 1980, Antonio Lamer joue un rôle déterminant dans la mise en place de réformes qu’il a préconisées à la Commission de réforme du droit.

Connu pour sa candeur auprès des médias et du public, Antonio Lamer attaque ouvertement les critiques de la Cour, estimant qu’ils érodent la confiance envers le pouvoir judiciaire. Il estime que le Parlement a adopté la Charte en sachant que les juges interpréteraient les droits fondamentaux au meilleur de leurs connaissances. Les critiques réagissent mal à ce qu’ils perçoivent comme l’attitude antagoniste d’Antonio Lamer, qui alimente la réaction de plus en plus forte contre la réinterprétation de la Charte.

Sous la direction de Bora Laskin, juge en chef de 1973 à 1984, et de Brian Dickson, la Cour est relativement unie. Cependant, sous Antonio Lamer, elle est de plus en plus divisée. Non seulement les opinions dissidentes deviennent monnaie courante, mais les juges de la majorité rédigent souvent leurs propres motifs qui, bien qu’arrivant à la même conclusion, dénotent un raisonnement légal différent. Ces concordances sèment la confusion et nuisent à l’autorité d’une décision unique et majoritaire.

Antonio Lamer prend sa retraite en janvier 2000. Plus tard, il apparaît qu’un groupe de juges l’a pressé d’envisager la retraite, après qu’il ait commencé à perdre son emprise et son influence sur la Cour.

Antonio Lamer

Beverley McLachlin

Beverley McLachlin prend la relève en tant que juge en chef le 7 janvier 2000. Elle est déterminée à redonner à la Cour un sens d’efficacité et d’intérêt commun. Elle s’adapte rapidement aux rigueurs de la direction d’une Cour résolument indépendante composée de neuf juges. En même temps, elle préside le Conseil canadien de la magistrature, un puissant organisme composé des principaux juges de tous les tribunaux nommés par le gouvernement fédéral à travers le pays.

Beverly McLachlin est la première femme juge en chef, et en 2013, elle devient également la juge en chef ayant eu le plus long mandat au Canada. Lorsqu’elle prend sa retraite le 15 décembre 2017, elle a occupé le poste de juge en chef pendant 17 ans et 341 jours.

Après avoir obtenu son diplôme de la faculté de droit de l’Université de l’Alberta, Beverley McLachlin gravit rapidement les échelons du système judiciaire de la Colombie-Britannique. En 1989, elle est nommée à la Cour suprême du Canada. À la fois prudente, logique et bonne stratège, elle estime que les juges doivent respecter le rôle du Parlement. Son approche pragmatique se situe à mi-chemin entre la prise de décision activiste judiciaire et la non-intervention. Dans un discours prononcé à l’Association du Barreau canadien en 1998, elle résume son point de vue : « Le Parlement, grâce à son accès privilégié à l’opinion publique, à l’établissement des faits et à l’information, est l’endroit le plus approprié pour la prise de décisions politiques. »

Beverley McLachlin prend au sérieux la dimension éducative de son rôle. Elle donne fréquemment des discours dans toutes sortes d’endroits, vulgarisant le système judiciaire ainsi que les freins et contrepoids qui le caractérisent. En tant que juriste, Beverley McLachlin favorise la protection de la liberté d’expression et des droits à l’égalité. Reconnue comme une excellente administratrice, elle atteint en grande partie son objectif de restaurer l’unité à la Cour suprême. La controverse des années 1990 diminue progressivement, et la Cour joue un rôle plus secondaire, avec moins de cas controversés à traiter.

Richard Wagner

Richard Wagner est juge à la Cour suprême depuis le 5 octobre 2012. Expert en litige et en droit commercial, il est juge en chef du Canada depuis le 18 décembre 2017.

En tant que juge en chef, Richard Wagner s’engage à rendre la Cour plus ouverte et plus compréhensible pour les citoyens. Il insiste sur l’utilisation d’un langage simple dans les jugements et il les publie en ligne sous le nom de Cases in Brief. Il se porte à la défense d’un meilleur accès à l’aide juridique et il plaide pour que les avocats acceptent davantage d’affaires à titre de bénévole. Il signe également un accord officiel avec le ministre de la Justice qui définit plus clairement l’indépendance de la Cour par rapport au gouvernement fédéral. La Cour commence à publier chaque année la revue Year in Review, un résumé de l’année écoulée expliquant ses décisions. Richard Wagner commence à prononcer des discours et il introduit la pratique d’une conférence de presse annuelle.

Sous la direction de Richard Wagner, la Cour entend pour la première fois des affaires en dehors d’Ottawa. Elle se rend à Winnipeg en 2019 et à la ville de Québec en 2022. Richard Wagner est également administrateur du gouvernement du Canada (gouverneur général par intérim) du 23 janvier 2021 au 26 juillet 2021, à la suite de la démission soudaine de Julie Payette. Lors d’une conférence de presse en juin 2021, Richard Wagner assure aux Canadiens que ses responsabilités supplémentaires « ont eu un impact sur ma charge de travail, mais pas sur le travail de la Cour ».

Sélection des principales décisions liées à la Charte

R c. Oakes, 1986. Crée un modèle pour évaluer les contestations de la Charte des droits et libertés qui visent à déterminer si une loi enfreignant un droit reconnu dans la Charte peut être conservée si cette atteinte constitue une « limite raisonnable » en vertu de l’article premier de la Charte. L’analyse juridique se concentre sur la question de savoir si la loi constitue un outil approprié pour atteindre un objectif important et si la violation d’un droit constitutionnel est minime.

  • c. Morgentaler, 1988. Élimine les obstacles légaux à l’avortement.
  • c. Askov, 1990. Détermine des limites aux retards acceptables dans une poursuite pénale. Des dizaines de milliers d’accusations sont abandonnées à la suite de la décision.
  • c. Keegstra, 1990. Maintient une section du Code criminelinterdisant la promotion délibérée de la haine contre un groupe identifiable.
  • c. Swain, 1991. Étend les droits des personnes atteintes de maladies mentales qui sont déclarées non responsables criminellement et leur accorde également le droit d’obtenir une révision régulière de leur détention dans les établissements psychiatriques.
  • c. Stinchcombe, 1991. Oblige les services policiers et les procureurs à divulguer toutes les preuves qui pourraient avoir une incidence sur la culpabilité ou l’innocence d’un accusé.
  • c. Zundel, 1992. Annule une disposition du Code criminel interdisant la propagation de « fausses nouvelles » pouvant conduire à des troubles sociaux ou raciaux.
  • RJR-MacDonald, 1995. Juge qu’une loi fédérale interdisant la publicité sur le tabac constitue une infraction inconstitutionnelle relative à la liberté d’expression.
  • c. Stillman, 1997. Définit des règles prévoyant l’exclusion d’éléments de preuve obtenus par les services policiers en violation de la Charte.
  • Vriend c. Alberta, 1998. Utilise l’article sur les droits à l’égalité de la Charte pour modifier l’Individual Rights Protection Actde l’Alberta afin de protéger les droits des homosexuels et des lesbiennes.
  • c. H, 1999. Juge que la législation excluant les couples de même sexe de la définition de conjoint de fait en vertu de la Loi sur le droit de la famille de l’Ontario est inconstitutionnelle. (Voir Mariage entre personnes de même sexe au Canada.)
  • c. Mills, 1999. Approuve des protections législatives pour les plaignants dans des cas d’agression sexuelle qui ne veulent pas que leurs dossiers de tiers soient accessibles aux accusés. La loi en cause est essentiellement une nouvelle version, adoptée par le Parlement, d’une loi auparavant abrogée. En respectant ainsi la volonté du Parlement, l’arrêt Mills symbolise la fin d’une ère durant laquelle la jurisprudence relative à la Charte était robuste et souvent controversée.
  • c. Malmo-Levine, 2003. Maintient les lois criminalisant la possession de marijuana. (Voir Légalisation du cannabis au Canada.)
  • Gosselin c. Québec, 2002. Refuse d’accorder le droit à une aide sociale financée par l’État.
  • c. Grant, 2009 et R. c. Harrison, 2009. Réécrit les critères prévoyant l’exclusion des éléments de preuve corrompus par une erreur ou une inconduite de l’État.
  • c. J.A., 2011. Définit ce que constitue le consentement légal à l’activité sexuelle.
  • c. Ipeelee, 2012. Renforce des dispositions relatives à la détermination des peines qui s’appliquent aux accusés autochtones.
  • c. Nur, 2015. Annule une des peines minimales obligatoires, considérée comme pouvant être nettement disproportionnée dans d’autres cas.
  • c. Jordan, 2016. Renforce la décision de la Cour dans R. c. Askoven 1990, en fixant des limites strictes pour les délais en cour au-delà desquels une poursuite devient inconstitutionnelle.

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