Chefs d'orchestre et chefs de choeur
Le fait, pour un musicien, de diriger un groupe de chanteurs ou d'instrumentistes sans chanter ni jouer d'un instrument lui-même est essentiellement une création du début du XIXe siècle. Le fait d'en faire une carrière à plein temps est le produit des dernières décennies du même siècle. On peut donc supposer que, lors des concerts donnés à Québec dans les années 1790, c'était le premier violon principal ou le claveciniste qui donnait le signal de départ, et que les centaines de chefs de choeur et de chefs d'orchestre du Canada victorien gagnaient leur vie en enseignant la musique, en jouant de l'orgue à l'église, ou en dirigeant un magasin de musique, à moins que leur gagne-pain n'ait été totalement étranger au monde musical.
Les musiciens au talent exceptionnel peuvent gagner du prestige, ainsi qu'un maigre gagne-pain, comme organisateurs et chefs d'orchestre des sociétés philharmoniques qui se spécialisent dans la production d'oratorios et de cantates. Guillaume COUTURE, à Montréal, et l'Anglais Frederick Herbert Torrington, à Toronto, en sont des exemples à la fin du XIXe siècle. Les conditions ne permettent pas de fonder et de financer des orchestres permanents ou des compagnies d'OPÉRA, mais au tournant du siècle, les choeurs et les orchestres (ou harmonies) abondent. Augustus Stephen VOGT, fondateur (1894) du Toronto Mendelssohn Choir, et Joseph Vézina, organisateur de nombreux orchestres et premier chef d'orchestre de la Société symphonique de Québec (1903, aujourd'hui appelée Orchestre symphonique de Québec), le plus ancien orchestre du Canada, se distinguent de leurs pairs.
Au début du XXe siècle, dans la plupart des grandes villes, les orchestres semi-professionnels ou professionnels deviennent les principaux ensembles musicaux. Les premiers fondateurs d'orchestres sont en général des musiciens d'orchestre ou des organistes d'église immigrants qui ont l'occasion de devenir chefs d'orchestre au Canada. Joseph-Jean Goulet et Douglas Clarke à Montréal, Donald Heins à Ottawa, et Luigi von Kunits à Toronto en sont des exemples. Les chefs de choeur de premier plan sont aussi, pour la plupart, des immigrants, parmi lesquels Herbert Austin Fricker, qui succède à Vogt; Hugh BANCROFT, actif à Winnipeg et à Vancouver; et Frederic Lord, qui fonde le Canadian Choir à Brantford, en Ontario.
Au même moment, les chefs canadiens font leur marque aux États-Unis : Bruce Carey et Gena BRANSCOMBE comme chefs de choeur, et Wilfrid PELLETIER au Metropolitan Opera de New York. Répétiteur pendant de nombreuses années au Metropolitan, Pelletier y devient l'un des chefs d'orchestre attitrés en 1922 et se spécialise dans le répertoire français. À partir du milieu des années 30, il joue aussi un rôle important dans l'organisation et la direction d'orchestres à Montréal et à Québec. Pelletier est aussi un pionnier dans la conception de concerts pour la jeunesse.
Pelletier est né en 1896 et sir Ernest MACMILLAN, en 1893. Bien qu'ils soient des contemporains et les plus célèbres chefs que le Canada a produit jusqu'à maintenant, ils ont emprunté des voies bien différentes pour arriver à la direction d'orchestre. MacMillan a été organiste et professeur de musique et n'a qu'une expérience limitée de la direction lorsque, en 1931, à la suite du décès de von Kunits, il est nommé chef de l'Orchestre symphonique de Toronto en raison de la force de son sens musical. Pendant 25 ans, il mène l'Orchestre à ses premiers succès. Il excelle dans la musique de Bach, mais présente aussi un répertoire très varié. MacMillan, pour sa part, est un chef d'orchestre invité partout au Canada et parfois à l'étranger. En 1942, il prend aussi la direction du Toronto Mendelssohn Choir.
Au milieu du XXe siècle, les chefs d'orchestre immigrants et canadiens enrichissent la scène des concerts et les critères d'interprétation qu'ils établissent sont très relevés. Les Européens ont de l'expérience dans le répertoire symphonique et les grands opéras, tandis que les Canadiens deviennent souvent experts dans le nouveau domaine de la direction en studio, un dérivé des technologies en développement dans les domaines de la radiodiffusion et du cinéma. Le chef d'orchestre de studio dirige rarement pour impressionner un public; il se préoccupe plutôt du micro et du chronomètre. La portée stylistique de la programmation diffusée sur les ondes est illimitée et va de la musique de concert aux intermèdes et à la musique d'ambiance. Les chefs d'orchestre qu'on entend le plus souvent dans les émissions de la Société Radio-Canada, notamment John AVISON, Jean-Marie BEAUDET, J.-J. Gagnier (mieux connu comme chef d'harmonie), Roland Leduc et Geoffrey WADDINGTON, développent en effet une grande faculté d'adaptation et beaucoup de polyvalence. Il en va de même des chefs d'orchestre de studio Rosario BOURDON et Percy FAITH, qui enregistrent principalement pour Victor et Columbia.
Deux chefs d'orchestre de musique légère, Guy LOMBARDO aux États-Unis et Robert FARNON en Angleterre, atteignent aussi la célébrité. Les diverses contributions des immigrants vont du développement d'orchestres, dans le cas d'Allard de Ridder avec la Vancouver Symphony Society, à la création d'opéras, dans le cas de Nicholas Goldschmidt et d'Ernesto Barbini, en passant par la spécialisation dans un domaine particulier de la littérature musicale. Ainsi, Ettore Mazzoleni présente de nombreuses oeuvres anglaises, Boyd Neel cultive la musique baroque et Heinz Unger fait découvrir Bruckner et Mahler.
Les musiciens nés à l'étranger ont toujours occupé presque tous les postes principaux au sein des orchestres symphoniques, et il continue d'en être ainsi. Cette politique est parfois critiquée. Les orchestres de niveau international méritent des chefs de premier ordre, et la formation des musiciens étrangers, de même que la tradition ancienne dont ils sont issus, les avantagent souvent. D'un autre côté, certains ne manifestent que peu d'engagement véritable envers la vie musicale au Canada en général et envers les compositeurs canadiens en particulier. Il ne fait cependant aucun doute que les orchestres canadiens doivent leur excellence pour une bonne part à des hommes comme Zubin Mehta et Charles Dutoit (Montréal), Seiji Ozawa, Karel Ancerl et Andrew Davis (Toronto), Kazuyoshi Akiyama (Vancouver), Piero Gamba et Bramwell Tovey (Winnipeg), Heinz Unger (Toronto) et Franz-Paul Decker (Montréal, Calgary), pour n'en citer que quelques-uns.
Dans le domaine choral, les chefs qui sont nés au Canada ou y ont été formés occupent la plupart des postes importants. Charles Goulet est le fondateur (1928) et directeur du choeur montréalais les Disciples de Massenet; le choeur de voix de femmes de Leslie BELL se taille une réputation dans tout le pays; et les Festival Singers d'Elmer Iseler, plus récemment remplacés par les Elmer Iseler Singers, reçoivent des éloges nationales. Elmer ISELER fait aussi grandir la réputation du Toronto Mendelssohn Choir, qu'il dirige de 1964 jusqu'a son mort en 1998. Brian Law, Georges Little, Chantal Masson, Wayne Riddell et Jon WASHBURN sont aussi de remarquables chefs de choeur.
Le fait que le Canada a produit de nombreux chanteurs, pianistes et instrumentistes à cordes, mais seulement un petit nombre de chefs d'orchestre de réputation mondiale peut être lié aux insuffisances du système de formation ainsi qu'au manque d'ouvertures dans le domaine de la direction musicale. Les chefs canadiens les plus âgés - parmi ceux qui sont toujours vivants - sont souvent, par leur formation, des instrumentistes à cordes : Alexander BROTT, directeur du McGill Chamber Orchestra (à la retraite); Eugene Kash, chef d'orchestre du Ottawa Philharmonic Orchestra dans les années 50; Ethel Stark, fondatrice du défunt Montreal Women's Symphony Orchestra; et Victor FELDBRILL, chef de l'Orchestre symphonique de Winnipeg pendant de nombreuses années et du Hamilton Philharmonic Orchestra jusqu'à sa dissolution, en 1995. Le grand mérite de Feldbrill est de se porter inlassablement à la défense des nouvelles oeuvres canadiennes.
La plupart des chefs d'orchestre nés depuis environ 1930 semblent avoir une formation de pianiste. Mario BERNARDI, dont l'expérience comme chef d'orchestre commence avec la Compagnie d'opéra canadienne et le mène ensuite à la Compagnie d'opéra Sadler's Wells à Londres, est engagé en 1969 comme chef du nouvel Orchestre du Centre national des Arts, puis occupe des emplois à Calgary et à Vancouver. La carrière de Boris BROTT est aussi de grande envergure. Il est chef d'orchestre régulier de Regina à Halifax, en passant par Newcastle, en Angleterre, mais son association la plus étroite se fait avec l'Hamilton Philharmonic Orchestra (1969-1990).
Pierre HÉTU est associé à l'Orchestre symphonique d'Edmonton (OSE) pendant de nombreuses années. Uri Mayer est aussi avec l'OSE de 1981 à 1995. Françoys Bernier, dans les années 60, et Simon Streatfeild, dans les années 80, dirigent tous deux l'Orchestre symphonique de Québec. Peter McCoppin est avec l'Orchestre symphonique de Victoria depuis 1989. Raffi Armenian, qui s'installe au Canada après des études à Vienne, est maintenant avec l'Orchestre du Conservatoire de Montréal après avoir été actif à Stratford et à Kitchener. Armenian a été finaliste au Concours international des jeunes chefs d'orchestre de Besançon (France), tout comme Pierre Hétu et, en 1986, Gilles Auger. Le Heinz Unger Award, décerné chaque année, figure au nombre des bourses accordées aux jeunes chefs d'orchestre du Canada. D'autres chefs d'orchestre dignes de mention sont Jean Lamon, directeur musical de l'orchestre TAFELMUSIK de Toronto; Yuli Turovsky, chef de l'orchestre à cordes I Musici de Montréal; et Georg Tintner, un Autrichien qui a dirigé le Symphony Nova Scotia de 1987 à 1994 et l'Orchestre national des jeunes à de nombreuses reprises de 1971 jusqu'a son mort en 1999.