Apprentissage au Canada du XVIIe au XIXe siècle | l'Encyclopédie Canadienne

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Apprentissage au Canada du XVIIe au XIXe siècle

Dès le Moyen Âge, et même avant, un grand nombre de métiers, en France et dans d'autres pays européens, s'organisent en communautés, connues plus tard sous le nom de corporations ou guildes.
Ma\u00eetre et apprenti
\u00c0 l'\u00e8re préindustrielle, les rudiments des métiers sont transmis par la méthode d'apprentissage, selon laquelle un ma\u00eetre artisan prend un jeune gar\u00e7on chez lui et lui enseigne les techniques de son métier, dans ce cas-ci l'ouvrage de forge, vers 1875 (avec la permission des Archives de l'Université Laval, Québec).


Jusqu'au milieu du XIXe siècle, l'apprentissage est un mode de formation qui permet aux jeunes hommes et, plus rarement, aux jeunes filles d'acquérir les compétences nécessaires à la pratique d'un métier ou d'une profession. Trois voies sont alors possibles, celle des écoles, de la famille, ou celle d'un artisan ou d'un professionnel avec lequel on conclut une entente notariée. Bien que la dernière forme soit celle qu'on mentionne le plus souvent dans les comptes rendus historiques, la formation dispensée par un membre de la famille à un autre membre de la famille semble tout aussi répandue et a la faveur des marchands et des professionnels (médecins, avocats, notaires). Peu font leur apprentissage dans des écoles. Dans les systèmes d'apprentissage formel et familial, la formation est essentiellement pratique et prend place dans l'atelier de l'artisan ou dans le bureau du professionnel.

Systèmes européen et canadien

La guilde se caractérise par l'instauration chez les artisans d'un système hiérarchique constitué d'apprentis, de compagnons et de maîtres. Les maîtres de métier sont à la tête des guildes et nomment les jurys dont le mandat est d'élaborer et d'appliquer les règlements. Parmi ces règlements, on trouve ceux qui régissent l'apprentissage et l'accès au statut de maître : l'apprenti doit se soumettre à une longue période de formation et à un rigoureux processus de sélection; le compagnon qui désire devenir maître doit payer une importante somme et réaliser une oeuvre originale de qualité supérieure, c'est-à-dire un chef-d'oeuvre.

Lorsque les premiers artisans français arrivent en Nouvelle-France au XVIIe siècle, ils ne tardent pas à s'apercevoir qu'ils ne peuvent y perpétuer les règles strictes et les traditions de la guilde. Il y a beaucoup trop à faire dans le nouveau pays pour qu'ils se consacrent uniquement à leur métier. Ils doivent désormais partager leur temps entre la pratique du métier, le défrichage de la terre, la pêche et la traite des fourrures.

Au moment où les premiers villages apparaissent, il devient nécessaire de former un noyau d'artisans. Or, le système français ne peut convenir, car il n'y a pas de main-d'oeuvre spécialisée au Canada aux XVIIe et XVIIIe siècles. On abandonne alors la guilde telle qu'elle existait en France, mais on en conserve la hiérarchie et la méthode de formation pratique. De leur côté, les membres des professions libérales jouissent de meilleures conditions : déjà favorisés par leur statut social, ils sont venus au Canada en moins grand nombre et peuvent se vouer presque entièrement à leur profession.

Les systèmes d'apprentissage qui ont cours en Angleterre, en France, aux États-Unis, au Québec et dans les Maritimes ont des caractéristiques communes, particulièrement en ce qui a trait à l'âge des apprentis et à la durée de l'apprentissage. À l'exception d'un grand nombre de maîtres anglophones, qui engagent des apprentis plus jeunes et pour plus longtemps, la plupart des maîtres embauchent les apprentis vers l'âge de 16 ans et pour une période de 3 ans. En général, l'apprenti a terminé sa formation vers l'âge de 21 ans, mais il existe des exceptions, notamment dans le cas des apprentis orphelins.

Les autorités se servent de l'apprentissage officiel comme moyen de placer les orphelins dans des familles et de s'assurer qu'ils apprennent un métier. En général, les orphelins commencent leur formation beaucoup plus jeunes et travaillent plus longtemps que les autres apprentis. Du côté des professions libérales, l'âge des apprentis est essentiellement le même que pour les artisans, mais la durée de formation est plus longue. Ainsi, la formation des avocats et des notaires a été fixée par la loi à 5 ans.

Les conditions de travail révèlent à la fois les caractéristiques de l'apprentissage et la grande différence entre les artisans et les professionnels. L'organisation traditionnelle de la production et du travail domine chez les artisans des XVIIe et XVIIIe siècles. À l'exception des pièces produites aux Forges Saint-Maurice et dans un nombre restreint de grands ateliers, chaque pièce est le travail d'un seul artisan, maître ou compagnon, parfois assisté d'un apprenti.

L'artisan travaille habituellement dans un petit atelier (souvent adjacent à la maison) et il est propriétaire de tous ses outils. Le travail se fait généralement sur commande et la division des tâches n'existe presque pas. Les sources d'énergie majeures demeurent la force musculaire et l'eau, et l'outil manuel est le principal moyen de transformer la matière première.

Sous un tel système, les relations de travail ne sont pas établies sur la seule base de l'offre et de la demande, comme c'est le cas aujourd'hui, mais elles se définissent aussi en fonction de droits, d'obligations et de relations personnelles qui, souvent, sont de nature très autoritaire. Le contrat stipule que l'apprenti doit obéir au maître, défendre ses intérêts et s'efforcer d'apprendre son métier. En retour, le maître consent à révéler tous les secrets de son art et à fournir logis, nourriture, vêtement ainsi qu'un petit salaire annuel, payé en espèces ou en nature.

L'apprenti travaille 6 jours semaine; le nombre d'heures varie selon le métier, et selon qu'il s'exerce à l'intérieur ou à l'extérieur. La journée de travail commence habituellement à 5 heures et se termine à 20 ou 21 heures avec un minimum de 2 heures pour le repas du midi et du soir. Les apprentis travaillent de 12 à 14 heures par jour, un peu plus longtemps que le compagnon ou le maître, car ils ont à préparer le travail des autres avant l'ouverture de l'atelier et doivent nettoyer après la fermeture. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, certains apprentis reçoivent une formation religieuse et scolaire en même temps qu'une formation pratique.

Une fois la période d'apprentissage terminée, le jeune travailleur peut travailler comme compagnon pendant quelques années puis ouvrir sa propre boutique s'il peut se le permettre financièrement; d'autres héritent de l'atelier paternel. Le compagnon gagne 4 à 6 fois plus que l'apprenti. Pendant ce stade intermédiaire, le compagnon fait son entrée sur le marché du travail et fabrique ses propres produits. Certains compagnons ont la responsabilité de former des apprentis ou de superviser l'atelier quand le maître est absent.

Les conditions de travail des apprentis commerçants et des apprentis dans les professions libérales sont bien différentes de celles des apprentis artisans. Les apprentis médecins, avocats ou notaires viennent généralement de familles aisées, travaillent moins d'heures et reçoivent une certaine instruction avant de commencer leur apprentissage; de plus, ils ne sont pas obligés d'effectuer des travaux ménagers.

Changements au XIXe siècle

L'essor économique du début du XIXe siècle, combiné à certaines influences britanniques et à l'urbanisation, entraîne des changements irréversibles à la fois dans le processus de transformation de la matière première (voir Fabrication industrielle), dans l'organisation du travail et dans les conditions d'apprentissage. Afin de rivaliser avec les produits d'importation et un marché local en pleine expansion, un grand nombre de maîtres artisans doivent s'improviser marchands fabricants et adapter leurs méthodes de production. Ils se servent alors de machines-outils, se regroupent sous le même toit avec un certain nombre d'artisans, partagent les tâches et sont alors en mesure d'engager une main-d'oeuvre non qualifiée et de fabriquer des produits sur une grande échelle. C'est le passage du travail artisanal à la fabrique puis, finalement, à la production manufacturière des grands centres urbains. Le processus de transition est lent et complexe et s'étend sur presque tout le XIXe siècle; boutiques d'artisans et manufactures vont donc coexister pendant longtemps.

Ces changements majeurs remettent en question la place de l'apprentissage traditionnel dans le monde du travail et la société. Graduellement, les apprentis deviennent une source de main-d'oeuvre à bon marché qu'on engage beaucoup plus pour profiter de leur travail que pour leur apprendre un métier. Ils sont engagés de plus en plus jeunes et leur contrat est prolongé et modifié pour inclure plusieurs tâches; ainsi ils demeurent une main-d'oeuvre bon marché pour une plus longue période de temps. Les responsabilités traditionnelles du maître (soutien et éducation morale et religieuse) sont remplacées par un salaire en argent liquide. Certains maîtres négligent même de leur apprendre « les secrets du métier », alors que d'autres vont jusqu'à les maltraiter. Dans de telles circonstances, il arrive souvent que les apprentis choisissent de s'enfuir, car il est très difficile de résilier le contrat; ils sont alors poursuivis en justice.

Tandis que le système traditionnel d'apprentissage se détériore, d'autres institutions prennent de l'importance. Au début du XIXe siècle, l'école du soir commence à remplacer l'instruction prodiguée auparavant par l'artisan et sa femme. Afin d'avoir la mainmise sur la formation des apprentis et des compagnons, les maîtres et les marchands suivent l'exemple de leurs collègues de Grande-Bretagne et établissent des instituts techniques dans les grandes villes de l'Est du Canada (Halifax, Québec et Montréal). Aux yeux des autorités, ces instituts sont des centres de formation où les travailleurs vont apprendre le respect de l'ordre établi, la discipline au travail et à bien se comporter en société.

L'école du dimanche et les sociétés de tempérance, formées pendant la première moitié du XIXe siècle, appuient les institutions dans la poursuite d'un but commun : apprendre au travailleur comment utiliser ses heures de loisirs pour mieux travailler ensuite. Pendant la deuxième moitié du XIXe siècle, les instituts techniques remplacent en partie l'atelier comme lieu de formation.

Le désir de régir l'accès aux professions et de protéger les membres entraîne la création des premiers syndicats dans les années 1830 et des corporations professionnelles à la fin des années 1840. Les métiers (cordonnier, tonnelier, ferblantier, etc.) se sentent menacés par les changements technologiques, à l'exception, toutefois, des métiers de la construction et des professions libérales qui, de leur côté, ont réussi à limiter le nombre d'apprentis.

Graduellement, les écoles vont se charger de la formation des professionnels, d'où la création d'associations professionnelles (médecins, notaires) qui permettront non seulement d'assurer la qualité de la formation, mais aussi de contrôler le nombre de finissants (voir Histoire de l'Éducation). D'abord réticentes à conférer tant de pouvoir aux médecins et aux notaires, les autorités gouvernementales finiront par le leur accorder en 1845 (médecins) et en 1847 (notaires), à la suite de pressions exercées par ces groupes professionnels.