L’Anse aux Meadows se situe à l’extrémité de la Grande Péninsule du Nord de Terre-Neuve, proche des hauts-fonds de la baie des Îles (anciennement baie des Épaves), à 26 km à vol d’oiseau au nord de la ville de St. Anthony. Son ancien nom, L’Anse à la Médée, vient probablement du nom d’un navire appartenant à la station de pêche française installée là-bas entre le 18e siècle et 1904. Le site se trouve sur une plaine ouverte, mais la zone était boisée de sapins baumiers, de mélèzes, de bouleauxet de peupliers lorsque les Scandinaves sont arrivés et elle l’est restée jusqu’au début du 20e siècle. Au sud, le site est bordé d’une crête rocheuse élevée qui s’étend jusque dans la mer. L’Anse aux Meadows fait face au détroit de Belle-Isle et au littoral du Labrador, situé à 46 km à vol d’oiseau.
Occupations autochtones
Le site a été occupé de manière intermittente par cinq groupes autochtones avant l’arrivée des Scandinaves, et par un groupe autochtone après leur départ. Les périodes d’occupation obtenues par datation au radiocarbone pour ces groupes qui ont fréquenté L’Anse aux Meadows sont les suivantes : env. 4000-1000 AEC pour le groupe de tradition archaïque maritime, env. 1000-500 AEC pour celui de tradition Groswater, env. 400-750 EC pour le groupe du Dorset moyen, env. 800-850 EC pour les groupes de traditions Cow Head et Beaches, et env. 1200-1500 EC pour le groupe de tradition Little Passage. Les archéologues ont baptisé ainsi ces groupes parce que l’identité exacte de ces gens et la présence éventuelle de leurs descendants directs chez les Autochtones d’aujourd’hui n’ont pas été clairement établies. Le groupe de tradition Cow Head semble avoir eu des liens avec des peuples habitant des contrées plus à l’ouest, possiblement sur la Basse-Côte-Nord du Québec. Même si aucun autre groupe n’était présent sur L’Anse aux Meadows lorsque les Scandinaves s’y trouvaient, ces derniers ont cependant probablement vu les anciens foyers et cercles de tente. Des membres de la tradition Cow Head étaient par ailleurs présents dans la région.
Découverte et excavation du village scandinave
C’est William Munn, l’éditeur terre-neuvien du journal The Evening Telegram, un quotidien à grand tirage de St. John’s, qui propose le premier, dans une série d’articles publiés en 1914, que le site est un ancien village scandinave. Ces articles seront plus tard rassemblés dans un petit ouvrage intitulé The Wineland Voyages: The location of Helluland, Markland and Vinland from the Icelandic sagas. Le géologue finlandais Väinö Tanner élabore de son côté une théorie similaire en 1939. Inspiré par ces deux analyses, l’archéologue danois Jørgen Meldgaard visite la région en 1956. Il prévoit d’y retourner, mais est retardé par d’autres projets. Sa quête de monticules de terre recouverts d’herbes a cependant éveillé la curiosité des résidents de plusieurs communautés locales, de Cook’s Harbour à Griquet.
Lorsque l’explorateur norvégien Helge Ingstad et sa fille Benedicte arrivent sur les lieux en 1960, plusieurs habitants les conduisent aux monticules couverts d’herbe. La femme de Helge, l’archéologue Anne Stine Ingstad, dirige les premières excavations entre 1961 et 1968. Elle parvient finalement à démontrer que le site est scandinave et date du 11e siècle. Les questions relatives à la durée et à la nature de l’occupation scandinave et aux liens éventuels entre ces gens et les Autochtones qui ont également laissé leurs marques sur le site restent néanmoins sans réponses. Lorsqu’en 1968, le site est désigné lieu historique national du Canada géré par Parcs Canada, un comité consultatif international recommande d’effectuer des excavations supplémentaires (voir aussi Lieu historique). Plusieurs archéologues effectueront ainsi des fouilles sur le site, notamment Bengt Schönbäck (entre 1973 et 1975) et Birgitta Wallace (en 1976 et en 2002). Leurs conclusions, qui viennent s’ajouter à une série d’études faisant appel aux sciences naturelles, contribueront à faire de L’Anse aux Meadows le premier site du patrimoine mondial de l’UNESCO en 1978. Des excavations supplémentaires dirigées par les archéologues Jenneth Curtis et Todd Kristensen (entre 2007 et 2009) permettent d’explorer les villages autochtones sur le site et dans son voisinage.
Résultats des excavations
Édifices
Huit édifices se dressaient sur le site de L’Anse aux Meadows. Leurs contours sont matérialisés par les restes de leurs murs en terre. Ces édifices étaient groupés en quatre complexes, dont deux comprenaient un grand hall attenant à une petite hutte. Le troisième complexe comprenait un grand hall, une hutte et une petite maison. Les murs étaient construits selon une technique typiquement islandaise datant de la fin du 10e et du début du 11e siècle. Ils étaient faits de terre accrochée à un cadre un bois (voir Huttes de terre). Deux des petites huttes étaient semi-souterraines, creusées dans le sol. En Scandinavie, ce type de hutte passe de mode à la fin du 11e siècle. Une troisième hutte, circulaire, était typique, en Scandinavie, des habitations destinées aux personnes de statut inférieur, telles que les esclaves. Les complexes d’habitation se trouvaient à environ 100 m du rivage, alignés sur une terrasse étroite qui encerclait une tourbière. Un petit ruisseau traverse encore aujourd’hui la terrasse. Le quatrième complexe, constitué d’une hutte utilisée pour la fonte du fer, avait été construit dans les rives du ruisseau, plus près du rivage. Cette hutte ouverte abritait un petit four en pierre et en argile où était fondu le mineraide fer extrait des petits gisements trouvés dans les marais. Juste à côté se trouvait un foyer servant à produire du charbon de bois pour alimenter le four.
Artefacts
Les artefacts associés à l’occupation scandinave sont presque exclusivement des débris de bois, notamment des centaines de copeaux et environ 50 objets en bois abandonnés. On y a également trouvé des restes de laitier, sous-produit de la fusion du minerai de fer, des scories de forge, une planche de plancher de bateau et des clous servant à la réparation des bateaux. Onze allume-feu usés en jaspe rouge – pierre utilisée pour créer des étincelles lorsqu’elle est frappée avec une pièce en métal, le « batte-feu » – ont été retrouvés à l’intérieur et à l’extérieur de chacun des halls. Chaque activité associée à ces artefacts était liée à un complexe spécifique et était complémentaire d’une autre, ce qui démontre que tous les complexes ont été occupés à la même période.
Les seuls autres artefacts découverts sur le site sont des petits objets personnels perdus par leur propriétaire. L’artefact qui s’est avéré le plus utile pour la datation est une broche annelée, d’un style datant du 10e et du début du 11e siècle, qui était utilisée pour tenir la cape des hommes fermée. On a également retrouvé une petite fusaïole et une pierre à aiguiser pour l’affutage des aiguilles et des ciseaux ainsi que des outils d’artisanat textile qui suggèrent la présence de femmes sur le site. De même, une broche en os, cassée, trouvée dans la cheminée du hall du milieu, pourrait être une broche à cheveux, à vêtement ou une aiguille à nålebinding, une technique de tricotage pour la confection de chaussettes, de chapeaux ou de moufles. La découverte de petits fragments d’un anneau doré (servant possiblement de bijou ou à suspendre un outil à la ceinture) et d’une perle en verre a montré que les possessions des Scandinaves présents à L’Anse aux Meadows dépassaient le strict nécessaire.
Ces différents artefacts, le style architectural et les résultats de 50 analyses par datation radiocarbone du contexte scandinave ont permis de faire remonter l’époque d’occupation scandinave du site à approximativement 1000 EC. Les dépôts culturels, la taille des tertres (amas de débris domestiques) et l’absence de reconstruction indiquent que l’occupation a été brève, seulement environ une décennie.
Habitants
Les activités associées aux artefacts démontrent que la vie sur le site n’était pas une vie de famille normale. Quelques femmes étaient présentes sur le site, mais la plupart de ses occupants étaient des hommes, puisqu’ils étaient les seuls à exécuter à l’époque des travaux de charpenterie, de réparation de navires, de fonte du fer et de forge.
Le nombre total de couchettes montrent que les édifices pouvaient accueillir au total entre 70 et 90 personnes. La diversité des édifices suggère une certaine complexité sociale. Les deux halls les plus grands sont substantiels et sont d’un type utilisé exclusivement par des chefs et leur entourage. Même le plus petit d’entre eux est deux fois plus grand que la demeure présumée d’Érik le Rouge en Islande. Le hall le plus grand est aussi le plus sophistiqué. C’était donc le lieu d’habitation du chef de l’expédition. Le plus petit des halls possédait moins de salles que les deux autres et avait probablement été érigé à l’usage d’une personne indépendante de classe moyenne (p. ex., un fermier ayant réussi) et son équipe. La petite maison est le type d’habitation occupée par une personne subordonnée. La plus petite des huttes était sûrement destinée aux personnes cantonnées au bas de l’échelle sociale, possiblement des esclaves. Les huttes en contrebas étaient destinées aux travailleurs, l’une d’entre elles étant peut-être plus spécialement réservée au tissage, si l’on en croit les pierres qui y ont été trouvées, possiblement utilisées pour lester les métiers à tisser.
L’analyse des allume-feu en jaspe a fourni des informations sur la nationalité des habitants. Ceux associés à deux des halls sont faits de jaspe islandais, et quatre des cinq provenant du hall le plus grand proviennent du Groenland, ce qui semble montrer que le chef de l’expédition venait de là-bas. Deux des allume-feu sont en jaspe provenant de la baie Notre Dame, sur la côte nord-est de Terre-Neuve, ce qui montre que cette région a été visitée.
Base pour l’exploration et l’exploitation
L’Anse aux Meadows n’était pas un site axé sur la colonisation, mais plutôt une base d’exploration et d’exploitation de ressources désirables au Groenland : bois d’œuvre, fourrures et aliments de luxe tels que noix et raisin. Les Scandinaves s’intéressent au détroit de Belle-Isle – remarqué pour ses courants puissants et multidirectionnels – en tant que route de navigation. Aucune grange ni aucune autre structure destinée à l’élevage normalement trouvée sur les sites de peuplement n’ont été trouvées sur ce site, pas plus que des signes de pratique de la pâture. L’endroit est exposé, ce qui confirme que les Scandinaves n’envisageaient qu’une résidence temporaire. Des baies beaucoup plus abritées et plaisantes sont en effet nombreuses sur la côte est de la Péninsule du Nord.
Parmi les artefacts prélevés dans la tourbière, on trouve trois noix cendrées et du bois de noyer cendré. La limite septentrionale de l’aire de répartition de cet arbre se situant dans l’est du Nouveau-Brunswick, les Scandinaves de L’Anse aux Meadows ont dû explorer le golfe du Saint-Laurent. On a également trouvé des copeaux de bois de tilleul, Thilia americana, une autre essence spécifique de cette région. D’autres arbres plus méridionaux, tels que l’orme, le hêtre et la pruche du Canada ont également été identifiés. Le noyer cendré pousse dans les mêmes zones que celles préférées par le raisin sauvage, et ses noix murissent à peu près au même moment, à la fin de l’été. Les cueilleurs de noix cendrées sont donc presque certainement tombés sur du raisin. La découverte de raisins a d’ailleurs tellement marqué les Scandinaves qu’ils ont baptisé l’ensemble de la région Vinland (terre des vignes). Les activités menées sur le site, le type d’édifices qui y ont été érigés et les habitants qui y ont vécu permettent de conclure que le site était une base d’exploration dans plusieurs directions et un centre de stockage de ressources destinées à être transportées au Groenland.
Les Sagas du Vinland relatent plusieurs rencontres saisissantes avec des Autochtones , probables ancêtres des Mi’kmaq, des Beothuk et des Innus . Ces rencontres n’ont cependant pas de liens évidents avec le village de L’Anse aux Meadows parce que les anecdotes ont été entremêlées et que la plupart des rencontres décrites dans les Sagas surviennent durant l’aller ou le retour d’excursions menées à partir du camp de base.
(avec la permission de Native Land Digital / Native-Land.ca)
L’Anse aux Meadows dans les Sagas du Vinland
Bien que les édifices et les artefacts soient typiques de l’Islande et du Groenland autour de 1000 EC, l’emplacement, les activités et la disposition du village n’ont pas d’équivalent dans le monde scandinave occidental. Dans les archives historiques, on ne trouve qu’un seul site qui ressemble en tout point à L’Anse aux Meadows : Straumfjord (fjord aux courants), le site principal de la Saga d’Érik le Rouge. Cette saga décrit Straumfjord comme étant la base d’explorations menées dans différentes directions et de l’exploitation de ressources, principalement de raisins et de bois, à partir d’un camp d’été méridional baptisé Hóp, qui se trouvait probablement dans l’est de l’actuel Nouveau-Brunswick. Compte tenu de la taille de L’Anse aux Meadows et de sa population, on peut avancer sans risque d’erreur qu’il s’agit bien de Straumfjord. À partir des quantités de terre et de bois nécessaires à sa construction, les chercheurs ont calculé que le village a pu être construit en deux mois par 60 hommes, ou en un mois et demi par 90 hommes. Au début du 11e siècle, la colonie tout entière du Groenland ne compte qu’environ 400 personnes. Les habitants de L’Anse aux Meadows représentaient donc une fraction importante de la main d’œuvre alors disponible au Groenland pour une telle entreprise.
L’Anse aux Meadows aujourd’hui
Un centre d’accueil de Parcs Canada abritant une exposition relative au site et à ses artefacts a été construit dans les années 1980. Des répliques de trois des habitations ont été érigées à une certaine distance du site où se trouvent les vestiges des édifices originaux. En 2011, une réplique de la hutte abritant le fourneau à fer a été ajoutée. Des guides offrent des visites du site et des reconstituteurs jouent le rôle des Vikings dans les répliques des édifices. Le site est ouvert au public de début juin à la mi-octobre. C’est devenu une destination touristique prisée qui reçoit approximativement 30 000 visiteurs par an. Un centre de loisirs privé, le Norstead, un village « Viking » imaginé, a été aménagé dans le voisinage.
Village de L’Anse aux Meadows
Des pêcheurs français entretiennent une station côtière saisonnière dans la région du début du 18e siècle à 1904. Le village moderne de L’Anse aux Meadows est établi aux environs de 1835, par William Decker, sur la baie de Médée, à environ 1 km au nord du site archéologique. William Decker est le grand-père de George Decker, qui a montré le site à Helge Ingstad. Le village s’est développé, abritant à une époque environ 15 familles, qui participent toutes à la pêche côtière. Le déclin de cette pêche a depuis provoqué le départ de nombreux jeunes. Le tourisme associé au site archéologique et à Norstead a apporté des revenus indispensables à l’économie locale. ( Voir aussi Histoire de la pêche commerciale.)