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Médias alternatifs

Les médias alternatifs offrent tout un ensemble de perspectives et d'idées qui ne sont pas couramment véhiculées par les différents produits médiatiques ou services d'information à but lucratif qui dominent le paysage médiatique canadien. Ils englobent les formats médiatiques traditionnels, tels que les livres, les journaux, les magazines, la télévision, la radio, et les films, ainsi que des formats non traditionnels, considérés comme « nouveaux » (magazines en ligne, balados et autres publications virtuelles). Certaines définitions y incluent le théâtre de rue, la peinture murale, l'affichage et le brouillage culturel.

Une alternative à quoi?

Le terme de « média alternatif » entraîne fréquemment la question, « à quoi ces médias représentent-ils une solution de rechange? » ce qui rend cette notion vague et particulièrement difficile à cerner. Doit-elle ne comprendre que les médias radicaux ou parallèles, comme ceux qui remettent en question le statu quo, ou inclure dans sa définition tous les médias à l'exception des quotidiens à grand tirage et des principaux réseaux de télévision? Faut-il prendre en considération les médias de langues autres que l'anglais ou le français? Peut-on y inclure les médias ciblant des groupes ethniques ou culturels particuliers? Doit-on ne tenir compte que des médias sans but lucratif? Il n'existe pas de réponses faciles à toutes ces questions. Donner une définition trop large au terme nous amènerait à devoir englober le nombre grandissant des médias propres à certains secteurs d'activités ou catégories de travailleurs ainsi que les médias spécialisés, allant de publications professionnelles destinées aux comptables jusqu'aux stations de radio ne diffusant que de la musique d'Elvis. Par contre, une définition trop étroite risque d'exclure les produits médiatiques qui traitent des préoccupations de la plupart des citoyens ordinaires, lesquelles ne sont souvent pas véhiculées par les médias courants.

Caractéristiques générales

Les spécialistes des médias relèvent souvent des lacunes dans la diffusion de nouvelles et d'information par les grandes sociétés à visées lucratives. News Watch Canada, par exemple, a exposé les lacunes de la couverture médiatique de questions relatives au travail, aux inégalités sociales, au pouvoir des sociétés, aux problèmes environnementaux actuels et aux violations des droits de la personne par des pays amis du Canada. D'autres études ont révélé l'existence de problèmes dans le traitement médiatique des sujets ayant trait à la pauvreté, à la race ou à l'ethnicité.

Les causes de ces problèmes sont complexes. Ceux-ci sont en partie imputables au fait que le contenu des médias est déterminé par la nécessité d'offrir un public aux annonceurs. En conséquence, les nouvelles ou opinions n'intéressant pas directement le public ciblé, ou les informations et les idées pouvant se révéler trop controversées ou choquantes pour le public potentiel, sont tout simplement écartées. Les lacunes constatées quant au contenu des nouvelles peuvent également découler de politiques éditoriales particulières reflétant les opinions politiques des propriétaires ou des dirigeants des organisations médiatiques (voir Politique et médias). Une autre explication à ces problèmes peut se trouver dans les valeurs et les pratiques journalistiques. Les journalistes sont en général formés à rechercher les opinions et points de vue de sources officielles (personnalités politiques, gens d'affaires ou dirigeants communautaires) quand vient le moment de rédiger leurs articles. Ainsi, ce sont ces « responsables de la conduite des affaires » qui vont souvent interpréter le sens des événements et créer le cadre d'interprétation de ceux-ci; les articles ont donc tendance à renforcer les idées dominantes et les rapports existants au sein du pouvoir social.

Les médias alternatifs sont en général motivés par des objectifs autres que le profit. Ils s'attachent à véhiculer tout un éventail d'idées ou d'opinions que l'on trouve rarement dans la presse commerciale ou à défendre les intérêts d'une communauté ou d'un groupe particuliers, peu représentés dans les principaux médias commerciaux. Pour éviter d'être influencés par des intérêts de nature commerciale, ces médias appartiennent en général à des indépendants ou fonctionnent souvent sur une base coopérative ou non lucrative. En outre, afin de mieux refléter les besoins et intérêts de leur lectorat et de leur public cible, ils sollicitent la participation et les contributions des membres de la communauté qu'ils servent, plutôt que de faire uniquement appel à des journalistes professionnels. Ainsi, ils offrent un regard sur les évènements qui diffère de celui de leurs « cousins » commerciaux.

Historique

Au Canada, la présence de médias qui remettent en question le statu quo et offrent d'autres perspectives ne date pas d'hier. Au début du 19e siècle, Joseph Howe et William Lyon Mackenzie s'opposent à l'ordre établi et encouragent la réforme politique en se servant de leurs journaux (voir Journaux au Canada : 1800-1900). Vers la fin de ce siècle, les mauvaises conditions de travail et la médiocrité des conditions sociales favorisent l'expansion de la presse ouvrière, laquelle remet en question la presse politique partisane dominante de l'époque, en critiquant les inégalités sociales et en préconisant des changements progressistes.

De petits éditeurs font leur apparition au Canada vers la fin des années 1930 et le début des années 1940, tandis que la crise économique des années 1930 contraint les maisons d’édition principales à de nombreuses coupes (voir Petites maisons d’édition). Le commerce de l’édition est une vaste opération composée de plusieurs départements et ayant pour but de mettre sur le marché des livres rentables. Si le profit compte également pour les petites maisons d’édition, ce sont souvent les écrivains et écrivaines eux-mêmes qui les créent, puis les dirigent avec l’aide de leurs amis. On compte notamment parmi les petites maisons d’éditions canadiennes Coach House (créée en 1965 à Toronto) et Arsenal Pulp Press (créée en 1971 à Vancouver).

De même, dans les années 1960, l’apparition de nombreux journaux radicaux dans toutes les villes du pays encourage les appels à la réforme sociale. Le Georgia Straight, paru pour la première fois le 5 mai 1967 à Vancouver, en fait partie. Ce journal deviendra un hebdomadaire alternatif gratuit qui inspirera de nombreuses publications semblables dans d’autres villes, dont NOW (créée en 1981 à Toronto) et The Coast (créée en 1993 à Halifax).

En 1966, des activistes étudiants fondent This Magazine à Toronto, qui est depuis une plateforme d’importance pour les discours progressistes au Canada. Adbusters est un magazine alternatif à but non lucratif créé à Vancouver en 1989. Son propos, souvent d’un humour dérisoire, est largement anti-entreprise. Ce sont d’ailleurs les éditeurs du Adbusters qui ont organisé la manifestation Occupy Wall Street, en 2011.

La satire politique est souvent au cœur du discours tenu par les médias alternatifs. Parmi ces publications satiriques, citons Frank (fondée en 1987) et The Beaverton (2010), qui a finalement été adaptée en émission de nouvelles parodique en 2016 et diffusée sur le Comedy Network.

Au début des années 1970, le Canada est le premier pays à établir des canaux communautaires de télévision par câble, qui permettent aux populations locales de produire et de diffuser leurs propres émissions télévisées. Et au cours des deux décennies qui suivent, le gouvernement fédéral met en place plusieurs programmes visant à favoriser le développement des journaux et de la radiotélévision autochtones (voir Médias des peuples autochtones). L'histoire de la radiodiffusion communautaire au Québec est particulièrement riche.

Aujourd'hui, on trouve dans toutes les villes du pays un grand nombre d'organisations médiatiques indépendantes et communautaires qui offrent d'autres ressources que les médias commerciaux. Au cours des dernières décennies, on a assisté à une explosion de nouveaux journaux et magazines destinés à des groupes ethniques, culturels ou linguistiques particuliers. Il existe toutefois un nombre plus limité de publications de nature strictement politique, qui s'attachent à présenter des perspectives sociales et politiques souvent absentes du contenu offert par les médias commerciaux en matière de nouvelles et d'information.

Dans le domaine de la radiotélévision, le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) a élaboré un ensemble de politiques visant la radiotélévision ethnique, communautaire et autochtone, qui servent de cadre opérationnel à un grand nombre de petits réseaux de radio et de télévision. Le Réseau de télévision des peuples autochtones (Aboriginal Peoples Television Network), créé en 1999, a particulièrement bien réussi à mettre en place une télévision alternative conçue spécialement pour les auditoires autochtones.

Des organisations en ligne, comme rabble.ca, The Tyee et The Rebel créent de nouvelles plateformes de transmission de nouvelles et d’opinions. Ces plateformes offrent un mélange de contenu écrit, de vidéos et de balados.

La baladodiffusion, popularisée dans les années 2010, a permis de simplifier la création de programmes spécialisés. Les balados et les réseaux de baladodiffusion sont l’équivalent numérique de stations de radio pirates ou de résistance puisqu’elles n’ont pas besoin de permis d’opération et parce qu’elles fonctionnent en parallèle des réseaux de médias de masse traditionnels. On compte notamment Indian & Cowboy, un réseau de baladodiffusion à la programmation autochtone, et Canadaland, à la fois une émission et un réseau de baladodiffusion donnant principalement dans la critique des médias.

Financement et modèle d’affaires

Les médias alternatifs connaissent, pour la plupart, une situation financière précaire. Du fait d’une couverture et de capacités limitées, ils font peu d’économies d’échelle. Dans le cas de médias dits traditionnels, tels que l’imprimé ou la télévision, la taille et les caractéristiques démographiques du public des médias alternatifs sont souvent méconnues, rendant difficiles les ventes de publicité et d’abonnements. En raison des difficultés économiques, les dates de parution sont irrégulières et la diffusion est inadéquate, ce qui aggrave encore les problèmes. De plus, il existe très peu d’infrastructures gouvernementales qui appuient ces médias alternatifs de format traditionnel. La réglementation exigeant des câblodistributeurs qu’ils fournissent un canal communautaire et contribuent à son financement a été assouplie. En outre, les radiotélédiffuseurs alternatifs accusent souvent les responsables des orientations politiques de les obliger à servir de simples « bouche-trous » dans la programmation des radiotélédiffuseurs commerciaux, plutôt que de leur permettre de développer leurs propres canevas.

La mise en ligne de vidéos, d’articles ou de balados permet aux compagnies de médias indépendants de recueillir des informations détaillées sur les caractéristiques démographiques de leur public. De plus, des plateformes de financement en ligne comme Kickstarter, Indiegogo ou Patreon offrent la possibilité aux médias alternatifs de générer du revenu grâce à des dons uniques, généralement pour financer un nouveau projet ou une nouvelle initiative, ou au moyen de dons modestes mais réguliers qui finissent par remplacer des frais d’abonnement. Ces plateformes et méthodes de financement sont employées à la fois par des compagnies de médias à but lucratif et à but non lucratif. Il est également possible pour des plateformes médiatiques en ligne d’installer un « péage informatique » en vertu duquel les lecteurs doivent payer un abonnement ou un montant unique pour accéder à la publication, à la baladodiffusion ou à la vidéodiffusion.

Importance

Les médias alternatifs proposent des points de vue qui sont souvent écartés par les médias de masse dominants. La propriété des grands médias étant de plus en plus concentrée, la création de nouveaux moyens de diffusion médiatique revêt une importance considérable (voir Propriété des médias). Et si Internet semble être une voie prometteuse, il ne peut s’agir que d’une partie de la solution.

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