Le Décret pour l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques pour le développement du travail des esclaves émancipés et pour indemniser les personnes ayant droit aux services de ces esclaves, aussi connu comme la Loi sur l’abolition de l’esclavage, reçoit l’assentiment royal le 28 août 1833 et entre en vigueur le 1eraoût 1834. La loi abolit l’esclavage dans la plupart des colonies britanniques et libère ainsi plus de 800 000 Africains réduits en esclavage dans les Caraïbes, en Afrique du Sud et en petit nombre au Canada.
Historique
Plusieurs facteurs sont responsables de l’adoption de la loi. À l’époque, l’économie britannique fluctue et, pendant qu’un nouveau système de commerce international émerge, les colonies esclavagistes des Caraïbes qui dépendent principalement de la production de sucre ne peuvent plus faire concurrence aux économies de plantation plus importantes comme Cuba et le Brésil. Les marchands commencent à demander la fin des monopoles des colonies caribéennes sur le marché britannique et promeuvent à la place le marché libre. La lutte sans relâche des Africains réduits en esclavage et la peur grandissante des propriétaires de plantations qu’une rébellion éclate sont d’autres facteurs importants liés à l’abolition.
Les abolitionnistes britanniques s’opposent activement à la traite des Africains réduits en esclavage outre-Atlantique depuis les années 1770. (Plusieurs pétitions abolitionnistes organisées en 1833 permettent collectivement d’amasser le soutien de 1,3 million de signataires). Cette opposition à l’esclavage se répand dans le Haut-Canada et influence l’adoption de la loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada en 1793, la première loi du genre dans les colonies britanniques (voir Chloe Cooley et la loi visant à restreindre l’esclavage dans le Haut-Canada).
Contestations judiciaires sur l’esclavage en Amérique du Nord britannique
Dans les colonies est du Bas-Canada (désormais le Québec), de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, les efforts abolitionnistes restent sans succès. En 1793, par exemple, Pierre-Louis Panet présente un projet de loi à l’Assemblée nationale pour abolir l’esclavage dans le Bas-Canada, mais celui-ci est sans cesse remis et ne fait finalement jamais l’objet d’un vote (voir Famille Panet).
Ce sont plutôt les contestations judiciaires individuelles, soulevées pour la première fois vers la fin des années 1700, qui ébranlent l’institution de l’esclavage dans ces régions. Un cas important se produit en février 1798, lorsqu’une femme réduite à l’esclavage nommée Charlotte est arrêtée à Montréal et refuse de retourner auprès de sa propriétaire. Elle est menée devant un juge de la Cour du banc du roi, James Monk, qui sympathise avec le mouvement abolitionniste. Il la fait relâcher en raison d’une formalité juridique. En effet, selon la loi britannique, les personnes réduites en esclavage ne peuvent être détenues que dans des maisons de correction et pas dans des prisons communes. Comme il n’existe aucune maison de correction à Montréal, Charlotte ne peut y être détenue. Elle et une autre femme réduite en esclavage, Judith, sont donc libérées l’hiver même. Le juge Monk indique dans sa décision qu’il a l’intention d’appliquer son interprétation de la loi dans tous les cas similaires. En 1798, un autre cas marquant a lieu au tribunal à Annapolis Royal, en Nouvelle-Écosse. Un officier militaire de la région, Frederick William Hecht, cherche à établir son titre de propriétaire de Rachel Bross, une femme réduite en esclavage. Après un long procès, le jury rejette la requête et fait plutôt de Rachel Bross une servante libre.
Les décisions rendues dans ce genre de cas n’aident pas toujours l’émancipation des personnes réduites en esclavage, toutefois. Seulement deux ans après les procès de Charlotte et de Rachel Bross, une femme réduite en esclavage nommée Nancy plaide pour sa libération aux tribunaux du Nouveau-Brunswick. Quatorze ans plus tôt, Nancy s’était enfuie avec son fils et trois autres personnes, mais ils s’étaient fait attraper et renvoyer à leur propriétaire, un fermier et colon loyaliste nommé Caleb Jones. La contestation des avocats de Nancy portait sur le fait que l’esclavage, s’il est socialement accepté, n’est pas reconnu officiellement au Nouveau-Brunswick. La décision des juges est mitigée et Nancy demeure réduite en esclavage.
Effets de la loi
Tout juste après la loi visant à restreindre l’esclavage de 1793, le Haut-Canada entreprend des mesures pour une abolition. La Loi sur l’abolition de l’esclavage de 1833 ne fait pas mention de l’Amérique du Nord britannique, mais vise plutôt à démanteler l’esclavage à grande échelle dans les plantations qui existent dans les colonies tropicales de la Grande-Bretagne, où les personnes réduites en esclavage sont en général plus nombreuses que les colons blancs. Les Africains réduits en esclavage en Amérique du Nord britannique sont bien moins nombreux et vivent, selon Frank Mackey, « éparpillés et isolés les uns des autres. »
En tant que loi impériale, la Loi sur l’abolition de l’esclavage libère moins de 50 Africains réduits en esclavage en Amérique du Nord britannique. Toutefois, pour la plupart des personnes réduites en esclavage qui s’y trouvent, la loi n’offre qu’une liberté partielle : elle ne libère en effet que les enfants de moins de six ans, alors que les autres sont retenus comme apprentis durant quatre à six ans. Quelque vingt millions de livres (20 000 000 £) sont offerts par le gouvernement britannique en guise d’indemnisation pour les préjudices subis par les propriétaires enregistrés. De cette somme, rien n’est envoyé aux propriétaires en Amérique du Nord britannique. Les personnes anciennement réduites en esclavage ne reçoivent pas non plus de compensation.
La législation fait du Canada une terre de liberté pour les Noirs américains réduits en esclavage. C’est ainsi que l’image du Canada comme refuge sûr naît et que des milliers de personnes noires, libres ou fugitives, arrivent en sol canadien entre 1834 et le début des années 1860. (Voir aussi Chemin de fer clandestin.)
Héritage
L’adoption de la Loi sur l’abolition de l’esclavage donne lieu à un événement culturel important, appelé le Jour de l’émancipation, qui grandit en popularité tout au long du 19e siècle. Tous les ans, depuis 1834, la libération des Africains réduits en esclavage et l’idée de liberté sont célébrées dans les Antilles et dans certaines parties du Canada et des États-Unis. Des membres de la communauté canado-africaine, accompagnés de supporteurs autochtones et blancs, se réunissent à divers endroits au pays pour commémorer l’abolition de l’esclavage dans les colonies britanniques tous les 1er août. Les célébrations sont caractérisées par des parades dans les rues principales, des messes commémoratives, des discours, des pique-niques, des danses et d’autres activités culturelles festives. Les commémorations du Jour de l’émancipation servent aussi de plates-formes pour lutter contre la discrimination raciale qui empêche les Canadiens noirs d’exercer leurs pleins droits et libertés.
La fin de l’esclavage dans la plupart des colonies britanniques est un tournant important dans l’histoire, qui a transformé les conditions sociales des Africains dans les Caraïbes et les Amériques. L’inégalité raciale et le racisme envers les Noirs sont toutefois hérités de l’esclavage et font aujourd’hui encore l’objet de luttes de la part des défenseurs des droits civils des Noirs à l’international. Au Canada, les personnes noires se sont vues refuser certains droits et privilèges, et confiner à des emplois inférieurs. Beaucoup d’entre elles sont forcées d’envoyer leurs enfants dans des écoles ségréguées, en plus de se voir refuser des services dans beaucoup de commerces appartenant à des Blancs. On les empêche même d’acquérir une propriété à certains endroits.
Un des problèmes toujours d’actualité depuis la période de l’esclavage africain est la réparation aux victimes. En 2013, la communauté caribéenne CARICOM, une organisation comprenant 15 pays caribéens, forme un comité visant à poursuivre la réparation par la Grande-Bretagne et 7 autres pays européens qui ont tiré profit de l’esclavage. Ce comité demande des excuses officielles et une certaine forme de compensation pour les Africains de la diaspora.
La question des réparations pour les descendants d’Africains réduits en esclavage systématiquement discriminés au Canada a aussi été soulevée. En 2004, les Nations Unies soutiennent les revendications de compensation pour la destruction d’Africville par la ville de Halifax. Tout comme leurs homologues caribéens, les Afro-Canadiens veulent des excuses officielles et une discussion avec les différents paliers gouvernementaux sur des formes possibles de compensation.
Voir aussi L’histoire des noirs au Canada.